En théorie, le système judiciaire est organisé de manière à rendre justice équitablement. Seulement en théorie
Le système judiciaire haïtien a une forme pyramidale. À la base, il y a les tribunaux de paix. Ils sont près de 180 dans le pays. Viennent ensuite les tribunaux de première instance, chacun rattaché à une juridiction. Il existe à nos jours 18 juridictions. Les tribunaux de Première instance sont liés à cinq cours d’appel. Ces cours d’appel jugent les recours ou contestations.
Au sommet de la pyramide se trouve la Cour de cassation, dont le siège est à Port-au-Prince. C’est le tribunal suprême du pays. Ses décisions sont sans appel, et s’imposent aux justiciables. Pour que la pyramide soit fonctionnelle, les juges, les commissaires du gouvernement, les huissiers et greffiers doivent jouer leur rôle.
En premier lieu
Le tribunal de paix est un tribunal de proximité. En termes de rang, c’est la juridiction la plus inférieure. Dans toutes les communes du pays, la loi exige qu’il y ait un tribunal de paix. Certains quartiers peuvent aussi avoir un tribunal de ce type. Le juge de paix est accompagné d’un suppléant et d’un greffier pour délibérer sur les cas qu’on lui présente. Mais pour certains tribunaux de paix de plus grande importance, il peut y avoir plusieurs suppléants ou greffiers. Ces tribunaux traitent une variété d’affaires.
« Les tribunaux de paix jugent les contraventions de simple police, explique Jean Junior F. Tibère, avocat au barreau de Port-au-Prince. Si une contravention ne dépasse pas 25 000 gourdes, un juge de paix est compétent pour la juger ».
Lire aussi: La Justice n’est pas indépendante, malgré l’existence du CSPJ
Selon la loi, le juge de paix juge seul. Sa compétence est territoriale c’est-à-dire qu’il peut seulement juger les affaires qui relèvent de sa juridiction. Cependant, il y a des exceptions à cette compétence territoriale. Par exemple, si un juge de paix et son suppléant, établis dans une autre juridiction sont empêchés simultanément, le juge de paix le plus proche en juridiction peut être amené à le remplacer.
La loi accorde d’autres compétences aux tribunaux de paix et aux juges qui y siègent. Ils peuvent ainsi apposer des scellés, dresser des procès-verbaux ayant rapport à différents sujets. La loi défend à ces juges de destitution de dresser une enquête ou de recevoir une déclaration ayant pour but d’établir la preuve du droit de propriété immobilière.
Le juge de paix est aussi un conciliateur. La loi l’autorise à faire de son mieux pour trouver une entente entre les deux parties en conflit.
Un degré plus haut
Les tribunaux de Première instance sont placés chacun dans une juridiction. Il y a dix-huit juridictions dans le pays. Ils entendent des affaires criminelles, commerciales, maritimes, et aussi civiles. Les tribunaux de première instance sont compétents pour entendre en appel, les décisions prises dans les tribunaux de paix. Elles ont, selon la juridiction, une quantité minimale d’affaires à entendre par semaine, et cette quantité peut s’élever à une vingtaine, au moins. C’est le cas de la juridiction de Port-au-Prince.
Le juge de Première instance siège toujours avec un membre du parquet, par exemple le commissaire du gouvernement. Le rôle du commissaire du gouvernement est entre autres de veiller au respect de l’ordre dans les tribunaux. Il est aussi l’avocat de la société. Dans ce rôle, le commissaire du gouvernement peut plaider dans des procès.
« Quand il y a une infraction, le commissaire du gouvernement se démène pour que justice soit rendue, dit Jean Junior Tibère. Il est un avocat comme les autres, même s’il a plus de pouvoir. Il introduit ses dossiers auprès du cabinet d’instruction, comme peuvent le faire les avocats ou les citoyens. »
Lire egalement: Photos | Le Palais de justice de Port-au-Prince noyé dans la saleté
Les tribunaux de première instance peuvent juger certaines affaires avec un jury. C’est le cas dans les assises criminelles. « Lorsque l’affaire en question concerne un homicide, un assassinat, c’est-à-dire dès qu’il y a mort d’homme, l’assise se fait avec jury. Cependant, si on reproche d’autres infractions au prévenu, il ne peut plus y avoir de jury ».
Pour Tibère, le jury est une bonne chose, par sa vocation. « Une fois, alors que le jury délibérait, le juge est venu me trouver pour me dire qu’il était certain que mon client était impliqué dans le fait qu’on lui reprochait. Pour lui donc, il était coupable, et si les jurés n’avaient pas délibéré autrement, mon client serait sûrement en prison ».
La plupart des décisions des tribunaux de première instance sont susceptibles de recours ou contestations. On dit alors que la partie concernée fait appel de la décision, dans l’espoir d’obtenir une issue différente.
Une deuxième chance
Il existe cinq Cours d’appel dans le pays. Elles constituent les tribunaux immédiatement supérieurs aux tribunaux de première instance. « La Cour d’appel, c’est une garantie judiciaire, estime Me Tibère. Tout le monde peut être insatisfait d’une décision de justice ». Si un justiciable n’est pas satisfait d’une décision prise à son encontre, il peut faire appel de cette décision à la cour d’appel liée à sa juridiction. L’affaire est alors jugée à nouveau. « L’affaire est jugée au fond, c’est-à-dire qu’il y a un autre procès où les parties sont représentées. Mais cette fois le Parquet est représenté par un autre commissaire du gouvernement. Il y a un commissaire du gouvernement près la Cour d’appel ».
Cependant, ce recours doit être fait dans les termes fixés par la loi. « Il faut par exemple respecter les délais », dit Jean Junior Tibère.
On parle d’autorité de la chose jugée, pour dire qu’il n’y a plus de recours dans cette affaire soit à l’expiration des delais, soit après une decision de la Cour de Cassassion.
Dans les procès criminels, la justice haïtienne, dans son état actuel, n’autorise pas de recours à proprement parler. Le justiciable ne peut pas faire appel à la Cour d’appel, mais peut fair un pourvoi à la cour de cassation, ce qui constitue une anomalie d’après Jean Junior Tibère.
Dans la justice haïtienne, il y a la notion de double degré de juridiction. Une affaire jugée en première instance, premier degré, peut faire l’objet d’un recours en appel, deuxième degré. Mais la Cour de cassation n’est pas un degré de juridiction. « En n’autorisant que le pourvoi en Cassation, les droits du prévenu sont bafoués, dit l’avocat. La Cour de cassation ne juge pas les affaires au fond, il n’y a pas de second procès. Elle ne juge que la forme, c’est-à-dire qu’elle vérifie si toutes les conditions et technicités prévues par la loi ont été respectées dans l’affaire en question. »
Dans le décret du nouveau Code pénal, cette anomalie a été corrigée, selon Jean Junior Tibère.
Tribunaux spéciaux
Il existe des juridictions spéciales, dont le fonctionnement et la compétence dépendent aussi de la loi. Le tribunal du travail et le tribunal spécial pour enfants sont parmi ces juridictions. En matière administrative, il y a également la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif. Cet organe de l’État est responsable entre autres de la vérification des comptes nationaux. C’est un organe essentiel dans la lutte contre la corruption.
Les comptables publics, les ordonnateurs publics, à l’exception des ministres et du Président de la République, doivent tous rendre compte de leur gestion auprès de cette cour. Elle délibère et émet des arrêts de quitus ou de débet, en faveur ou à l’encontre de ces fonctionnaires de l’État. Un arrêt de quitus signifie que la cour ne reproche rien à la gestion du comptable ou de l’ordonnateur, tandis qu’un arrêt de débet signifie qu’il y a des irrégularités dans la gestion.
D’autres acteurs
Les commissaires du gouvernement, les greffiers, les huissiers, les fondés de pouvoir, sont autant de fonctionnaires dans le système judiciaire haïtien. Ils ont chacun leur rôle. Le commissaire du gouvernement représente l’exécutif dans le judiciaire. « Le parquet n’est ni un tribunal ni une juridiction », précise Tibère.
Les greffiers et les huissiers accompagnent les juges. Les greffiers, responsables des greffes des tribunaux, reçoivent les pièces pertinentes dans les affaires judiciaires. Ils perçoivent aussi les taxes et autres frais des tarifs judiciaires.
Les huissiers ont, parmi leurs rôles, la responsabilité de signifier aux parties concernées les procédures dont ils sont l’objet. Les greffiers et les huissiers jouissent d’un rôle important dans le système judiciaire. Une simple erreur dans les documents qu’ils dressent peut avoir des conséquences réelles sur le cours d’un procès.
Selon Jean Junior Tibère, la justice haïtienne n’est pas assez exigeante envers eux. Et c’est l’une des causes de la corruption dans le système judiciaire. « Il est vrai que cette corruption est partout, pas seulement dans la politique ou la justice. Mais on observe que de plus en plus les avocats sont effacés du système judiciaire. Des greffiers et des huissiers prononcent des divorces, alors qu’ils n’en ont pas le droit. Les gens préfèrent s’adresser à un commissaire du gouvernement corrompu, qui peut rapidement les libérer, que de passer par un avocat qui va tenter de le faire ».
Jameson Francisque
Comments