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Comprendre le Procès de la Consolidation dans l’histoire d’Haïti

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En 1904, pour la première fois dans l’histoire d’Haïti, un président de la République et des parlementaires ont été appelés en justice et condamnés pour avoir dilapidé le Trésor public. Cet événement est connu sous le nom de « Procès de Consolidation ». Approchons-nous vers une reddition de comptes similaire dans le cadre du scandale Petro-Caribe?

 

Le procès de Consolidation eut lieu sous la présidence de Nord Alexis en 1904. Ce fut une action en justice entreprise par l’administration publique haïtienne contre certains grands commis de l’État à la suite d’un vaste scandale de corruption. Un ancien président et sa famille, des parlementaires, des responsables de la Banque Nationale d’Haïti y ont été impliqués.

Se trouvant dans l’impossibilité de rémunérer ses fonctionnaires, l’État haïtien contractait des dettes auprès des créanciers nationaux vers la fin du 19e siècle. L’ancien chef d’État Tirésias Simon Sam consolidait les dettes publiques et les transformait en obligations suite à la publication d’un projet de loi adopté par le Parlement haïtien le 26 avril et le 20 août 1900. Il était prévu «d’échanger des titres des emprunts locaux, contre des consolidés bleus à 12 % d’intérêt; des bons à échéance fixe contre des consolidés roses à 6 % d’intérêt; de libérer les droits d’importation et ceux d’exportation, à 50 centimes, sur le café, le cacao et le campêche. Le taux de conversion était fixé à 100 dollars contre 166,66 gourdes.»

Cette opération, dirigée par le ministre des Finances Pourcely Faine, s’est révélée une concussion à grande échelle. Plusieurs acteurs politiques ont obtenu frauduleusement des bons à la signature de la convention pour la consolidation entre le ministre Faine et les créanciers de l’État, dont la Banque Nationale d’Haïti. Cette institution financière qui s’occupait de la trésorerie nationale était une société anonyme française. Elle avait son siège à Paris. Des étrangers présidaient son conseil d’administration.

L’élément déclencheur

En 1903, le président Nord Alexis est arrivé au pouvoir dans un contexte politique fragilisé par la guerre civile impliquant Tirésias Simon Sam et le chef d’État provisoire Boisrond Canal. Au cours de cette période, on avait suspendu le paiement des bons consolidés. Après l’élection du président Alexis, le service de consolidation a été repris. Le citoyen Thimoclès Lafontant, nommé Commissaire spécial du Gouvernement auprès de la Banque Nationale d’Haïti, fut chargé de superviser les transactions.

Le 20 mars 1903, lors de l’acquittement des bons en faveur d’Auguste Ahrendts (un commerçant allemand très influent), le commissaire du Gouvernement a pu soulever certaines irrégularités. Les pièces fournies n’étaient pas authentiques. La somme exigée avait été déjà remboursée dans le passé. Et les véritables propriétaires des bons étaient décédés.

Suite à ces révélations, le président Nord Alexis a créé une commission d’enquête spéciale. Elle était présidée par Alexandre Lilavois qui avait une grande expérience dans ce domaine. Les députés Ducasse Pierre Louis de Port-au-Prince, Fleury Fequière de Petit Trou de Nippes et le Sénateur Alexandre Dupiton faisaient partie également de cette commission.

Les révélations

Les enquêteurs ont rédigé trois rapports entre mai et décembre 1903. Les révélations font état d’un détournement de fonds évalué à 1,957739,52 dollars US. (Alain Turnier, Quand la nation demande des comptes). Une partie des obligations de 5 % ont été frauduleusement émises et partagées comme suit :

D’autres noms s’ajoutent à cette liste : le sénateur Luxembourg Cauvin, les deux fils du Président Tirésias Simon Sam, Lycurgue et Demosthènes qui avouaient avoir reçu des bons de leur père. Et les citoyens Roland Michel, Windsor Therlonge, Thimagène Riché, Pyrrhus Agnant, Auguste Léon, Rémusat Pierre, Lys Duvigneaud, Guerrier Toussaint, Fucien Dépestre, Amilcar Lamy, Emmanuel Thézan, etc.

Arrestation et jugement

À la chute du président Tirésias S. Sam le 12 mai 1902, plusieurs individus impliqués dans le procès de Consolidation avaient déjà fui le pays. D’autres présumés coupables qui y restaient ont été déférés au Tribunal criminel de Port-au-Prince. Parmi lesquels, les anciens secrétaires d’État Gédéus Gédéon et Brutus St-Victor, les deux fils du président Sam et son ex-chef de cabinet Jean Chrisostome Arteaud, les anciens employés de la Banque Jean-Baptiste Poute de Puybaudet et Rodolphe Tippenhauer.

Au total soixante-dix témoins ont été auditionnés, dont des commerçants étrangers (créanciers de l’État haïtien) et des fonctionnaires publics. Léon Nau fut l’un des juges désignés pour mener l’interrogatoire.

Le 12 novembre 1904, le procès a pris une autre tournure suite à l’arrestation des 4 principaux dirigeants étrangers de la Banque : Joseph de la Myre Mori, Georges Olrich, Poute de Puybaudet, Rolf Tippenhauer. L’emprisonnement de ces expatriés a provoqué de vives tensions diplomatiques entre l’intransigeant chef d’État Nord Alexis et les représentants des gouvernements français et allemand à Port-au-Prince. Ces derniers exigeaient la libération sans condition de leurs compatriotes impliqués dans les malversations.

Au moment du déroulement des Assises criminelles le 28 novembre 1904, les bateaux de guerre Le Troude, Panther, Le Bremen en provenance de la France et de l’Allemagne, se trouvaient dans la rade de Port-au-Prince pour forcer les autorités haïtiennes à plier aux exigences des diplomates européens. En dépit de ces manœuvres, certains acteurs étrangers admettaient toutefois l’implication de leurs compatriotes dans les escroqueries liées au Procès de Consolidation. À cet effet, le capitaine du navire français « Le Troude » s’est adressé, malgré lui, à son supérieur hiérarchique en ces termes :

« Le procès dont nous n’avons pas lieu d’être fiers ni comme blancs ni comme français puisque d’une part les blancs et les Français qui sont accusés ont commis évidemment des actions peu défendables et que d’autre part nous n’avons pas à éviter à nos compatriotes devant un jury de nègres pour y être jugés de façon plus ou moins fantaisiste ».

Les condamnés

Présidées par le doyen A. Dyer, les audiences ont duré 20 jours. Le 25 décembre 1904, le tribunal a rendu son verdict qui condamne le futur chef d’État Vilbrun G. Sam aux travaux forcés à perpétuité. Les autres inculpés ont eu des peines allant de 3 à 4 ans. Ce fut le cas des hauts responsables de la Banque.

Les  « Consolidars » qui avaient fui le pays avant la tenue du procès sont condamnés par contumace le 26 décembre. L’ex-président Tirésias S. Sam a eu la peine maximale. Les nommés Tancrède Auguste et Cincinnatus Leconte qui par la suite allaient devenir président de la République ont eu 15 ans de prison, agrémentés de travaux forcés. Il en est de même pour les citoyens Frédéric Bernadin et Anton Jeagerhuber.

Le président Nord Alexis ne fait pas l’unanimité dans l’historiographie officielle. Cependant le Procès de Consolidation reste l’une des rares tentatives de restauration de la souveraineté nationale, de redressement de notre appareil judiciaire. Vu le contexte actuel où la nation demande des comptes concernant la dilapidation des fonds Petro-Caribe, n’a-t-on pas besoin d’un chef d’État qui soit apte à garantir le bon fonctionnement de nos institutions ?

Feguenson Hermogène

Feguenson Hermogène est journaliste et cinéaste. Il a intégré l’équipe d’Ayibopost en décembre 2018. Avant il était journaliste à la radio communautaire 4VPL (Radyo Vwa pèp la, 98.9 FM) de Plaisance du Nord.

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