Des cas critiques de famine se font sentir et la baisse des activités génératrices de revenus aggrave leur situation
Près de 50 % des 95 familles installées dans le village Guy Alexandre de Petite-Rivière de l’Artibonite, après leur déportation de la République Dominicaine entre 2015 et 2016, ont déserté l’espace en raison du délaissement de l’État et de l’insécurité. C’est ce que révèle à AyiboPost Valéry Vital-Herne, responsable de relations publiques de Food For The Poor, l’organisation œcuménique qui a construit les maisons du village sur un terrain de 32 hectares avec l’autorisation de l’État haïtien en 2015.
Maxo, quinze ans, ainsi que sa famille se sont installés au village Guy Alexandre en 2016 après leur expulsion de la république voisine en 2015. L’adolescent et sa famille vivaient à Barahona quelques années avant leur déportation. «Nous ne vivions pas si bien que cela», dit-il. «Mais nous avons pu tenir le coup».
Près de 50 % des 95 familles installées dans le village […] ont déserté l’espace en raison du délaissement de l’État et de l’insécurité.
Aujourd’hui, toute la famille envisage un départ impossible en raison de leur pauvreté, dans un environnement où les gangs semblent tout-puissants lorsqu’ils envahissent une partie des terrains cédés par l’État à Food For The Poor, forçant les occupants du village à cohabiter avec eux.
Des milliers de descendants de migrants haïtiens, nés depuis 1929, sont privés de la nationalité dominicaine et déportés vers Haïti, suite à l’arrêt TC 168-13 de la cour constitutionnelle dominicaine, rendu en septembre 2013. Cette décision discriminatoire rend apatrides plus de 250 000 Dominicains et Dominicaines d’origine étrangère.
Les expulsions ont atteint leur apogée entre août 2015 et mai 2016. Selon une note d’Amnesty International, l’Organisation internationale pour la migration (OIM) estimait que plus de 40 000 personnes, y compris des centaines d’enfants non accompagnés, avaient été expulsées.
Cette décision discriminatoire rend apatrides plus de 250 000 Dominicains et Dominicaines d’origine étrangère.
C’est dans ce contexte que l’État haïtien a octroyé 32 hectares de terre à l’organisme Food For The Poor, du côté de K-Cité à Petite-Rivière de l’Artibonite, dans le but de reloger 95 familles déportées qui vivaient dans des camps de fortune à Anse-à-Pitre et Fond-Bayard.
Aujourd’hui, ce village ne se porte pas bien. Des maisons sont abandonnées sur des terres arides, des espaces de formation sont fermés, des cas critiques de famine se font sentir et le déclin des activités génératrices de revenus sont autant de difficultés qui alourdissent la situation. De surcroît, des bandits armés s’emparent de plus en plus des terrains de la zone.
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Au début de l’année 2023, par exemple, certains habitants ont dû fuir le village lors des assauts répétés de groupes de gangs dans la commune de Petite-Rivière de l’Artibonite. Ils étaient sous la menace constante de gangs cherchant à accaparer l’espace pour étendre leur influence.
De surcroît, des bandits armés s’emparent de plus en plus des terrains de la zone.
Un fait confirmé par Vital-Herne, responsable de Food For The Poor : «Selon nos données, des individus armés ont commencé à s’emparer des terrains dans la zone à partir de 2020».
Olmy Joseph, menuisier, vit dans le village depuis que des bandits ont pillé puis brûlé sa quincaillerie de Carrefour Lavil, une localité de Petite-Rivière, en 2020. « Il n’y a pas de vie dans le village, surtout pour les rapatriés», dit-il d’une voix à peine audible.
Au cours des années 2019 et 2020, les habitants du village recevaient de l’aide. «Maintenant, ce n’est plus le cas», soupire Clercine Étienne, une résidente du site.
Le projet du Village, à caractère humanitaire au départ, a aidé à l’autonomisation et la structuration des familles rapatriées, explique Valéry Vital-Herne lors d’un entretien avec AyiboPost. L’initiative a permis l’implantation d’infrastructures telles que des maisons, des centres de formation (menuiserie, arts, etc.) ainsi que l’aménagement d’espaces agricoles et d’élevage pour les nouvelles familles.
Cependant, la continuité du projet est au point mort.
Aujourd’hui, ce village ne se porte pas bien.
L’artiste Jean Louis Delouis tenait un atelier de métal découpé au village en 2018. «L’initiative a bien démarré», dit-il. Un jeune homme a commencé à apprendre aux côtés de l’artiste. «Malheureusement, tout s’est arrêté » en raison du délaissement des lieux, témoigne Delouis.
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Les responsables de Food For The Poor ne peuvent plus se rendre régulièrement sur les lieux. «Depuis plus de deux ans, les habitants ne reçoivent plus de rations sèches, car nous ne pouvons pas acheminer d’aide en camion aux villageois», explique Vital-Herne.
Les habitants du village ont participé à la mise en place d’un Comité de Leadership Local pour aider notamment à résoudre les cas critiques d’insécurité alimentaire. Bon nombre d’entre eux font face à une situation de famine aiguë qui nécessite une intervention d’urgence.
Les responsables de Food For The Poor ne peuvent plus se rendre régulièrement sur les lieux.
«Les routes sont bloquées. Il y a deux ans, des employés de Food For The Poor ont été victimes de kidnapping», fait savoir Jean Exantus, responsable du Comité de Leadership Local.
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Contactée par AyiboPost, l’organisation a précisé qu’effectivement un employé avait été enlevé dans le département de l’Artibonite, mais ce dernier n’était pas en exercice de ses fonctions.
Vital-Herne souligne que lors du dernier recensement effectué en 2022, il ne restait que 45 familles rapatriées dans le village. La plupart sont composées de personnes âgées et handicapées. Ceux qui y restent survivent au jour le jour. «Certains d’entre eux s’adonnent à la vente de sable du fleuve de l’Artibonite, aux petits commerces et à l’agriculture », poursuit Jean Exantus.
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