Le cinéma haïtien, malgré un essor dans les années 1980, s’avère peu productif. Des professionnels du secteur étayent les graves contraintes qui fragilisent son développement
Il faut remonter de deux siècles pour placer le cinéma en Haïti dans son contexte d’évolution. La première projection de film en Haïti date de 1899. Quatre ans après l’invention du Cinématographe par les Frères Lumière en France, Joseph Fillipi, lance en quelque sorte le cinéma en Haïti après une réalisation au Petit Séminaire Collège Saint-Martial.
Le cheminement de la distribution de films en Haïti diffère de celui de la production de cinéma haïtien.
La distribution populaire de cinéma en Haïti date des années 1940-1950 avec une explosion des salles de cinéma dans le pays. « Le pays était quadrillé de salles de cinéma quoique les films offerts au public proviennent quasiment de productions étrangères. Avec la libéralisation des fréquences en Haïti dès 1985-86, les salles de cinéma commencent à se péricliter. Les chaînes de télévision diffusaient les films bien avant qu’ils soient diffusés en salle de cinéma», a longuement expliqué Richard Senecal, réalisateur de I (we) love you Anne.
« Le premier film haitien “Moi je suis belle” date des années 1960. Ce film est une co-réalisation de Ricardo Widmaier et Édouard Guilbaud », précise Richard Senecal, cinéaste haïtien qui travaille dans le domaine de l’audio visuel depuis près de 30 ans.
En 1976, Raphaël Stines a réalisé le premier film de fiction M ap pale nèt avec la participation de François Latour et Jessie Alphonse. Ce film, produit en collaboration avec Joseph Yves Medard de son nom d’artiste Rassoul Labuchin, est la version créole de la pièce Bel indifférent de Jean Cocteau.
D’autres réalisations comme Anita de Rassoul Labuchin, A la mizè pou Rodrigue de Clause Mancuso et Olivia, un long métrage de Bob Lemoine, vont alimenter la production d’images en Haïti. La production de films durant cette période caractérisée surtout par la dictature des Duvalier se révèle peu abondante.
La période riche du cinéma haïtien
Le cinéma est considéré comme le septième art. La peinture, la musique et la littérature sont des domaines qui ont connu une expansion considérable en Haïti. « Le véritable essor du cinéma haïtien date de 1985 avec Funerailles, un film de Raynald Delerme dit Baba », rappelle Richard Senecal, réalisateur du film Barikad.
Cette période, marquée surtout par les films de Raynald Delerme, constitue un tournant décisif avec la passation du film pellicule en vidéo. La pellicule est la bande sur laquelle on met les films. Elle était considérée comme le support des caméras argentiques, actuellement en déclin. À partir de cette période qui durera jusque dans les années 2005-2006, les productions haïtiennes se sont multipliées.
Selon le cinéaste Arnold Anthonin, l’engouement que le cinéma haïtien animait chez le public durant cette période a disparu. Cet engouement qui n’a pas été bien exploité, dit le cinéaste, a fini par faire place à moult causes qui entravent le développement du genre.
Arnold Antonin rappelle qu’il n’existe pas dans ce domaine une bonne école de formation. Malgré la création du Ciné Institute et les cinq promotions d’étudiants formés dans les domaines de la cinématographie en Haïti, la revitalisation du film dans le pays se fait attendre. De plus, l’école avait cessé de fonctionner pendant une longue période. En 2019, Ciné Institute tente timidement de rouvrir ses portes avec un nouvel avis d’inscription.
Le piratage tue aussi les productions. Les professionnels de la cinématographie pensent que l’un des espoirs de développement du secteur est la télévision numérique. « Le téléchargement illégal de films serait limité. Ainsi les chaînes de télévision seront contraintes d’acheter le droit d’auteur de nos productions avant toute éventuelle diffusion », croit Arnold Anthonin.
Lire aussi : La désuétude du droit d’auteur par l’informatique
Arnold Antonin plaide pour un appui à la production technique. D’où sa proposition de créer un fonds d’appui à la cinématographie pour encourager les productions de qualité. Il croit qu’une proposition de loi pourrait établir la réglementation tellement nécessaire dans ce secteur.
Un cinéma pauvre en corps et en esprit
Le renouveau du cinéma haïtien doit passer par une augmentation des productions de qualité du point de vue technique et artistique. « Des pesanteurs de tout ordre se dressent sur le chemin d’une production de qualité en Haïti. Les contenus audiovisuels du pays ne sont pas de toute évidence à la hauteur de la réputation de la création plastique », analyse le plasticien Oldy Joël Auguste, également monteur du film GNB contre Attila.
« Les financements se font rares dans ce domaine », se plaint Oldy Joël Auguste. Il est conscient que le problème technique est aussi lié au faible coût de réalisation alloué aux tournages. Par ailleurs, il soulève les enjeux liés aux matériels utilisés dans une production de qualité. Selon lui, le problème est exacerbé par l’inexistence d’entreprises en Haïti où l’on peut louer des équipements modernes pour la réalisation d’un bon tournage.
Oldy Joël Auguste a aussi travaillé dans la réalisation du film d’Arnold Anthonin, Le président a-t-il le Sida ? Il pense que la plupart de nos productions ne tendent pas vers l’universalité.
« La plupart de nos contenus cinématographiques se sont refermés sur elles-mêmes sans aucune portée universelle. C’est l’un des handicaps majeurs au développement du cinéma haïtien », dit Oldy Joël Auguste qui souhaite qu’on projette à travers le cinéma la connaissance et la compréhension haïtiennes du monde.
De meilleurs acteurs
« On n’interprète pas un rôle dans un film, on le joue », croient les associés, Gilbert Mirambeau Jr., Gaëthan Chancy et William Marcintosh, de Muska Group. Cette entreprise de production fournit des services audiovisuels techniques et créatifs. Gilbert, Gaëthan et William misent beaucoup sur la performance des acteurs.
Malgré un déclin évident, le pays peut néanmoins se prévaloir de quelques productions remarquables ces dernières années.
À côté des réalisations respectables et de référence d’Arnold Antonin, Richard Sénécal Reginald Lubin et Raoul Peck (Le president a-t-il le sida, Barikad, La peur d’aimer, L’homme sur les quais) Bruno Mourral a sorti Kafou en 2017.
Ce film, réalisé avec l’expertise de Muska Group a remporté plusieurs prix internationaux dont Innovation Award au Caribbean Tales Film Festival à Toronto.
Ces temps-ci, Muska Group travaille sur Malatchong, un film co-produit par des réalisateurs haïtiens, français et canadiens qui sortira en 2021.
Lire aussi : KAFOU : $250 000 pour un film de grande qualité
Le secteur cinématographique haïtien s’enrichit des films produits par la diaspora haïtienne du Québec et de Miami. « Ces productions ne dérangent pas du tout le cinéma. Ils viennent alimenter notre industrie cinématographique », croit Gilbert Mirambeau Jr., l’un des producteurs du film Kafou.
Et d’ajouter: « Il faut toutefois renoncer aux improvisations malheureuses, poursuit le producteur, afin de s’investir dans de bons scénarios. C’est le point de départ d’une bonne production. »
La rentabilité des productions cinématographiques
Haïti n’est pas comme la République dominicaine qui a un incitatif fiscal mis à la disposition des réalisateurs. Selon Gaëthan Chancy, les avantages que procure cette loi chez nos voisins favorisent la production d’une trentaine de films par année.
En raison de l’absence criante de salles de cinéma en Haïti, les réalisateurs se sont tournés vers d’autres moyens pour vivre de leurs productions. On trouve ainsi : les tournées en festival, les plateformes en ligne comme Amazon et les chaînes de télévision étrangères. Les réalisateurs de nos jours n’utilisent plus le support DVD. De ce fait, ils se protègent contre de vastes ateliers illégaux de reproduction de film.
Photo couverture: Ouverture du Rex Théâtre en 1935
Cet article a été modifié pour placer l’age d’or de la production cinématographique haïtien dans les années 1980. La période 1940-1950 marquait simplement l’essor de la distribution de cinéma, principalement étranger, dans le pays.
Comments