Au Chili, Fadelourde Augustin s’est mariée avec celle qu’elle aimait depuis tant d’années. Les Haïtiennnes et Haïtiens migrent aussi pour des raisons sociétales
Des milliers d’Haïtiens ont quitté le pays pour s’installer en Amérique latine depuis le séisme de 2010. La précarité économique et le banditisme viennent en tête de la liste des principales causes de leur départ. Le cas de Fadelourde Augustin, 25 ans, est particulier : elle a émigré au Chili pour ne plus avoir à cacher son orientation sexuelle.
Née à Léogâne, Augustin dit avoir connu une enfance heureuse. Heureuse jusqu’au moment où elle découvre qu’elle est différente et que, un peu plus tard, sa différence représentait un danger pour elle dans son pays.
« Quand je regardais des dessins animés et d’autres types de films, j’imaginais toujours une fille, comme héroïne, à la place du héros masculin, en couple avec sa dulcinée, mais je n’avais encore rien compris », se rappelle la jeune dame.
Un peu plus tard au Lycée, le manque d’attirance pour les garçons devient évident. L’animosité de ces derniers commençait également à transparaitre. « J’avais des problèmes cutanés et les garçons me rendaient la vie dure à cause de cela, me taquinant sans arrêt », explique Augustin à AyiboPost.
Adolescente, elle essaye en vain d’avoir des relations amoureuses avec des garçons. C’était « pour avoir l’air normale aux yeux de tous », declare Augustin.
Puis elle s’est rendue à l’évidence. « À l’aide de recherches que j’ai effectuées, tout était devenu plus clair dans ma tête : j’ai commencé à multiplier les rapports avec des jeunes du même sexe que moi. Disons, en étant consciente de ce que je faisais. Car toute petite, je prenais déjà plaisir dans les attouchements avec d’autres fillettes de mon quartier. »
La dame aurait « honte » si sa fille, membre de chorale à l’église, était dénoncée publiquement comme lesbienne.
L’aventure demeure risquée. Augustin fait tout pour ne pas se faire découvrir. « Je continuais à flirter avec des garçons pour me couvrir les arrières, dit-elle. Ma mère a été la première à me suspecter. Quand je lui ai tout avoué, nous avons pleuré ensemble. J’ai ressenti toute sa douleur, elle qui m’a élevé dans la foi catholique. »
La dame aurait « honte » si sa fille, membre de chorale à l’église, était dénoncée publiquement comme lesbienne.
« Je commençais à devenir inconfortable, se rappelle Augustin. D’une part, vivre la vraie moi en secret ne me plaisait pas. Ensuite, être découverte serait une catastrophe pour mes proches. »
Ces réflexions ont continué jusqu’en septembre 2016…
Augustin venait de boucler ses études classiques. Le Commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince de l’époque, Jean Danton Léger, interdit la tenue à Port-au-Prince du festival Massimadi qui devait « provoquer des discussions sur la réalité des homosexuels en Haïti », selon la description des organisateurs qui souhaitaient reproduire le concept développé par l’organisme montréalais « Arc-en-ciel d’Afrique ». Des personnalités du Sénat avaient élevé la voix pour soutenir cette décision du parquet en promettant des mesures législatives dans le même sens. Des initiateurs du festival ont été menacés de mort.
Augustin effectue des recherches. Elle veut comprendre. Comprendre si les passions enclenchées par les débats houleux de l’époque pouvaient avoir un impact sur sa sécurité. Elle tombe sur de nombreux cas de violence contre les personnes homosexuelles. Des jeunes « sont persécutés jusqu’à ce qu’ils fuient leur zone, obligés de vivre dans l’ombre, notamment après une marche de religieux en 2013 et l’annonce de Massimadi en 2016. »
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Alors vient le moment de panique. Augustin réalise qu’elle était loin du temps où elle pourrait s’affirmer dans son pays comme lesbienne. « Je me trouvais dans un dilemme : ne plus cacher que je suis lesbienne impliquerait menaces, discriminations et pour ma famille, honte, dit-elle. Et c’était vraiment dérangeant pour moi de rester dans l’ombre ».
C’est à ce moment qu’Augustin prend la décision de quitter son pays de cœur et de naissance. En 2017, elle fait ses valises et part s’installer au Chili, la destination la plus facilement accessible parmi ses options pour vivre légalement son orientation sexuelle. Arrivée là-bas, elle rencontre une fille qu’elle a épousée un an plus tard. Ensemble, elles ont aujourd’hui une fille d’un an qu’Augustin a porté grâce à une insémination artificielle.
« Tout n’est pas rose au Chili, déclare Augustin. Ça m’arrive de recevoir des remarques discriminatoires. Mais je sais que je suis protégée par l’État et que je peux exercer une action contre l’auteur si je suis victime de violence ou de propos discriminatoires. En plus, ce n’est pas un crime d’embrasser ma femme dans la rue ici. Mon départ a donné sens à ma vie », confie-t-elle à AyiboPost.
Par homophobie d’État, Augustin fait allusion à la loi interdisant le mariage gay votée à la chambre haute en 2017
Depuis ses premiers jours en Amérique du Sud, Augustin a fait son coming-out. À travers les réseaux sociaux, elle sensibilise au respect des droits de la communauté LGBT. Un retour en Haïti n’est pas encore dans ses plans, cinq ans après.
« J’aimerais bien venir voir ma mère et d’autres proches, soutient Augustin. Mais à présent que ma vie est connue de tous par le biais des réseaux sociaux, je suis encore plus exposée à cette situation d’homophobie d’État qui s’est empirée depuis ce temps. Je me dois à présent de protéger non seulement ma personne, mais aussi ma famille et mon bébé ».
Par homophobie d’État, Augustin fait allusion à la loi interdisant le mariage gay votée à la chambre haute en 2017 et les mesures annoncées par le Sénat l’année dernière visant à criminaliser l’acte d’homosexualité.
Il est courant d’inviter les millions d’Haïtiens de l’extérieur à revenir chez eux. Pour ceux qui fuient la misère, il va falloir combattre la pauvreté. Pour les exilés politiques, les autorités doivent arrêter les persécutions. Des dépités de l’insécurité et du kidnapping attendent une amélioration de la situation. Et Augustin… elle formule chaque jour le vœu d’une société haïtienne plus tolérante envers la différence et moins discriminatoire.
Ce texte rentre dans le cadre de l’exploration d’AyiboPost sur la migration Haïtienne. Cliquez ICI pour lire les reportages, les tribunes d’experts et regarder les documentaires.
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