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Deux artistes haïtiens à la conquête du concours international Unsigned only

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Dieufaite Charles et Belo sont parmi les finalistes. Les votes finissent ce mercredi 19 août

La huitième édition du concours international Unsigned only est en phase de terminer. Les votes du public, qui déterminent en grande partie les différents gagnants, cessent ce mercredi 19 août à minuit. Parmi les finalistes de la catégorie World Music, deux Haïtiens sont en lice : Dieufaite Charles et Belony Jean Murat, dit BélO.

Les deux artistes se ressemblent tant par leur passion pour la musique, que par leur créativité. Dieufaite Charles évolue au Canada depuis après le tremblement de terre de 2010. Il est conscient que cette émigration l’a déconnecté d’Haïti, mais le chanteur affirme recevoir des retours très encourageants de ses compatriotes. Sa musique « kawoule Legba » invite à la danse, dans la plus pure tradition haïtienne. C’est ce titre, sorti en 2018, qui l’a propulsé en finale du concours.

Quant à BélO, récipiendaire de différents prix internationaux dont Découvertes RFI en 2006, c’est grâce à son tube Eda qu’il s’est forgé sa place en finale. C’est une collaboration gagnante entre le chanteur haïtien, et le très connu artiste nigérian Adekunle Gold, sous les auspices de Michael Brun qui a produit la musique. Quel que soit le cas de figure, Haïti est bien partie pour se positionner une fois encore au sommet de la musique internationale.

L’Héritier d’Eddy François

Dieufaite Charles a pris la musique au sérieux alors qu’il était dans sa vingtaine. « J’ai appris à jouer de la musique très tôt. Mais j’étais jeune, je changeais de plans souvent, explique-t-il. Puis une fois, je suis allé en Allemagne et j’ai rencontré un ami d’enfance, Eden Noël, qui produisait de la musique. On en a profité pour faire un album. »

De retour en Haïti, il propose le son « Réponds-moi », qui est bien accueilli dans le pays, surtout aux Gonaïves. Dieufaite Charles se lance alors dans des tournées aux États-Unis ou en Europe.

Lorsque la catastrophe de 2010 arrive, le chanteur quitte le pays. « Je venais à peine de terminer une tournée aux États-Unis, en décembre 2009. Deux semaines après, j’ai failli mourir lors du tremblement de terre. Un réalisateur avec qui je travaillais est mort dans la catastrophe. On avait des projets ensemble pour un documentaire. Cette perte m’a assez affecté. Je suis alors parti au Canada ».

Au Canada, Dieufaite Charles poursuit sa carrière de chanteur indépendant. « J’aime rendre les gens heureux par ma musique, explique le chanteur. On me compare souvent à Eddy François qui est ma référence dans la musique racine. » Son album Li p ap Kraze est sorti en 2018. Kawoule Legba, le titre finaliste de Unsigned only, est sur cet album.

BélO, le jeune prodige

Le parcours de BélO est différent, plus connu, mais non moins atypique. « Vers onze ans, j’ai ressenti le besoin de faire de la musique pour m’exprimer, dit l’artiste. Je chantais à l’école, lors des récréations. Mais je m’étais entendu avec ma mère que je ne m’adonnerais à la musique qu’après avoir fini mes études. J’étais en 4e année en sciences comptable, quand mon premier album est sorti en 2005. »

Cet album est dû en partie grâce à la rencontre avec Keke Belizaire et Fabrice Rouzier. « J’ai participé à un concert à la Sun Auto, explique-t-il. A priori je ne devais chanter qu’une seule chanson. J’ai fini par en interpréter douze, tellement les gens en redemandaient. Jean Marc Apollon, un entrepreneur, a vu le potentiel artistique et économique que j’avais. Il a poussé Keke et Fabrice à me produire. »

Semblables et différents

Les deux artistes charment les oreilles de leur public depuis plus de dix ans. Leur répertoire est semblable, car ils puisent leur inspiration dans la musique traditionnelle haïtienne. Seulement, chacun la modèle à sa façon. « La musique que je propose est un mélange de sons traditionnels et de sons plus conventionnels comme le blues, explique Dieufaite Charles. Je l’appelle le Afro-haitian roots, ou encore le African soul. »

Mais ils font tous les deux de la World Music. Selon BélO, ce sont des styles musicaux alternatifs, qui ne répondent pas à une catégorie spécifique. La world music n’est pas le jazz, le blues, le rock, mais peut être tout cela à la fois. « C’est pour me démarquer que je développe un style que j’appelle le raganga, affirme le musicien. Je prends la musique haïtienne, et je la mélange à tous les autres styles de musique que je consomme. Cela a des inconvénients de se différencier, mais il y a aussi des avantages. »

Jean Belony Murat croit aussi que la qualité sonore de ses titres est un élément important de sa musique. « C’est vraiment là que j’investis le plus, explique-t-il. La musique que je fais est comme un vin, c’est avec le temps qu’il sera le plus apprécié. Je ne peux pas me permettre d’offrir un son de mauvaise qualité, surtout que j’aspire à ce que mes titres soient repris à l’international. »

Pourquoi ces styles triomphent

Cette envie de s’imposer à l’international fait face à l’obstacle de la langue. Mais comme le rythme est entraînant, le public étranger répond favorablement. « On peut s’étonner parfois de voir comment des étrangers sont ravis de la musique que je joue, affirme-t-il. Dès le premier son de tambour, ils sont aux anges, ils aiment cela. »

Le chanteur regrette qu’en Haïti, les animateurs d’émissions musicales soient réticents à proposer la musique traditionnelle à leurs auditeurs. On pourrait s’étonner que d’autres styles musicaux haïtiens, comme le compas, ne profitent pas souvent de ces espaces d’exposition que sont les concours internationaux, ou les festivals.

Lire aussi: Combien touchent véritablement les musiciens dans les groupes de compas ?

Johnny Celicourt, critique musical, a une explication. « La musique est un produit commercial, dit-il. Il ne s’agit pas seulement du son, mais il faut aussi un bon packaging, un dossier de presse solide, pour participer à ces concours. Par tradition, les groupes compas ne sont pas intéressés, alors que ces concours leur sont ouverts aussi. D’abord c’est parce qu’ils se contentent des performances hebdomadaires dans la communauté haïtienne de l’étranger. Mais aussi, parce que si un grand groupe de compas participe à un concours, et en revient bredouille, cela ouvre une possibilité pour les groupes rivaux de le ridiculiser. »

Mais de temps en temps, des groupes Compas participent. « Tabou Combo, ou l’orchestre Septentrional ont participé à des festivals internationaux », continue Johnny Celicourt.

Selon le critique musical, ce sont justement des artistes comme BélO, Dieufaite Charles, BIC, etc. qui ont le plus d’intérêt à s’inscrire à ces évènements.

Un tout nouveau concours

Unsigned Only en est à sa première édition. Des pays du monde entier ont participé, dans plusieurs catégories. Le grand gagnant du concours empochera la coquette somme de 20 000 dollars américains, sans compter une kyrielle d’avantages comme des CD, des contrats avec des maisons de disques, etc. Il y aura également un champion pour chaque catégorie, ainsi qu’un second. Dans la catégorie World Music, Dieufaite Charles et BélO représentent Haïti, qui est le seul pays de cette catégorie à avoir deux représentants.

Le vote du public déterminera le gagnant. Il est possible de voter tous les jours en se rendant sur ce lien. Pour voter, il faut une adresse email valide. Les candidats ne savent pas combien de votes ils ont reçus jusqu’à présent. Les résultats seront une surprise. Mais jusqu’au mercredi 19 août, Dieufaite Charles et BélO ont la possibilité de remporter les prix offerts par l’organisation du concours.

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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