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De plus en plus d’adolescents atteints du VIH en Haïti

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L’inquiétude monte avec la multiplication des cas de viols et le changement de pratiques sexuelles des jeunes

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Un tourbillon d’émotions happe la ménagère quand elle apprend le statut séropositif de sa fille de dix-sept ans au début du mois de juillet 2024.

D’abord du scepticisme.

L’adolescente n’avait qu’une fièvre soutenue.

Puis des infections interminables.

Puis une cascade de malaises.

Quand la dame de 37 ans apprend finalement la cause profonde de cette succession de maladies, elle isole la jeune fille et menace de l’expulser des deux pièces louées à Delmas pour la famille de quatre.

« Je l’ai encouragée à terminer ses études classiques, à attendre qu’elle apprenne un métier avant de penser au sexe », déclare la fervente protestante dans un débit saccadé, résolue : « Je ne veux plus avoir aucun lien avec elle. »

Il reste difficile d’obtenir des chiffres exacts sur l’infection des jeunes au VIH en Haïti.

Des dizaines de centres de dépistage sont fermés ou fonctionnent difficilement dans la région métropolitaine de Port-au-Prince à cause de la violence des gangs.

Mais les spécialistes redoutent une augmentation des cas, en raison de la violence sexuelle systématique pratiquée par les gangs.

Je l’ai encouragée à terminer ses études classiques, à attendre qu’elle apprenne un métier avant de penser au sexe. Je ne veux plus avoir aucun lien avec elle.

Les changements dans les pratiques sexuelles des jeunes préoccupent également, dans un contexte de précarité économique, de faible investissement dans les campagnes de sensibilisation et des occurrences de cas de transmission des mères aux enfants.

Lire aussi : Plus d’un millier de patients séropositifs sans médicaments à P-au-P

À Delmas 41, l’association Foyer Lakay Jèn assiste des jeunes séropositifs, jusqu’à 24 ans.

Lors de son lancement en septembre 2023, Folaj+ accompagnait 157 enfants séropositifs.

En 2024, ce chiffre passe à 202.

Selon les responsables, la majorité de ces enfants proviennent de zones sous le contrôle des gangs, telles que Canaan, Cité-Soleil, Carrefour-Feuilles, Croix-des-Bouquets ou Pernier.

« Nous avons des cas d’infections issus de viols commis par des bandits, des transmissions mère-enfant et des parents morts du VIH-SIDA », révèle à AyiboPost Marie Dominique Beauzil, directrice exécutive et fondatrice de Folaj+.

L’hôpital universitaire La Paix de Delmas 33 prend dans les mêmes foyers de violences une partie des enfants touchés par le VIH, selon les décomptes d’avril 2024.

Deux ans plus tôt, la Banque Mondiale estimait à 6 500 le nombre d’enfants de zéro à quatorze ans vivant avec le VIH-SIDA dans le pays.

Selon les constats de l’institution, les décès liés à la maladie avaient été réduits respectivement de 21 % puis de 75 % entre 2010 et 2022.

Ces chiffres peuvent être dépassés aujourd’hui, craignent des spécialistes.

Nous avons des cas d’infections issus de viols commis par des bandits, des transmissions mère-enfant et des parents morts du VIH-SIDA.

Le Groupe haïtien d’étude du syndrome de Kaposi et des infections opportunistes participe activement aux luttes contre le VIH-SIDA depuis plusieurs décennies.

Ces campagnes placent Haïti parmi les modèles mondiaux dans la lutte contre le virus.

Aujourd’hui, GHESKIO (Groupe Haïtien d’Étude  sur le Sarcome de Kaposi et les Infections Opportunistes) observe une augmentation des nouveaux cas d’infections, particulièrement chez les adolescentes, selon son responsable Bernard Liautaud.

En 2022, le centre assistait 163 nouvelles infections pour les tranches d’âge allant de 10 à 24 ans, avec 38 hommes et 125 femmes.

Ceci représentait une hausse par rapport à 2021, où l’institution de plus de 20 000 patients avait recensé 127 nouveaux cas – 30 hommes et 97 femmes – dans cette catégorie.

« Je suis inquiet », déclare Liautaud, épidémiologiste et également cofondateur du centre.

Aujourd’hui, GHESKIO observe une augmentation des nouveaux cas d’infections, particulièrement chez les adolescentes, selon son responsable Bernard Liautaud.

La transmission mère-enfant du VIH reste un vecteur majeur de propagation.

Elle est estimée à 9,1 % en 2021 par l’Unicef dans un pays où 60 % des accouchements se font sans assistance médicale qualifiée.

Un manque d’éducation et l’impossibilité pour certaines femmes de se rendre aux hôpitaux seraient à la base des cas de ce type de transmission, pense le formateur Emmanuel Dumesle.

Le centre de santé de la Croix-des-Bouquets accompagne près de 1 300 patients séropositifs.

Ce chiffre comprend 69 enfants, dont 52 sont âgés de zéro à quatorze ans, relate Emmanuel Dumesle, psychologue en prise en charge des personnes séropositives de l’institution.

Le site assure également la surveillance de 128 autres enfants exposés aux risques du VIH-SIDA.

Ces enfants ont au moins un parent séropositif au virus.

Autrefois, la structure sanitaire recevait des enfants d’orphelinats de la zone. Mais ces transferts sont perturbés par l’insécurité.

Le centre de santé de la Croix-des-Bouquets accompagne près de 1 300 patients séropositifs.

Une enquête d’AyiboPost sorti en avril dernier a révélé que plusieurs centaines de patients séropositifs ne pouvaient obtenir de médicaments à cause de l’insécurité.

La majorité des hôpitaux ne font plus de test de dépistage à cause du climat sécuritaire du pays, poursuit à AyiboPost un médecin de l’Hôpital Communautaire de Référence Dr Ary Bordes de Beudet dans la même localité.

L’établissement – perturbé par les violences causées par le gang 400 Mawozo – a érigé des sites satellites à Santo pour prodiguer des soins à environ 233 patients.

Un millier d’autres patients sous assistance proviennent d’un autre site, selon Junior St Fleur, un des médecins de la structure.

L’inquiétude d’une accélération des cas d’adolescents touchés par la maladie atteint également Notre-Dame sur la route de Frères.

Cet hôpital assiste près de 400 patients, dont deux enfants.

L’apparente augmentation observée dans d’autres centres de Port-au-Prince peut être due à la réduction du nombre d’agents de sensibilisation.

Ces derniers ne peuvent plus se rendre sur le terrain et les jeunes expérimentent de nouvelles pratiques sexuelles sans protection, analyse un médecin proche de l’hôpital Notre-Dame.

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Reprendre en main le problème de la propagation du VIH-SIDA en Haïti demande un investissement dans les infrastructures.

Les gangs ont, par exemple, vandalisé la plupart des centres hospitaliers de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, parmi lesquels figurent onze sites d’un réseau de distribution de soins vitaux liés au VIH-SIDA.

Une bataille contre les mythes doit parallèlement être engagée, selon des spécialistes.

Certains patients minimisent la maladie, qu’ils associent à la sorcellerie et à d’autres croyances superstitieuses, remarque Junior St Fleur, un médecin de l’Hôpital Communautaire de Référence Dr Ary Bordes de Beudet.

La réintroduction de campagnes de sensibilisation et la distribution massive de préservatifs aux plus jeunes sont aussi préconisées.

« On doit instruire les jeunes à une sexualité responsable », affirme Beauzil.

« Cette génération doit pouvoir évaluer les risques de leurs actes et prendre de meilleures décisions », déclare le spécialiste ayant plus de vingt ans dans la lutte contre le VIH en Haïti.

Les mentalités doivent aussi évoluer sur la sexualité.

Des parents et leaders religieux prêchent l’abstinence, mais les jeunes expérimentent le sexe parfois très tôt.

L’adolescente de Delmas par exemple entretenait plusieurs partenaires, mais avait peur d’en parler à sa mère.

Quand cette dernière prend connaissance de l’infection au VIH, elle décide de ne plus payer l’écolage de la jeune fille.

Elle demande également aux enfants de ne pas manger ses restes et de ne pas boire dans son verre.

Désormais, la demoiselle doit dormir seule à même le sol de la cuisine.

On doit instruire les jeunes à une sexualité responsable.

Marie Dominique Beauzil

Les recherches démontrent qu’un individu atteint du VIH peut cohabiter avec ses proches.

Mais la dame ne veut pas prendre de risques. « J’ai très peur de cette maladie, dit-elle. Je ne veux pas vivre au même endroit qu’elle et je ne souhaite pas que les deux autres enfants attrapent le virus. »

L’employeur de la dame avait aidé dans les démarches médicales.

Spécialiste en éducation, elle dit avoir connaissance d’au moins trois cas similaires cette année.

La professionnelle propose l’introduction d’un certificat d’aptitude sexuelle en Haïti. Elle, ainsi que la mère, demande l’anonymat pour protéger sa vie privée.

« On a besoin de l’éducation à la sexualité pendant les vacances, poursuit-elle. Les ministères de l’Éducation et de la Santé doivent s’impliquer. »

Par  Jérôme Wendy Norestyl  et  Widlore Mérancourt

Image de couverture : Une scientifique examine attentivement un rack de tubes à essai dans un laboratoire. | freepik

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Journaliste-rédacteur à AyiboPost, Jérôme Wendy Norestyl fait des études en linguistique. Il est fasciné par l’univers multimédia, la photographie et le journalisme.

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