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De quoi parle Freda, le nouveau film que réalise Gessica Généus ?

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« Freda » est le nom du nouveau film de Gessica Généus. Cette fiction brosse le portrait de trois femmes en exposant leurs histoires et les choix difficiles qui ont ponctué leur existence

Tout d’abord, Freda ne fait pas forcément référence à l’esprit vaudou très connu et vénéré en Haïti précise Gessica Généus. Il n’est que le prénom du personnage principal du film. Un nom comme tous les autres, assure Généus.

Le film est produit principalement, par trois boîtes de production, Ayizan prod. (Haiti), Sanosi prod. (France) et Merveille prod. (Bénin). Le long métrage avait trois producteurs au début. En cours de route, un producteur belge et un autre Polonais ont rejoint l’équipe. Mais c’est encore Jean-Marie Gigon, producteur de Douvanjou ka leve, qui est en charge.

Freda (Néhémie Bastien) est une jeune femme qui vit avec sa famille. Cette famille est composée de sa mère, Janette (Fabiola Remy), de sa sœur Esther (Djanaïna François), et de son petit-frère Moïse (Kerven Cantave). Ils vivent tous ensemble, au bas de la ville, dans un quartier populaire. Populaire dans le sens qu’il y a du monde, que c’est vivant, qu’il y a de la précarité, mais ce n’est pas extrême. Dans le casting, il y a Géraldine (Gaëlle Bien-Aimé), la cousine de Freda, Marlène (Paula Clermont) sa tante, Yeshua (Jean Jean) le petit ami et D-fi (Rolaphton Mercure) jeune chanteur fougueux et révolutionnaire.

De quoi parle le film ?

On part d’un moment, un premier novembre, entre 2017 et 2018, lors de la fête des Gede (des morts). Et là, il y a une fusillade dans le quartier, la mère est très inquiète. Elle cherche un moyen de quitter la zone avec ses enfants. Alors, elle tente de faire voyager son fils et de caser sa fille Esther avec un homme riche. Et cet homme aura les moyens de s’occuper d’elle et de la famille aussi par ricochet.

Pour Jean-Marie Gigon, Freda est un film qui parle de notre propre conditionnement et comment le transcender. Il poursuit en disant : « Le film montre que même si tout devient compliqué […], mais parce qu’on se rassemble et que la famille est le lieu de l’amour et de la construction, on continue. » Et il insiste pour dire que ce film va intéresser beaucoup de monde, et beaucoup voyager. Parce que son histoire parle des préoccupations universelles et qu’il a gardé toute son identité.

Ce projet de film, Généus raconte qu’elle l’avait depuis longtemps. Elle nourrissait le désir d’écrire une histoire de femmes qui se passe en Haïti, mais ne s’était pas encore lancée. En septembre 2018, elle a vraiment commencé à travailler l’histoire de Freda.

Photo: Hervia Dorsinville / Ayibopost

Freda l’héroïne

Néhémie Bastien (Freda) ne cache pas d’avoir eu le tract au début sur le plateau. Pourtant, elle affirme aussi que l’équipe a été incroyable avec elle, presque une grande famille avec beaucoup d’amour pour Freda. La jeune femme fait actuellement sa première expérience en tant qu’actrice, mais ce ne fut pas difficile pour elle d’entrer dans la peau de son personnage. Elle raconte : « Ma mère est morte quand j’avais cinq ou six ans, je n’ai pas eu vraiment de relation avec elle. La seule chose que je me rappelle, c’est qu’elle est devenue folle avant de mourir. »

 

Cette joyeuse comédienne, qui a charmé le Festival 4 chemins, révèle au sujet de son rôle que Freda est une jeune femme qui a beaucoup de problèmes avec sa mère. Le film aborde les questions de précarité, d’accomplissement de soi, d’insécurité, des différences d’accès et de couleur.

« J’en ai fait d’elle une héroïne, mais dans la façon dont je comprends ce terme, c’est-à-dire que ce n’est pas une personne parfaite qui ne fait pas d’erreurs », scande Généus. Freda fait des choix moins évidents et plus difficiles que les autres. Et cela peut donner la perception qu’elle est plus forte que sa sœur Esther et sa cousine Géraldine. Ce personnage créé existe dans notre quotidien, la réalisatrice tenait à rester dans la justesse.

Néhémie Bastien (Freda) en plein tournage au restaurant Quartier Latin à Pétion-Ville

Durant toute cette histoire où les personnages essaient de survivre par tous les moyens dont ils disposent, Généus, dit vouloir offrir une Freda fidèle à elle-même. La réalisatrice dépeint une Freda qui veut rester intègre avec ses valeurs, malgré le fait que la situation économique, politique et sociale ne lui donne pas l’espace pour être cette personne. « Elle essaie de marcher droit sur une ligne brisée, décrit Généus au sujet de Freda. “Donc, elle est celle qui veut aller à la faculté, qui a des convictions, qui est très impliquée dans des mouvements d’étudiants et qui a son point de vue aussi.”

Pas de méchants ou de bons

Il s’agit donc d’un portrait de famille avec des femmes et des hommes qui font des choix. Généus propose à ses spectateurs d’entrer en pleine course dans l’histoire de cette famille. Elle dit ne pas offrir un commencement et une fin pour le film. Mais plutôt, une fenêtre ouverte sur la vie de cette famille. Dans le sens que ce n’est pas le schéma classique avec une intrigue et des protagonistes bons ou méchants, clairement identifiables.

Le rôle d’Esther pour Djanaïna François, n’a pas été facile, car elle se décrit comme une personne réservée au contraire de son personnage qui est très animé. Esther assume clairement sa sexualité, elle sait se mettre en valeur et user de ses atours. Elle est très ambitieuse et utilise des moyens peu catholiques pour arriver le plus rapidement à ses fins.

À travers le contraste entre Freda et Esther, Généus propose d’exposer au public une succession de choix humains pris par les personnages. Montrer comment chacun peut répondre différemment face à une difficulté. “La précarité ne fait pas forcément réagir tout le monde de la même façon, ajoute la réalisatrice. Elle ne met pas tous les gens dans une situation où ils doivent rejeter ce qui est fondamental pour eux en termes de valeurs et de convictions.”

Le film présente des humains, du haut de leurs faiblesses, qui font des erreurs et ont la capacité d’apprécier la vie. Des personnes qui sont arrivés à transcender leur milieu, la perception des autres sur eux. Ils ne sont plus en colères contre le reste du monde parce qu’ils accusent l’autre de tous ses malheurs. “Cela ne m’intéresse pas de présenter des gens qui n’ont pas de nuances, je suis toujours dans le gris”, déclare Généus les yeux écarquillés.

Freda est aussi un projet féministe

« Ce film est une manière de dire comment devenir femme dans une société aussi machiste que la nôtre. Également, comment s’élever face aux traumatismes qu’on a subis dans notre enfance, comme le viol. Comment s’élève-t-on de ces blessures, dans notre corps en tant qu’être humain ?» La réalisatrice précise que ce n’est pas du militantisme, et que le caractère féministe de son film est un choix humain.

Djanaïna François est ravie de jouer le rôle d’Esther, car le film offre des femmes avec plusieurs dimensions. Elle critique le cinéma traditionnel qui dans l’écriture des personnages féminins reste dans la caricature, sans profondeur et évacue toute complexité. Elle apprécie les nuances de gris apportés par le personnage d’Esther.

Pour Généus, Freda, c’est elle. D’ailleurs la réalisatrice avoue que cette histoire est aussi la sienne. Parce que le film est inspiré de sa propre histoire. Comme Freda ou Esther, elle a aussi connu la précarité. Freda est aussi toutes les femmes, elle est nous. Ses choix et ceux de sa sœur ou de sa cousine seront exposés, sans aucun jugement, dans l’idée de permettre au public de mieux comprendre comment elles sont devenues les femmes qu’elles sont aujourd’hui.

 

La réalisatrice admet aussi qu’il y a un point de vue, qu’elle n’est pas totalement neutre. Ce point de vue prend forme, selon sur où et sur qui la caméra est posée. Mais il ne concerne pas comment la réalisatrice manipule l’histoire pour montrer ce qu’elle veut. Maintenant, est-ce que ce sont nos choix qui définissent notre nature ou c’est notre nature qui dicte nos choix ? La réalisatrice espère que le film tentera de répondre à cette interrogation.

Les femmes sont au cœur de ce film, elles en sont toutes les personnages principaux. Le regard est plus posé sur elles. Les hommes sont aussi présents, mais ils y sont en rapport avec ces femmes. Les histoires des hommes dans Freda sont racontées à partir de ceux des femmes. Et même au niveau du choix des techniciens, ou au niveau du staff, Généus explique qu’elle a vraiment essayé de prioriser les femmes.

Des moments intenses en équipe

Moi, je suis une enfant de la fiction”, déclare la réalisatrice en riant. Elle cherche à laisser vivre son histoire, pour cela, elle dit intervenir que quand c’est nécessaire. La caméra est libre de filmer, les acteurs ont le temps de s’imprégner de leur rôle. Le scripte est sujet à de nombreux ajustements, des retouches qui lui viennent sur le lieu du tournage. Le tournage devient un moment de réécriture du scénario.

Par exemple, cela lui arrive d’enlever un dialogue de peur que cela devienne redondant par rapport à la force de l’image qui vient d’être filmé. Et en cours de tournage les acteurs reçoivent des instructions pour s’assurer de la continuité de l’intrigue.

En tout, ils sont une équipe de 25 personnes, parmi eux cinq Français. Parfois, raconte Généus, ils peuvent être 130 sur le plateau lorsqu’il y a des figurants. Djanaïna François, est à sa première expérience avec une équipe haïtienne. Avec le sourire elle déclare : “Je me sentais chez moi”.

Mais tout ne fut pas une partie de plaisir. Généus et son équipe ont eu leur lot de soucis. Premièrement, parce qu’il leur manquait de l’argent, le tournage a failli être annulé à une semaine de son lancement. À cause du manque de financement, il leur fallait rester fermes sur certaines décisions, comme pour que le film reste 98 % en créole.

Deuxièmement, la situation sociopolitique du pays les a souvent obligées à reconsidérer le projet. Il y avait la nouvelle de deux étrangers tués devant leur hôtel à Port-au-Prince ou l’ambassade de France qui a mis Haïti sur la liste rouge. En plus, pour son entrée dans le monde de la fiction, Généus a fait son repérage en plein peyi lòk. Cette femme a dû mettre son pied dans l’eau, pour Freda.

Hervia Dorsinville

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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