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Dans l’Artibonite, des femmes luttent contre la faim avec les déchets de riz

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Les moins favorisées économiquement sont frappées de plein fouet par la baisse de la production du riz, à cause de la sécheresse qui sévit depuis quelque temps

Francess Amilcar habite une maisonnette décrépie qui tient encore debout par miracle. Devant ce qui lui sert de cour, un petit canal laisse couler une eau jonchée de déchets. Cette eau est une ressource chère et de moins en moins accessible pour les paysans de l’Artibonite qui en dépendent pour produire du riz.  

Amilcar vit à une heure de route des Gonaïves, un peu à la sortie de l’Esther. Elle n’est pas planteuse, mais c’est grâce au riz qu’elle essaie de survivre, elle, ses enfants et son concubin Zamor Joseph. 

« Mon compagnon et moi ne possédons pas de terres, et nous devons travailler. Lui, il se fait vieux, et il est de moins en moins sollicité sur les plantations. Alors, pour continuer de nous nourrir, à la fin des récoltes, je récupère dans les champs la paille de riz abandonnée, pour en tirer un maximum de grains», déclare Amilcar.

Beaucoup d’autres femmes s’adonnent à ce glanage dans les champs, pour se faire un peu d’argent.

Maison de Francess Amilcar. Photo : Melissa Beralus / AyiboPost

Bien qu’elles soient très présentes dans la riziculture en Haïti, les femmes ne sont pas récompensées à la hauteur de leur participation. Par exemple, leur journée de travail se paie moins cher que celle des hommes.  

Bien qu’elles soient très présentes dans la riziculture en Haïti, les femmes ne sont pas récompensées à la hauteur de leur participation.

Les rôles sont bien précisés. Pour l’abattage, ce sont les hommes qui s’en occupent. Ils sont payés 750 gourdes par les propriétaires des champs. Les femmes, elles, s’adonnent au nettoyage. Elles trient les déchets qui se sont mélangés au riz lors de la récolte. A l’aide d’un van, elles enlèvent les pailles et les cailloux pour seulement 250 gourdes la journée. Glaner devient alors une forme de survie. Mais à cause de la baisse de la production dans la vallée, cette survie est de moins en moins assurée. 

Glaner pour survivre

La vallée de l’Artibonite est une vaste plaine de 28 000 hectares irrigués. C’est la plus importante zone rizicole du pays. Elle concentre plus de 50% des superficies plantées en riz dans le pays. Cette vallée, appelée le grenier d’Haïti, est importante pour l’agriculture haïtienne. L’agronome Yvon Étienne travaille avec les paysans, au sein de l’Organisation pour le développement de la Vallée de l’Artibonite. Il affirme que les femmes participent à au moins 35% dans la chaîne de production du riz à la vallée. 

La vallée de l’Artibonite concentre plus de 50% des superficies plantées en riz dans le pays.

« Elles sont présentes de la mise en boue jusqu’à la récolte. Certaines participent à la transformation du riz paddy au riz blanchi. La commercialisation du riz blanchi est assurée à 90% par des femmes. Ces madan sara achètent le riz à la récolte, sur la parcelle même», explique l’agronome. 

Mais toutes n’ont pas les moyens d’acheter et de revendre le riz en grande quantité. Les moins favorisées économiquement sont frappées de plein fouet par la baisse de la production du riz, à cause de la sécheresse qui sévit depuis quelque temps. 

Salira Lucius (en couverture), une mère célibataire qui pratique le glanage dans les champs de riz. Photo : Melissa Beralus / AyiboPost

C’est le cas de Salira Lucius. Mère célibataire dont les trois fils sont agriculteurs dans les champs de riz, elle se plaint de la faim qui tenaille les habitants de la vallée. Elle aussi s’adonne au glanage pour subsister. Cette année la récolte a failli être lamentable. « Depuis quelques jours nous avons reçu de la pluie, et c’est cela qui l’a sauvée », dit-elle. Elle attend maintenant que le travail des paysans soit fini, pour faire sa propre récolte. 

Si elle est chanceuse, Lucius amasse jusqu’à deux ou trois grosses marmites de riz, qu’elle ramène chez elle pour sa consommation. Dans le meilleur des cas, si elle glane un demi-sac de riz, elle revend l’excédent au marché. Mais cela arrive rarement. 

Pourtant, même cette activité de subsistance est progressivement mise en péril. Les propriétaires de champs de riz, ayant identifié une source supplémentaire de revenus, insistent désormais pour leur vendre la paille, jusque-là considérée comme un rejet. La paille leur coûte plus de 500 gourdes, alors qu’elles ne sont même pas sûres de « récolter » assez pour que le glanage soit rentable.  

L’eau se raréfie

C’est le fleuve Artibonite qui irrigue la vallée. Mais d’après certains paysans, ce fleuve est un levier que des acteurs politiques manient à leur guise.  Zamor Joseph, paysan, conjoint de Francess Amilcar, assure que c’est à l’approche des élections que les politiciens se soucient du fleuve.

« Il y a subitement des travaux d’irrigation afin de nettoyer les canaux, dit-il. Pourtant, d’habitude, ce sont nous autres paysans qui les nettoyons, avec les moyens du bord, pour trouver un peu d’eau et sauver nos récoltes. »

Zamor Joseph, paysan, conjoint de Francess Amilcar. Photo: Melissa Beralus / AyiboPost

L’eau du fleuve est primordiale pour le riz. Et quand il n’y en a pas assez, la production diminue et menace le travail des femmes, glaneuses et revendeuses. Lucius témoigne du prix de la marmite de riz qui a augmenté à un rythme vertigineux. Aujourd’hui, elle se vend jusqu’à 750 gourdes, alors qu’il n’y pas si longtemps le prix ne dépassait pas les 500 gourdes. 

C’est à l’approche des élections que les politiciens se soucient du fleuve, selon Zamor Joseph, paysan

La sécheresse participe aussi à détruire les récoltes. Haïti, par sa position géographique, est soumis à deux saisons: une pluvieuse, une sèche. La saison pluvieuse remplit le lit des rivières qui à leur tour, grâce à l’irrigation, protègent les plantations de la saison sèche. Mais durant l’année 2021, il n’a presque pas plu à l’Artibonite. Cela a occasionné de grandes pertes pour les agriculteurs. 

L’engrais inaccessible 

L’engrais est une autre piste pour comprendre la baisse de la production de riz dans la vallée de l’Artibonite. Les prix de ces intrants ont augmenté, les rendant inaccessibles à une partie des planteurs qui en sont dépendants. Comme l’engrais est devenu rare, les récoltes sont de plus en plus maigres. Les propriétaires des champs emploient alors moins de main-d’œuvre, et les premières sacrifiées sont les femmes. 

En huit ans, le prix de l’engrais a quintuplé.

Selon plusieurs paysans dont Joseph, en huit ans, le prix de l’engrais a quintuplé. Le sac coûtait 1 500 gourdes en 2014. Aujourd’hui, il est à 7 500 gourdes. De plus, il leur revient cher à cause de la quantité qu’il leur faut car certains riz demandent plus d’engrais que d’autres.

C’est le cas du TCS, un riz taiwanais qui nécessite plusieurs sacs d’engrais pour bien « rendre ». « Dans de bonnes conditions, ce riz peut rendre jusqu’à sept tonnes à l’hectare. Tandis que les riz locaux n’en rendent que deux à trois tonnes, ce qui n’est pas assez. Alors pour produire plus, les planteurs se sont jetés à la course aux engrais », explique Museau Herault, agronome. 

Engrais utilisé dans les champs de riz. Photo : Melissa Beralus / AyiboPost

Certains engrais sont en outre connus pour être possiblement cancérigène. Ils détruisent aussi le sol où ils sont utilisés.

Selon l’agronome Hérault qui travaille sur les dangers de l’engrais chimique sur le sol haïtien, il y a des risques pour que dans un proche avenir, le sol de la vallée de l’Artibonite ne puisse plus produire de riz. La plupart des engrais utilisés sur ce sol ces 50 dernières années contiennent, en plus de l’azote ou du potassium, primordial pour la culture, beaucoup de déchets, qu’il faut laisser au sol le temps d’évacuer.  

L’agronome Yvon Etienne précise tout de même que l’utilisation de l’engrais en Haïti est bien moins dangereuse que l’utilisation d’engrais pour le riz américain. A cause de mesures prises par l’Etat haïtien dans les années 1990, dont l’abaissement considérable des tarifs douaniers sur certains produits étrangers, c’est le riz qui vient des Etats Unis qui est le plus consommé en Haïti. Cela a créé une compétition défavorable aux paysans qui n’arrivent pas à suivre la cadence. 

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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