SOCIÉTÉ

Des policiers haïtiens blessés, bloqués sans argent à Cuba

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Certains agents blessés dans la lutte contre les gangs doivent dépenser leurs économies pour se faire soigner à Cuba. Ils réclament l’assistance de l’État

Des projectiles ont perforé les bras, les pieds et l’œil gauche du policier lors d’une opération policière en octobre 2024 à Solino.

L’assureur attitré des agents de la Police nationale d’Haïti (PNH) n’a pas voulu payer les frais du traitement, déclare-t-il.

Le policier a donc dû effectuer seul, avec ses économies, deux opérations chirurgicales à Cuba, sans l’assistance de l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA).

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Le « rescapé » dit manquer de médicaments. « Je ne regrette pas le jour où je suis entré dans la police, mais nous sommes traités comme des pièces de rechange », déclare l’agent à AyiboPost.

Jusqu’à une vingtaine d’agents de la PNH, blessés dans la lutte contre les gangs, se retrouvent aujourd’hui à Cuba pour recevoir des soins. En interview avec AyiboPost, une demi-douzaine d’entre eux dénoncent leur abandon par l’État haïtien, le manque d’argent, de médicaments et la cherté de la vie à Cuba, ainsi qu’un flou persistant sur un montant de cinq millions de gourdes censé être disponible à l’OFATMA pour les policiers ayant besoin de soins dans un pays étranger.

Lire aussi : Des policiers haïtiens chassés par les gangs, oubliés par l’État

Jean Bernard, un inspecteur de la PNH, est décédé dans des circonstances floues dans un hôpital à Cuba, le samedi 28 juin 2025.

Le policier souffrait d’un cancer à un stade avancé avant d’être transféré, sans les considérations médicales nécessaires, à Cuba, d’après un policier témoin des faits.

L’inspecteur de police mourra seul dans sa chambre d’hôpital, implorant ses soignants de le transférer chez lui en Haïti pour ses derniers jours.

Cette situation compromet le droit à la santé des policiers et manque de transparence, réagit à AyiboPost Mathieuny Sidel, porte-parole du Syndicat national des policiers haïtiens (SYNAPOHA).

Le « rescapé » dit manquer de médicaments. « Je ne regrette pas le jour où je suis entré dans la police, mais nous sommes traités comme des pièces de rechange », déclare l’agent à AyiboPost.

Les agents en contact avec le syndicat sont dispersés dans des hôpitaux différents et ne reçoivent aucun suivi psychologique dans un contexte post-traumatique.

« Les médecins cubains ne fournissent pas de soins sans le versement des fonds alloués pour le service », explique Sidel, demandant à l’OFATMA de prendre ses responsabilités.

Contacté par AyiboPost, Vikerson Garnier, le directeur de l’OFATMA, révèle la signature d’un contrat avec une entreprise privée dénommée « Good Money » pour la prise en charge des policiers haïtiens à Cuba.

Cette entreprise ne détient aucune adresse physique connue en Haïti, encore moins un site internet.

Dans la pratique, une commission permanente d’experts de la Direction de la Sécurité sociale de l’OFATMA analyse les dossiers de policiers blessés pour déterminer s’ils doivent recevoir des soins en dehors du pays.

L’OFATMA signe ensuite un contrat pour le policier, au nom de l’État haïtien, avec Good Money à concurrence de cinq millions de gourdes maximum par policier.

Cette entité se charge alors de transmettre le dossier médical du patient aux autorités médicales cubaines.

Le service médical cubain achemine le dossier vers un hôpital, qui renvoie un plan de soins à Good Money, lequel le transmet ensuite à l’OFATMA.

Lire aussi : Comment le secteur des assurances menace l’accès aux soins en Haïti

« Une fois les soins dispensés, Good Money fait parvenir la facture à l’OFATMA, qui règle alors le montant correspondant aux frais engagés pour l’assuré », conclut Garnier.

Good Money — établie en Haïti en 2023 — reçoit de l’État une commission de service de 3 à 4 % sur le montant total de la facture pour chaque malade, révèle à AyiboPost son responsable des opérations, Pedro Guerrero.

Le responsable reconnaît les difficultés liées à la pénurie de médicaments à Cuba à cause de l’embargo des États-Unis.

Pour compenser ce manque, Good Money se tourne vers la Jamaïque ou le Panama. Mais la persistance du problème soulève des questions sur le choix de Cuba comme destination privilégiée pour soigner les policiers blessés.

Au moins 33 policiers ont été tués, dont 48,5 % lors d’opérations contre des gangs armés entre juin 2024 et juin 2025, selon le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH).

Sollicité par AyiboPost, le porte-parole de la PNH, Michel-Ange Louis Jeune, n’a pas donné suite aux demandes d’interview, tout comme le directeur médical de l’institution, Jean Sonny Virgile.

Aucune initiative de l’État n’a été annoncée pour résoudre les problèmes de prise en charge des policiers à Cuba.

L’un des agents blessés, hospitalisé à Cuba depuis novembre 2023, se plaint de devoir payer de ses propres fonds les médicaments et dénonce d’énormes difficultés pour que l’OFATMA accepte de prendre en charge les frais de traitement.

Jusqu’à une vingtaine d’agents de la PNH, blessés dans la lutte contre les gangs, se retrouvent aujourd’hui à Cuba pour recevoir des soins. En interview avec AyiboPost, une demi-douzaine d’entre eux dénoncent leur abandon par l’État haïtien, le manque d’argent, de médicaments et la cherté de la vie à Cuba, ainsi qu’un flou persistant sur un montant de cinq millions de gourdes censé être disponible à l’OFATMA pour les policiers ayant besoin de soins dans un pays étranger.

Un autre blessé, en 2024, lors d’une opération à Gressier, dénonce des « exéats » prématurés à l’expiration des plans de traitement.

Un troisième policier a dû mettre en gage un bien pour s’acheter à manger et payer un comprimé antidouleur depuis juin.

Les autorités « ne savent pas comment nous vivons là-bas », déclare le policier à AyiboPost, depuis son lit de malade.

Un quatrième policier s’est rendu à Cuba en octobre 2024 après avoir été atteint par des projectiles à la cuisse droite. Il affirme avoir perdu toute sensibilité à cause d’une lésion du nerf sciatique.

Même après avoir subi plusieurs opérations, son traitement n’a toujours pas été achevé. La commission n’aurait pas pris en compte la lésion dans son analyse. Il se retrouve aujourd’hui en Haïti, sans traitement.

Le plan de traitement se construit sur mesure. « Mais si l’on estime que le coût sera trop élevé, le cas peut être retiré du programme », déplore ce policier.

« C’est pourquoi, poursuit l’agent, la majorité des policiers hospitalisés ne récupèrent pas complètement. L’agence [Good Money] en charge ne fournit pas un programme de traitement complet ; le reste est à notre charge. »

L’OFATMA poursuit les évacuations des policiers assurés les plus graves vers Cuba.

La plus récente évacuation a eu lieu le 14 juin 2025 : une quinzaine de patients, dont des agents de la PNH, ont été transférés à cause de l’indisponibilité de centres hospitaliers adéquats en Haïti.

Une partie des problèmes rencontrés sur place par ces patients vient du contexte sociopolitique à Cuba.

L’accès aux médicaments constitue un défi majeur dans ce pays sous embargo des États-Unis depuis 1960.

La majorité des médicaments, tels que les antibiotiques, les antalgiques et ceux destinés aux maladies chroniques, sont importés, souvent en dollars, une devise étrangère rare dans un contexte de baisse historique des revenus touristiques, selon un médecin actuellement en spécialisation à Cuba, contacté par AyiboPost. Il demande l’anonymat pour éviter d’éventuelles représailles.

Les policiers doivent, dans ce contexte, compter sur leur famille.

Lire aussi : Les policiers désertent les rues de Port-au-Prince

Sans ces assistances, « je serais déjà mort », s’indigne un autre policier, victime d’une blessure en mars 2024 lors d’opérations policières à Delmas.

L’agent dit avoir dépensé beaucoup d’argent de ses fonds personnels à Cuba et ne pas avoir été remboursé par l’OFATMA.

Par : Fenel Pélissier,

Couverture | Graduation de la 27e promotion de la PNH. Photo : Igor Rugwiza – UN/MINUSTAH

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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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