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Sexe contre kits : les gangs contrôlent des abris provisoires de Port-au-Prince

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« Lorsque des organisations apportent des kits, ces hommes nous réclament du sexe pour nous les donner », dénonce à AyiboPost une résidente du camp du lycée Marie-Jeanne

Les gangs infiltrent les locaux de plusieurs abris provisoires de Port-au-Prince pour commettre des viols et prendre en otage la distribution de l’aide alimentaire, témoignent à AyiboPost une demi-douzaine de victimes et la responsable d’une institution humanitaire locale.

« Lorsque des organisations apportent des kits, ces hommes nous réclament du sexe pour nous les donner », dénonce à AyiboPost une résidente du camp du lycée Marie-Jeanne, situé à la 1ère impasse Lavaud, à Port-au-Prince.

Guerda Prévilon, directrice exécutive de l’Initiative pour le Développement des Jeunes (IDEJEN), est déjà intervenue sur le site en activité depuis mars 2024. Elle révèle à AyiboPost avoir reçu de nombreuses plaintes de femmes victimes.

« En général, celles qui refusent de coucher avec les responsables doivent se battre pour avoir droit à leurs kits », déclare Prévilon.

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Une autre jeune femme de 21 ans rencontrée dans le centre rapporte avoir été dans le bureau dédié pour récupérer un kit qu’une organisation est venue apporter au camp.

« Les membres du comité qui faisaient la distribution ont refusé de me donner le mien sans aucune raison, dit-elle. J’ai voulu protester en élevant la voix, mais l’un d’entre eux m’a saisie par la gorge puis bousculée avant de me jeter dehors ».

La vingtenaire estime avoir été brutalisée parce qu’elle n’a jamais accepté les avances de ces hommes.

« En général, celles qui refusent de coucher avec les responsables doivent se battre pour avoir droit à leurs kits »

– Guerda Prévilon

Deux autres dames, visiblement dans la cinquantaine, corroborent les dires de la jeune femme, car elles sont aussi couramment violentées.

« Lorsque cela nous arrive, affirme l’une d’entre elles, ils disent que nous ne sommes pas si vieilles ».

Une dame enfouit son visage dans son corsage dans le camp du Lycée Marie-Jeanne.  | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Ces individus exercent un contrôle serré sur le site.

Lors de la journée internationale des droits de la femme et celle de la fête des mères, IDEJEN a dû emmener une centaine de victimes en dehors du camp pour leur distribuer de l’argent ainsi que des kits.

Ce déplacement était nécessaire, selon Prévilon, pour s’assurer que les femmes reçoivent l’aide.

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La plupart des déplacées qui refusent de passer par le sexe pour pouvoir bénéficier des kits envoyés dans le camp sont obligées de les acheter.

Selon des témoignages recueillis sur place, des membres du comité réservent une partie substantielle de l’aide pour les opérations de vente.

Selon les produits, les prix varient entre 750 et 1 000 gourdes. Il faut aussi quinze gourdes pour avoir le droit d’utiliser les toilettes.

Une dame vend du charbon dans le camp du Lycée Marie-Jeanne.

Selon les Nations Unies, la violence des gangs a déplacé 578 000 personnes à l’intérieur du pays entre mars et juin 2024. La plupart des victimes de violences prennent refuge dans 96 sites dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. La grande majorité de ces sites manque d’un mécanisme de gestion formel.

« Par exemple, les chefs de gangs au bas de Delmas prévoient à l’avance les espaces où les gens pourront se réfugier quand ils les chassent eux-mêmes de leurs maisons », témoigne Guerda Prévilon de l’IDEJEN.

Ce sont aussi les gangs qui installent les membres des comités de gestion des camps « de manière qu’ils aient un contrôle global sur toutes les entrées et sorties, surtout en ce qui concerne les différentes aides humanitaires », poursuit Prévilon.

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Plusieurs structures d’aide aux victimes se trouvent contraintes de négocier avec des chefs de gangs pour pouvoir assister les déplacés.

Les camps Saint-Joseph, La Saline ou encore Cité Soleil sont concernés par ce problème, selon les responsables de IDEJEN rencontrés par AyiboPost.

Dans ce contexte, les abus sexuels sur les femmes et les enfants se multiplient.

Pierre Richard Jean-Baptiste, un ancien résident du quartier de Carrefour-Feuilles, dit avoir abandonné le camp Dumerlin pour cette raison. Outre les membres du comité, « plusieurs personnes qui étaient de simples civils ont rejoint les groupes armés. Je ne me sentais plus en sécurité », déclare Jean-Baptiste.

L’homme a fini par abandonner ce camp pour celui du Lycée Marie-Jeanne (LMJ) situé à la 1ère impasse Lavaud, à Port-au-Prince.

Là, le comité en place n’est pas accusé d’avoir des liens avec des membres de gangs, mais il est tout aussi décrié.

Deux femmes conversent dans un abri provisoire au Lycée Marie-Jeanne.

La femme de Jean-Baptiste a par chance trouvé un abri chez des proches.

« C’est dur de vivre séparé d’elle, confie l’homme. Mais venir avec ma femme ici serait apporter à ces prédateurs sexuels une concubine de plus ».

Les cas de détournement de mineures continuent de s’empiler.

Des hommes du comité, mais aussi ceux du camp du Lycée Marie-Jeanne en général, entretiennent des relations avec des adolescentes, selon IDEJEN et des témoins.

Questionné sur le sujet, le président du site, Steve Fleuranfils, nie tout en bloc. « Il n’y a pas de cas de violence sexuelle ici, soutient-il. Les membres du comité sont d’ailleurs des victimes eux aussi. Nous nous sommes regroupés pour mieux nous structurer et gérer le camp ».

Les travailleurs humanitaires interrogés par AyiboPost plaident en faveur d’une meilleure organisation des ONG locales et internationales, ainsi que de la reprise des territoires contrôlés par les gangs, afin de permettre aux déplacés de revenir chez eux.

Par Rebecca Bruny

Mise à jour de la rédaction: La citation initialement attribuée à Oberde Charles, a été réattribuée aux responsables de IDEJEN rencontrés par AyiboPost, dont Oberde Charles. De plus, la mention du camp de Dumerlin au début de l’article a été corrigée et remplacée par le lycée Marie Jeanne. 10.49 6.9.2024

Image de couverture : Une dame observe l’arrivée du journaliste dans le camp du Lycée Marie-Jeanne en juillet 2024. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost


Visionnez ce reportage d’AyiboPost sur la situation des femmes dans les camps à Port-au-Prince : 

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Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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