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Opinion | Corruption et impunité : deux défis majeurs à relever pour le nouveau gouvernement

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Le binôme corruption-impunité est l’ossature qui détermine les décisions politiques, enchaîne le pays dans la misère, l’injustice sociale et la criminalité. Pour rassurer la population, le Premier ministre Garry Conille doit envoyer des signaux clairs

Après des décennies de mauvaise gouvernance, le pays s’effondre. La population haïtienne subit les actes criminels des gangs armés tandis que les pouvoirs publics timorés admettent leur totale impuissance en implorant l’intervention d’une force étrangère, une aide qui tarde à venir.

Désillusionnée, la population a cessé de croire aux gouvernements qui, bien que se succédant, ont affiché la même cruelle indifférence à ses revendications.

Cette méfiance généralisée l’a conduite à ne pas croire en l’avenir du pays.

Pourtant, tout citoyen aussi désabusé soit-il, doit combattre l’apathie et rester engagé notamment dans la lutte contre la corruption et l’impunité.

Il en va de la préservation de ses droits et libertés, voire de sa survie.

D’autant plus qu’en l’absence d’autorités légitimes, d’un Parlement et d’institutions solides, il existe un risque élevé que les autorités constituées dérivent et aggravent par leurs actions les conditions de vie, déjà exécrables, des citoyens.

Désillusionnée, la population a cessé de croire aux gouvernements qui, bien que se succédant, ont affiché la même cruelle indifférence à ses revendications.

Dans la situation actuelle, cet engagement implique de demeurer alerte dès les premières décisions prises par le nouveau Premier ministre, chef du Gouvernement et responsable de conduire la politique de la nation.

Les premiers signaux lancés par les plus hautes autorités de l’État n’ont pas été très rassurants : la non-publication de l’accord politique portant création et fonctionnement du Conseil Présidentiel de la Transition (CPT) ouvre le libre champ à l’arbitraire et semble cacher une intention d’agir en dehors des stipulations dudit accord, intention qui s’est d’ailleurs révélée par le non-respect du mode de prise de décision basée sur le consensus par des membres du CPT, marionnettes de certains groupes qui ont manœuvré pour contrôler le Conseil ; la suppression de certains garde-fous parmi les critères d’accès aux plus hautes fonctions politiques ; l’intégration de personnalités controversées, comme d’anciens hauts fonctionnaires et ministres associés au récent échec du Gouvernement déchu.

À cela s’ajoute le mode d’arrangement ou de négociation qui a conduit au choix des membres du gouvernement et qui favorise la corruption de proximité.

La politique a encore ses raisons que la raison ignore. Les décideurs pataugent sans résister dans un écosystème politique corrompu.

Faut-il encore rappeler les méfaits de ces pratiques caractérisées par la corruption ?

L’État devient par leurs effets le lieu des intérêts particuliers et de petits groupes, où chacun se sert au lieu de servir la population. L’État est donc marchandé et n’est plus qu’un « vecteur de redistribution et non de création de richesse ou de développement ».

La non-publication de l’accord politique portant création et fonctionnement du Conseil Présidentiel de la Transition (CPT) ouvre le libre champ à l’arbitraire et semble cacher une intention d’agir en dehors des stipulations dudit accord.

Le corollaire de cette corruption, qui pollue tout, est l’impunité qui, elle-même, enracine les mauvaises pratiques et scelle l’omniprésence des corrompus dans les sphères du pouvoir.

Ces derniers ont une grande capacité à se faufiler dans le cercle intime des autorités publiques en vue de les parasiter.

C’est ainsi que le binôme corruption-impunité est l’ossature qui détermine les décisions politiques, enchaîne le pays dans la misère, l’injustice sociale et la criminalité. C’est donc dans ce contexte que le Premier ministre, fraîchement désigné par le CPT au terme de consensus, a formé son gouvernement.

Pour rassurer la population, le Premier ministre doit freiner la domination de la corruption dans la gouvernance du pays. Il doit d’abord effectuer un tri rigoureux de ses collaborateurs s’il veut garantir l’intégrité de son équipe.

Pour y parvenir, les conditions préalables définies par la législation et l’accord créant le CPT, bien qu’indispensables, ne suffisent pas en raison de la défaillance de la justice, des instances de contrôle, et de la crise morale confrontée par la société.

Le corollaire de cette corruption, qui pollue tout, est l’impunité qui, elle-même, enracine les mauvaises pratiques et scelle l’omniprésence des corrompus dans les sphères du pouvoir.

Obtenir décharge de la gestion des fonds publics étant actuellement une formalité impossible, il faudra, durant cette période exceptionnelle d’inconstitutionnalité, innover pour mettre en place des dispositifs anticorruption.

Ainsi, il faudrait, par exemple, pour des personnes ayant antérieurement occupé une haute fonction, obtenir : un rapport de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) permettant d’évaluer leur gestion des fonds publics, une vérification du respect de l’exigence de déclaration de patrimoine, une déclaration de non-conflit d’intérêts par rapport aux institutions publiques qu’elles seraient appelées à diriger (APN, BNC, ONA, FNE, FDI, OFATMA etc).

De plus, il faudrait mener une enquête de proximité et prendre en compte les dénonciations publiques de gabegies de certains individus afin d’assainir le milieu politique.

Quant aux personnes n’ayant pas antérieurement occupé une haute fonction publique, elles doivent se conformer aux exigences légales pour leur nomination.

Malheureusement, jusqu’à présent, les exigences légales permettant de réaliser le dépistage et la prévention de la corruption sont écartées sans grande réaction de la société.

Il faudrait mener une enquête de proximité et prendre en compte les dénonciations publiques de gabegies de certains individus afin d’assainir le milieu politique.

Le compte à rebours est déjà enclenché pour ce gouvernement de transition.

L’attentisme ambiant et la lassitude des citoyens déplacés, endeuillés, traumatisés, appauvris et affamés utilisant leurs maigres ressources pour leur survie, sont profitables au Premier ministre et lui offrent une certaine latitude pour agir sans véritable contrainte populaire.

Privé de son droit à la vie, le citoyen se préoccupe peu de la lutte contre la corruption. Et paradoxalement, il est parfois un corrupteur ou un corrompu en puissance, puisque l’acte de corruption étant recherché comme une bouée de sauvetage individuelle dans ce naufrage collectif.

Le citoyen devient alors (certes à un degré moindre que les décideurs publics) acteur de sa propre destruction, entrainant dans son sillage le pays tout entier.

Lire aussi : Des citoyens ordinaires, grands acheteurs d’armes en Haïti

Pour échapper à ce sort funeste, le Gouvernement doit rapidement rétablir la sécurité, protéger les vies et les biens afin de restaurer le citoyen dans sa dignité, ses droits et devoirs, et lui permettre de jouer son rôle de vigile et de demandeur de politiques.

Car n’est que sous le regard non complaisant du citoyen et par une crainte de sa sanction que les autorités publiques travailleront en vue d’accomplir leurs missions.

► Par Dr Joseph Stéphane Michel, Médecin senior spécialisé en obstétrique et gynécologie, il est co-auteur de «Mieux comprendre le Doppler en Obstétrique». Membre fondateur et secrétaire adjoint de «Nou Pap Dòmi», il milite activement au sein de cette structure, pour assainir la politique, luttant contre la corruption, l’impunité et pour la justice sociale.

Image de couverture : Le Premier Ministre Garry Conille accompagné de son cabinet ministériel au premier conseil des ministres présidé par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), à la Villa d’Accueil, le mercredi 19 juin 2024. | © X/Primature de la République


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Médecin senior spécialisé en obstétrique et gynécologie, Dr Joseph Stéphane Michel est co-auteur de «Mieux comprendre le Doppler en Obstétrique». Membre fondateur et secrétaire adjoint de «Nou Pap Dòmi», il milite activement au sein de cette structure, pour assainir la politique, luttant contre la corruption, l’impunité et pour la justice sociale.

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