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Des coiffures exigées par les écoles font mal aux élèves en Haïti

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Les barrettes contribuent aussi à abîmer les cheveux et à rendre malade le cuir chevelu

Dans les écoles haïtiennes, peu importe l’établissement, ce sont les mêmes coiffures que l’on voit : surtout des chignons, ou des cheveux attachés par des barrettes.

Le chignon — qu’on appelle chou — est la coiffure que Mithnie Day Odelcy porte le plus souvent. Elle est écolière, en nouveau secondaire 3. Ce style, elle la préfère parce que c’est la plus facile à faire, selon elle, et il rentre dans les normes de son école. « Il suffit que tous les cheveux soient amassés ensemble et le tour est joué ».

Cette coiffure simple est une vraie roue de secours pour Odelcy, et pour d’innombrables autres écolières. Seules les élèves du primaire portent en majorité des rubans et des « gogo » tous les matins.

Une enfant de kindergarten portant des rubans et des boul gogo

Mais la simplicité de ces coiffures adoptées par les écolières et leurs parents ne les rend pas moins dangereuses pour la santé des cheveux des filles. À force de retenir ses cheveux attachés vers le haut par exemple, Mithnie Odelcy dit constater une importante chute de cheveux au milieu de son crâne.

Selon Jennifer Jean, médecin, Odelcy souffre certainement d’une forme « d’alopécie de traction localisée généralement à la racine du cheveu. »

Lorsqu’elle se produit, le cheveu tombe et le cuir chevelu s’en trouve endommagé. Jennifer Jean, également étudiante finissante en psychologie, a elle-même connu ce type d’alopécie à trois reprises. La première fois, elle était encore à l’école primaire. Et à l’époque, on la coiffait chaque matin en tirant sur ses cheveux, en brossant agressivement, pour respecter le code de coiffure de l’école.

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Sheelove Day Odelcy est étudiante en gestion, et c’est la grande sœur de Mithnie Odelcy. Elle aussi se rappelle avoir fait l’expérience de la chute de cheveux à l’école secondaire. « J’ai commencé à les perdre au milieu de la tête, parce que je portais mon chignon pratiquement tous les jours. Peu après, ce fut au tour de mes tempes. Il suffisait que je passe un peigne dans mes cheveux pour que ceux-ci s’arrachent », raconte Sheelove Day Odelcy.

Même chose pour sa petite sœur qui vit les mêmes problèmes. Ses cheveux s’abîment un peu plus à chaque chignon. Et certaines fois, c’est tout le contour de sa tête qui en souffre. Les sœurs Odelcy appellent cela un « kale wonn ».

Mais Mithnie Day Odelcy n’a pas trop le choix. Le lycée Marie-Jeanne où elle est scolarisée rentre dès sept heures du matin. Elle doit se déplacer avant six heures trente pour ne pas être en retard. Entre se préparer et prendre le petit déjeuner, le temps, lui manque déjà.

Tresses ou coiffures protectrices, fort souvent ne sont pas acceptées dans les écoles

Pour cela, Mithnie Day Odelcy ne se coiffe pas tous les matins. Elle avoue passer parfois une semaine entière avec son chignon. « Je fais en sorte de bien ramasser mes cheveux avant de les attacher. J’utilise ensuite un produit pour qu’ils restent plaqués et intacts », explique l’écolière.

Ce manque de temps, d’après Roldan Célestin, responsable du Centre de traitement capillaire (CENTRACA), est à l’origine de beaucoup de problèmes. C’est à cause de cela que les parents coiffent leurs filles à la va-vite, pense-t-il. Cela augmente le risque de coiffures trop serrées. Or ces coiffures et l’utilisation de mauvais matériels sont les premières causes de l’alopécie de traction.

Pour limiter les problèmes du cuir chevelu, il est fortement recommandé d’utiliser des coiffures protectrices. Ce sont des coiffures qui limitent le besoin de se peigner et par conséquent réduisent les risques de chute.

« Elles ne doivent pas être trop serrées, met toutefois en garde Roldan Célestin. Elles peuvent durer en moyenne une semaine. Chaque fin de semaine, il faut nourrir les cheveux grâce à un produit de soins ». Cela permet aussi d’économiser du temps.

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Mais, les écoles qui acceptent les coiffures protectrices sont rares. Le dermatologue révèle qu’il reçoit beaucoup de parents, qui souhaitent une recommandation médicale pour que les responsables acceptent leurs filles avec ces types de coiffures.

Tandis que celles qui ne peuvent pas se procurer un tel papier usent des moyens du bord.

« Pour éviter que mon problème s’aggrave, explique Sheelove Day Odelcy, je me coiffais en petites nattes collées avec le peu de cheveux qu’il me restait. Je les gardais au moins une semaine. Cela les a aidés à repousser. »

Or selon Jennifer Jean, dès qu’une jeune fille commence à avoir les tempes dégarnies, elle peut se sentir moins jolie. Elle-même, elle se voyait différemment. « Je ne subissais pas de discriminations venant des autres, mais je me tracassais parce qu’en tant que femme, avoir une belle tête revient à avoir des cheveux en santé », dit-elle. Ainsi, voir ses cheveux tomber en sachant qu’il est possible qu’ils ne repoussent plus affecte l’estime de soi de quelqu’un.

L’alopécie, les pointes fourchues ou trichoptilose font partie des maladies des cheveux les plus fréquentes. Il s’agit de cheveux qui sont fragmentés. « C’est surtout l’usage de brosses de mauvaise qualité qui en est responsable », explique Célestin.

En plus des peignes aux dents serrées, les brosses dont les fibres sont en plastique sont des matériels de très mauvaise qualité. Elles sont cependant les plus commercialisées sur le marché. Ce sont donc les plus utilisées par les élèves et leurs parents.

« Des barrettes qui font que les cheveux paraissent plus longs » sont aussi prisées par les jeunes filles. Mais tout cela contribue à abîmer les cheveux et à rendre malade le cuir chevelu.

Ce serait mieux d’utiliser des brosses en poils de sanglier et des démêloirs, selon le spécialiste. Mieux adaptés à certains types de cheveux, ces matériels permettent entre autres de les démêler avec délicatesse. La brosse en poils de sanglier assure également une bonne répartition du sébum, essentiel à la protection de la fibre capillaire.

Je ne subissais pas de discriminations venant des autres, mais je me tracassais parce qu’en tant que femme, avoir une belle tête revient à avoir des cheveux en santé

Également, pour laisser du repos à leurs cheveux, des écolières portent des multitresses pour les vacances d’été. « Mes cheveux peuvent respirer un peu, estime Mithnie Odelcy. Mais à la rentrée, il faudra revenir à des coiffures plus académiques, et je sais que mes cheveux en paieront le prix. »

 

Image de couverture : Une jeune fille souffrant d’alopécie au niveau des tempes et à l’arrière du crane. Carvens Adelson / AyiboPost

Photos: Carvens Adelson / AyiboPost

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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