Les problèmes d’électricités et d’accès à internet entravent un projet entamé depuis neuf ans pour numériser les dossiers de justice en Haïti. Régulièrement, les tribunaux sont vandalisés
Depuis 2013, un projet d’informatisation du système de Justice est en cours d’implémentation en Haïti.
Cette initiative consiste à équiper les institutions judiciaires du pays en outils informatiques et autres ressources nécessaires pour l’utilisation d’une base de données baptisée Gestion informatisée des Cas judiciaires (GICAJ).
Cinq des dix-huit juridictions du pays ne bénéficient pas encore des installations pour numériser leurs dossiers. Les problèmes d’électricité et d’internet entravent le fonctionnement du système dans les autres juridictions.
La GICAJ est conçue pour recevoir et réunir les documents judiciaires pénaux des différentes juridictions du pays. Elle vise à la fois à une meilleure gestion des dossiers et aider à la lutte contre la détention préventive prolongée. Ce, en facilitant la recherche et l’étude des dossiers aux principaux acteurs judiciaires concernés.
« Les parquets, les tribunaux de première instance, le ministère de la Justice et de la sécurité publique (MJSP) et le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire (CSPJ) sont les principaux administrateurs de ce système », fait savoir Isaac Lamothe, membre du comité d’exécution du projet au MJSP.
Les tribunaux de premières instances d’Aquin, d’Anse-à-Veau, de Côteaux, de Miragoâne et de Jérémie n’ont pas encore reçu les installations pour numériser leurs dossiers.
La juridiction représente l’étendue territoriale de la compétence d’un tribunal. En Haïti, chacune des dix-huit tribunaux de première instance représente une juridiction. L’implémentation de la GICAJ dans ces entités devrait faciliter la possibilité d’une vue en ligne instantanée sur l’état d’avancement des différents dossiers.
Et pourtant, « Le dispositif est [complètement] dysfonctionnel à Port-de-Paix et aux Gonaïves, informe Isaac Lamothe. Le grave problème de connexion internet à Port-de-Paix paralyse le fonctionnement du système alors qu’aux Gonaïves le système a complètement été détruit depuis l’incendie du palais de Justice en février 2021. »
Les problèmes récurrents ne sont pas toujours résolus. « Au moment même où je vous parle, je suis devant un ordinateur au tribunal de première instance de Petit-Goâve, informe le président de l’Association Nationale des Greffiers d’Haïti, Martin Aîné. À chaque fois que j’essaie d’accéder au système, on me dit : “Pas d’accès !”. Et ce, depuis trois jours. »
Quand ce n’est pas un problème d’internet, c’est un problème de maintenance. Quand ce n’est pas un problème de maintenance, c’est un problème d’électricité. « Sans compter le cambriolage régulier des établissements judiciaires où les équipements informatiques sont généralement emportés. C’était le cas au Palais de Justice de Port-au-Prince en mai dernier », poursuit Aîné.
Pour le responsable informatique, les pannes temporaires ne compromettent pas l’efficacité du dispositif. « Il suffit de faire en sorte que le dossier soit saisi dès que la panne est résolue », dit-il.
Les conséquences de cette situation peuvent être graves. Selon Martin Aîné, quand un dossier « en dur » est cambriolé au niveau d’une juridiction sans être enregistré sur la base de données, si jamais une copie n’a pas encore été acheminée dans aucune autre juridiction, ce dossier est définitivement perdu.
Pour être totalement effectif, Martin Ainé croit que ce système informatisé ne doit pas être installé que dans les dix-huit tribunaux de premières instances et les parquets. Selon le greffier, le système doit être également implémenté dans les cinq cours d’appels, la Cour de cassation et également dans les tribunaux de paix.
« Quand on boude les tribunaux de paix, dit-il : un individu peut avoir déjà commis un crime et obtenir facilement un certificat de bonne vie et mœurs au niveau de ces tribunaux. Son casier va y être retrouvé vierge, étant donné qu’il n’avait pas eu de dossier dans ce dernier tribunal. »
En Haïti, des milliers de prévenus sont incarcérés depuis parfois plusieurs années sans n’avoir jamais été jugés. La GICAJ a principalement été conçue pour aider à la lutte contre ce phénomène appelé détention préventive prolongée.
Un commissaire, pour avoir une idée de la façon dont un juge d’instruction avance sur les différents dossiers dont il a été saisi, n’a qu’à se connecter à son compte GICAJ depuis son ordinateur ou smartphone et entrer le nom du juge en question.
Le responsable informatique souligne que les fonctionnaires plus ou moins âgés dans le système judiciaire ne profitent pas de l’avancement de la GICAJ. « Ils sont souvent réticents à l’informatique. Alors que, l’outil alerte les administrateurs des dossiers sans suivi judiciaire excédant deux ou trois mois selon qu’il s’agit d’un délit ou d’un crime », ajoute-t-il.
Cette configuration est conforme à l’article 182 du Code d’Instruction criminelle, qui, en ce qui concerne les dossiers criminels, impartit au juge d’instruction un délai de quatre mois pour délivrer le résultat de son enquête. Au-delà de ce délai, la détention est illégale à moins d’une prolongation, accordée par le doyen du tribunal, ne dépassant trois mois.
Cependant, malgré les avertissements de la GICAJ, les dossiers en rouge qui n’ont pas eu de suivi ne manquent pas sur le système, constate AyiboPost lors d’une visite au MJSP le 9 juin dernier.
Quoique vieux d’une décennie, ce dispositif informatique est méconnu chez les acteurs judiciaires. « En tout cas, si un tel système existe à Port-au-Prince, je ne suis pas au courant, fait savoir Me Nathan Laguerre, membre du Bureau des Droits Humains (BDHH). C’est toujours dans les registres traditionnels que je vois farfouiller les greffiers quand je demande à voir un dossier ».
Parallèlement, Me Laguerre n’est pas le seul à avoir cette impression. Le président de l’Association professionnelle des magistrats (APM), Martel Jean Claude, ignore lui aussi la présence de ce système.
La GICAJ, dont l’utilisation peine à combler les attentes liées à son objectif de création, est supportée par l’Agence des États-Unis pour le Développement international (USAID) à travers le Justice Sector Strengthening Program.
Couverture : Isaac Lamothe, responsable informatique. Image de Carvens Adelson pour AyiboPost
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