Je ne sais depuis quand exactement a commencé cette tendance, mais une chose est sure: elle est maintenant bien installée. Je parle de cette tendance à réduire Dessalines à une brute, un sanguinaire, un homme dépourvu de bon sens. Dessalines, nous le célébrons par habitude et non par amour ou respect. Le père de notre patrie est soit dénigré par une fraction non-négligeable de la population, soit utilisé à des fins politiques pour attiser les problèmes sociaux qui nous rongent depuis plus de 200 ans. Entre ces deux utilisations révoltantes, le nom et l’image de l’homme se souille.
Une vraie révolution ne peut être que sanglante.
Nous avons développé une idée très romancée du mot « Révolution ». Cela me fait toujours sourire quand j’entends le mot «révolution» associé à «amour» ou «pacifique» par exemple. Dès qu’on parle de révolution nous voyons l’image de MLK parlant de son rêve, du corps frêle de Ghandi, du sourire de Mandela… Ces grands hommes ont vraiment changé nos vies, nos manières de voir le monde. Mais est-ce qu’ils ont pour autant accoucher une révolution? Ma réponse est simple: NON. Ils ont inspiré de grandes réformes, mais une révolution est autre. Une révolution est une cassure avec le cours des choses, c’est la destruction du système qui précédait pour construire quelque chose de radicalement différent. En ce sens Dessalines, Bolivar, Robespierre, Washington, Castro sont des révolutionnaires. Ces révolutions ont tous une chose en commun: La violence. Une révolution est une violence. Une violence atroce mais nécessaire pour ceux qui l’entreprennent. La révolution haïtienne n’est différente d’aucune autre en ce sens. Elle est le rejet d’un système établi, dans notre cas, du système esclavagiste. Le Koupe Tet Boule Kay Dessalinien était une réaction au refus de reconnaitre la race noire comme humaine ; une réaction à la liberté naturelle arrachée et volée dès la naissance ; une réaction à la brutalité des viols courants commis sur des générations de mères, de femmes, de compagnes, d’amantes, de filles ; C’est une réactions au bras coupé de Ti Jozef pour avoir gouté le pain qu’il avait lui-même mis au fourneau ; C’est une réaction à la jambe coupée de Kola Janmkoupe à cause de sa tentative de marronnage… C’est ça Koupe Tet Boule Kay !
Stratégiquement cette violence était nécessaire !
Contextualisons d’abord ! Après les grands succès militaires et politiques de Toussaint, les généraux qui ont participé à 1803 ont vu la France trahir leur chef et, ils ont aussi pressenti que la liberté acceptée et reconnue des blancs dont rêvait Toussaint n’était pas viable. Après la réussite de l’expédition Leclerc qui a obtenu la reddition de l’armée de Toussaint dont les généraux Dessalines et Christophe faisaient partie, nous oublions souvent que pendant un an le General Leclerc a convaincu Dessalines et Christophe de travailler avec l’armée française pour rétablir l’ordre dans la colonie. En échange, la liberté générale des esclaves proclamée en 1793 serait respectée sur l’ile. Mais, c’est au cours de cette même année que Dessalines a eu la confirmation qu’une liberté donnée ne serait jamais viable, il fallait la prendre. Le facteur «français» devait donc être éliminé dans ce projet de liberté haïtien.
Comment éliminer ce facteur «français» ? Premièrement faire la guerre : cette guerre ne se contenterait pas de tuer l’adversaire (Koupe Tet), mais également elle se devait de détruire ses intérêts matériels sur l’ile (Boule Kay). Le colon devait, s’il était chanceux ne pas avoir eu sa tête Koupe, laisser aucun intérêt matériel pouvant l’encourager á retourner en Haïti. Donc, avant de considérer l’acte Koupe Tet Boule Kay comme une pulsion vindicative, nous devons la comprendre comme un mouvement stratégique.
L’ideal Dessalinien incompris !
L’homme d’état et son plan social et économique était simple et d’or! Il s’est basé sur les deux grands centres d’intérêt de la révolution : La liberté et la propriété (foncière, comme nous sommes dans une économie agricole).
La liberté était le premier bien qui devait être protégé à tout prix. D’où la politique dessalinienne de la fortification de l’ile. Liberté était donc synonyme d’indépendance. L’éventuel retour des français a pendant longtemps été la préoccupation première de l’Etat haïtien. Le peuple haïtien devait être un peuple de guerriers où chaque mâle sache manier la baïonnette et le fusil. L’article 9 de la constitution de 1805 stipule « nul n’est digne d’être Haïtien, s’il n’est bon père, bon époux, bon fils et surtout bon soldat.» Donc autant qu’il fallait la fortifier l’ile, était nécessaire une préparation mentale de l’homme haïtien à mourir pour sa liberté et sa patrie. Haïti était la Sparte de l’Amérique. Un pays où avant d’être cordonnier, médecin, hougan, agriculteur, chef d’Etat, on était soldat.
La gestion dessalinienne de la propriété fait de lui le premier chef d’état socialiste du monde… Oui ! Je dis bien du monde! Il y a eu nombreux théoriciens qui avant lui ont suggéré de pareils idéaux, mais jamais ils n’ont été mis en application au niveau de l’état d’un pays souverain. Premièrement la question de la propriété était abordée et fixée dans la constitution de 1805. L’article 12 est clair : « toute propriété qui aura ci devant appartenu à un blanc français est incontestablement et de droit confisqué par l’état». La grande majorité des terres était donc rentrée dans le domaine de l’état. La politique qui suit est « le système du quart» ou l’état nomme un gérant d’habitation responsable de la mise en valeur de la propriété. La récolte était alors divisée en 4, un quart revenait à l’état, un quart au gérant, un quart aux travailleurs et un quart pour le réinvestissement/frais de maintien. Donc avant la politique de distribution des terres de Pétion, généreuse en apparence mais désastreuse au fond, il y avait le «Système du Quart» de Dessalines hérité de Toussaint qui protégeait et prenait en compte l’importance de la grande propriété (A noter que Toussaint contrairement à Dessalines a favorisé la propriété privé même aux blancs). Dessalines avait dans sa politique agricole (donc économique) pris en compte le problème de l’équité mais aussi l’importance de la productivité.
La question dessalinienne doit donc être toujours contextualisée. Le General de l’armée indigène été peut-être sanguinaire et impitoyable avec ses ennemis, mais quel bon guerrier ne l’a pas été? Pour réussir cette révolution la violence était une nécessité. Entre 1789 et 1794, 40,000 gens sont morts lors de la révolution française ; 50,000 sont morts lors de la Révolution Américaine entre 1775 et 1782 ; La révolution Cubaine a vu 15,000 morts. Donc penser qu’une révolution peut être autre chose que «Koupe Tet Boule Kay» est naïf et irrationnel. Dans le contexte révolutionnaire Dessalines a été une brute et un sanguinaire comme l’ont été George Washington, Robespierre ou Bolivar. Et politiquement parlant réduire Dessalines à un simple inculte et impulsif est non seulement irrespectueux mais par-dessus tout inexact.
Il fallait que j’écrive ce texte parce qu’en deux ou trois fois durant ces deux dernieres semaines j’ai écouté et ai eu des discussions, souvent autour d’un verre, avec des amis et des connaissances qui ont tenu un discours condescendant et presque haineux envers le père de notre patrie. J’ai souhaité sur le coup leur donner une réponse qui débuterait par un «ko» et et finirait par un «man’w», mais j’ai heureusement ou malheureusement opté pour cette réponse moins acide et un peu plus longue en espérant qu’elle les incitera à revisiter leur Histoire d’Haïti et réapprendre à connaitre notre père a tous!
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