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Comprendre le dossier de corruption qui implique le sénateur Onondieu Louis

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Août 2019, Onondieu Louis, proche du pouvoir en place, est accablé dans une affaire de blanchiment et de détournement de fonds publics. Deux mois plus tard, il est bizarrement lavé de tous soupçons par le juge Jean Osner Petit-Papa. Ayibopost vous explique ce dossier

Le 4 octobre 2019, le juge instructeur Jean Osner Petit Papa a rendu son ordonnance. Le sénateur Onondieu Louis, en proie à des accusations de blanchiment et de détournement de fonds publics, a été blanchi par la justice haïtienne.

Après avoir hâtivement mené son enquête aux termes de l’article 115 du Code d’Instruction Criminelle, le juge assure n’avoir pas trouvé assez de matières pour poursuivre l’élu du Nord-ouest. Il n’est donc reconnu coupable d’aucune des accusations de corruption qui pesaient contre lui.

Selon Marie Yolène Gilles, l’ordonnance de ce juge est une œuvre d’une grossièreté rare qui ne peut que salir l’image de la justice haïtienne. « Le juge d’instruction n’a pas la volonté d’instruire le dossier contre le parlementaire. Personne n’a été auditionné », relate-t-elle.

Pierre Espérance est le directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains [RNDDH]. Il explique que « d’après l’ordonnance du juge Petit-Papa, il ne renvoie pas Onondieu Louis par-devant le tribunal répressif parce que son nom ne figure pas dans le document du commissaire. C’est la preuve qu’il n’a pas fait son travail. Parce qu’il y a des procès-verbaux qui sont dressés par la police et le juge de paix. »

Lire aussi: Des soupçons de corruption paralysent l’IHSI depuis août 2019

Le juge n’a posé aucun des actes d’instruction susceptibles d’éclairer sa religion sur les faits qui lui sont soumis, ajoute la gérante de la fondation « Ayiti Je Klere » (FJKL). « Le juge n’a pas cherché à vérifier l’existence réelle ou non de l’entreprise. Il n’a pas cherché [non plus] les patentes, les certificats de quitus de cette société », continue-t-elle.

Selon un rapport de la FJKL, le sénateur Onondieu Louis déclare au Sénat de la république avoir loué des véhicules pour les sénateurs Carl Murat Cantave, Hervé Lénine Fourcand et Jean Rigaud Bélizaire. Parallèlement, l’entreprise de location de véhicules «Révélation’ Rent A Car» a réalisé un revenu de vingt-neuf millions sept cent quatre-vingt-quatre mille sept cent cinquante gourdes [29 7 84 750].

 « Pourquoi le juge n’a-t-il pas auditionné ces sénateurs ? Pourquoi aucun acte d’instruction n’a été posé par le juge allant dans le sens de la recherche de la vérité ?» s’interroge Marie Yolène Gilles qui mentionne que le peuple a droit à la vérité.

C’est ce même juge qui a blanchi les huit mercenaires

Le citoyen Jean Osner Petit Papa fait partie de la vague des 41 juges nommés le 5 mai 2018, par le président Jovenel Moïse. C’était sur une liste de 103 personnes transmise par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ). Il était nommé juge d’instruction au tribunal de première instance de Port-au-Prince.

Ce juge instructeur avait la charge du dossier des sept ressortissants étrangers et un Haïtien arrêtés dans la soirée du 17 février 2019, à proximité de la banque centrale. Ils étaient lourdement armés.

Trois jours plus tard, soit le 20 février 2019, sept des huit individus arrêtés laissent le territoire national librement alors qu’ils étaient pris en flagrant délit. L’Haïtien Michaël Estera, le dernier des mercenaires, reçoit sa liberté le 25 février 2019.

Encore aujourd’hui, on ignore les raisons expliquant la présence de ces hommes armés en Haïti. L’ancien ministre Jean Fritz Jean Louis et Magalie Habitant sont des figures de ce scandale. L’une des plaques retrouvées en possession des mercenaires mène à des proches du pouvoir : Steeve Kawly et Gesner Champagne. Aucune poursuite contre eux.

Pas de résultats, résume Pierre Espérance. «Les mercenaires rentrent chez eux. Les personnes épinglées jusqu’au cou fonctionnent librement. On oublie tout. Le dossier des mercenaires est très lent, contrairement à celui du sénateur. C’est véritablement le juge qui cherche la possibilité de laver les linges sales du pouvoir.»

Ayibopost a en vain tenté d’entrer en contact avec le juge Jean Osner Petit Papa.

Aux origines de l’affaire de blanchiment et de détournement de fonds publics

Cassandra Jean est contrainte par Jimmy Fervil, d’ouvrir un compte en banque conjoint avec une autre personne, en l’occurrence sa cousine, Magda Bernier. Jean a été initialement mise en contact avec ce monsieur à travers son amie Ulysse Berline copine de Jimmy Fervil, lui-même responsable du service des matériels au Grand Corps.

Le compte est ouvert le 26 juillet 2019 avec un montant de 10 000 gourdes octroyées par Fervil. Et, le livret est gardé par Fervil.

Comme récompense, les deux femmes ont reçu chacune un montant de 25 000 mille gourdes comme subvention scolaire.

Au début du mois août 2019, Cassandra Jean constate stupéfaite que son compte est renfloué avec une forte somme d’argent. Elle est instruite de faire des retraits et de les remettre à Jimmy Fervil.

Très paniquée, elle avertit la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) qui en informe le Bureau des Affaires financières et économiques (BAFE) pour le traitement du dossier.

Le 6 août 2019, la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ) procède à l’arrestation de quatre individus accusés d’escroquerie à la sortie d’une succursale de la Unibank à Pétion-Ville. Les personnes interpellées sont : Jimmy Fervil, Anel Nelson et André Augustin, en compagnie de la plaignante Cassandra Jean.

Un sénateur épinglé dans le rapport du BAFE

Le BAFE, relevant de la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ) est une institution qui lutte contre le fléau de la corruption à l’instar de l’Unité de Lutte contre la Corruption [ULCC], de l’Unité centrale de Renseignements financiers (UCREF) et de l’Inspection générale des Finances (IGF).

La FJKL rend public le rapport du BAFE dans un rapport et demande que la vérité soit faite sur ce dossier. Le document de cette organisation de vigie citoyenne, à but non lucratif, fait savoir que l’enquête du bureau révèle que : « Jimmy Fervil, passant aux aveux, a agi pour et au nom de Onondieu Louis et de la secrétaire adjointe du Sénat de la République, Myrlande Georges Casseus. »

Qui sont les autres personnes appréhendées dans ce dossier ?

Anel Nelson, chauffeur du Sénat de la République attaché au service de Myrlande Georges Casseus, la secrétaire adjointe du Sénat de la République est arrêtée parmi les suspects. Selon le document de la FJKL, c’est Myrlande Georges Casseus qui a passé les instructions à Anel Nelson pour accompagner les gens à la banque. Le véhicule qu’il conduit appartient à l’Administration générale des Douanes (AGD).

André Auguste est un policier de la 17e promotion immatriculé au numéro ID 05-17-05 – 07973. Il est affecté à l’UDMO du Nord’Ouest en détachement avec le questeur du Sénat de la République, Onondieu Louis. C’est le sénateur qui l’avait instruit d’aller purement et simplement sécuriser les transactions.

Hans Saint Louis, mari de la dame Myrlande Georges Casseus n’est pas appréhendé devant la banque, mais sur les lieux de la perquisition effectuée en sa résidence. Au cours de cette perquisition, des documents intéressant l’enquête ont été saisis par le juge de paix de Pétion — Ville, Clément Noël.

Deux fiches de dépôts pour une entreprise fictive

Il y a deux autres fiches de dépôts qui ont été saisies en possession de Jimmy Fervil parmi les documents. Ces comptes en banque domiciliés à la UNIBANK sont aux numéros respectifs suivants : 650-1821- 0151-7830 et 0650-1822-01517853.

Les deux comptes sont ouverts au nom de l’entreprise « Révélation’ Rent A Car », entreprise qui serait située à Saint-Louis du Nord, Vertus 1.

Marie Yolène Gilles est une figure connue dans la lutte pour les droits humains. Elle fait savoir que l’adresse de l’entreprise « Révélation’ Rent A Car » est celle d’un dépôt de boissons gazeuses. « Cette entreprise a toutes les caractéristiques d’une société fictive. Dans cette zone, il n’existe pas une entreprise de ce genre », explique-t-elle.

Analyse de ces deux comptes

Le compte numéroté 650-1821- 01517830 est en gourdes. Il est ouvert dans les livres comptables de la UNIBANK de Port-de-Paix le 30 novembre 2017 par un dépôt initial de cinq mille gourdes.  Le signataire de ce compte est Ysmik Choute identifié fiscalement au numéro 004-019-400-3. Il est enseignant.

Selon le rapport de la FJKL, ce compte présente toutes les caractéristiques fictives souvent utilisées dans les opérations de blanchiment et d’enrichissement illicite.

Le relevé bancaire de ce compte du 30 novembre 2017 au 6 août 2019 provoque réellement des doutes. Le rapport de la fondation explique que du 30 novembre 2017 au 7 mai 2018, aucune transaction n’a été effectuée sur le compte. Mais à partir du 8 mai 2018, le compte est alimenté uniquement par de gros dépôts liquides.  Au 6 août 2019, le solde du compte s’élève à vingt-neuf millions sept cent quatre-vingt-quatre mille sept cent cinquante gourdes [29, 784, 750. 00 Gdes]. Pourtant, les retraits effectués au cours de la même période s’élèvent à cinq millions sept cent quatre-vingt-dix-huit mille soixante-dix gourdes [5,798,070.00 Gdes].

Du 3 janvier au 26 juin 2019, cette même entreprise a opéré des retraits totalisant vingt-deux millions neuf cent cinq mille sept cent quatre-vingt-dix gourdes [22,905,790.00 Gdes].

Le deuxième compte en dollars au nom de « Révélation’ Rent A Car » numéroté 0650 18 220 151 est aussi domicilié à la UNIBANK. Mais les transactions de l’entreprise sur ce compte n’ont pas été partagées.

Deux dates importantes dans ce dossier

Gulmail Nicolas est le substitut commissaire du gouvernement près le Parquet du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince. Le 1er octobre 2019, il requit le juge d’instruction de renvoyer les inculpés hors des liens de l’inculpation, dans le dispositif de son réquisitoire définitif. Ce dispositif sert à faire connaître à la juridiction d’instruction ou de jugement la décision ou la mesure que le commissaire du gouvernement leur demande de prendre.

«PAR CES CAUSES ET MOTIFS, le commissaire du Gouvernement requiert qu’il plaise au Magistrat Instructeur de dire et déclarer qu’il n’y a pas lieu à suivre contre les nommés Jimmy Fervil, André Nelson, André Auguste, Myrlande GEORGES CASSEUS et Ysmick Choute relativement aux faits de détournement de fonds publics, de blanchiment des avoirs, d’enrichissement illicite et d’association de malfaiteurs mis à leur charge », peut-on lire dans la pièce de procédure écrite.

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Dans ce cas, selon la directrice exécutive de la « Fondation Je Klere », le nom du sénateur Onondieu Louis ne fait pas partie du document du commissaire du Gouvernement.  «C’est comme s’il ne faisait pas partie du dossier et que l’instruction n’a été menée ni pour lui ni contre lui, c’est-à-dire qu’il n’a pas fait l’objet d’instruction ni à charge ni à décharge », dit-elle.

Durant le mois d’octobre, le pays est paralysé par une succession de manifestations violentes et de grèves qui s’intensifient. Le vendredi 4 octobre 2019, soit trois jours après la réquisition de commissaire, tous les tribunaux sont fermés.

Malgré tout, l’affaire va vite. Le juge Jean Osner Petit-Papa, encore proche du pouvoir en place, rend son ordonnance de clôture. Il adopte le réquisitoire définitif du Commissaire du Gouvernement émis en date du mardi 1er octobre 2019. Dans cette ordonnance, il est stipulé que les noms du sénateur Onondieu Louis, de Ysmick Choute, chef de son cabinet, et Myrlande Georges, cités dans le rapport de la police ne sont mentionnés nulle part dans le réquisitoire d’informer du parquet.

Journaliste à Ayibopost. Je m'intéresse à la politique et à la culture.

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