Jadis, les lakous et l’hospice des médecins-feuilles étaient des lieux d’accueils pour les patients qui cherchaient la guérison par les méthodes de la médecine traditionnelle en Haïti. De nos jours, des cliniques formelles reçoivent ces patients et réalisent quotidiennement des consultations
À la ruelle Marguerite au quartier de Turgeau, se trouve la clinique CHATRAMET. Cet acronyme renvoie au Centre haïtien de Traitement naturel et de Recherches avancées en Médecine traditionnelle.
Dirigé par des pharmaciens, ce centre établit le pont entre la médecine traditionnelle et la médecine scientifique. Aussi, la structure reçoit des patients qui préfèrent confier leur suivi médical à des « naturopathes » dont le travail consiste à mettre en avant un ensemble de méthodes de soins visant à renforcer les défenses de l’organisme par des moyens considérés comme naturels et biologiques, d’après l’Organisation mondiale de la santé.
« Le rôle d’un pharmacien réside, en partie, dans la préparation de médicaments naturels ou remèdes chimiques. Au niveau du CHATRAMET, nous avons choisi de nous orienter dans la préparation des composés ou médicaments naturels selon les normes de l’OMS, précise le pharmacien et phytothérapeute Maxo Noël qui est aux commandes de cette institution.
Une autre clinique de médecine traditionnelle se trouve à Delmas 13. Elle offre ses services à la population depuis 27 ans. Il faut 750 gourdes pour se faire consulter à Fertyle Horelle. L’institution se sert de connaissances et remèdes traditionnels comme méthode de traitement.
Les tenants de ces cliniques admettent que leurs interventions à base de plantes médicinales ne leur permettent pas d’agir sur l’ensemble des problèmes pathologiques. « Il faut s’armer de courage pour rediriger le patient vers un médecin spécialiste (conventionnel) au cas où sa maladie nous surpasse », rapporte James Jean-Paul de la clinique Fertyle Horelle.
Moins d’une dizaine d’institutions similaires à Chatramet ou Fertyle Horelle fonctionne comme structure sanitaire sur le territoire haïtien, révèle Patrick Jacques, un naturopathe et médecin-interniste qui gère la direction de la médecine traditionnelle au Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP). Il rapporte qu’il n’existe pas de provisions légales en Haïti pour la pratique de la médecine naturopathique.
Méthode d’intervention
En Haïti, la médecine traditionnelle reste bien ancrée. « Des études ont déjà démontré que dans notre pays [cette médecine] constitue le premier recours des patients ; que, dans la plupart de nos régions, elle est la seule accessible ; que, la quantité de ressources humaines disponibles dans ce secteur dépasse de loin celle de nos médecins et infirmiers », a déclaré en 2012 l’actuel recteur de l’Université d’État d’Haïti (UEH), Fritz Deshommes. Dans un discours prononcé à l’occasion d’un symposium sur la médecine traditionnelle haïtienne, Deshommes a affirmé que les médecins feuilles prennent en charge « plus de la moitié d’entre nous à notre naissance. »
Le médecin traditionnel agit et prescrit en fonction d’une connaissance intime des plantes médicinales. « Les consultations nous permettent de faire un diagnostic médical du patient. Mais, ce sont les examens médicaux réalisés dans un laboratoire médical qui définit les causes de la maladie », explique James Jean-Paul, pratiquant de la médecine traditionnelle qui travaille avec sa femme, Marie Danie Andrée, infirmière et médecin-naturopathe.
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Le même procédé est utilisé à la clinique CHATRAMET, selon Maxo Noël. « On ne peut pas prescrire un médicament à base de plante sans le dossier médical qui définit la nature de ce que souffre le patient », affirme le phytothérapeute et doctorant en médecine traditionnelle à l’Université de Hawaï, Maxo Noël.
Par ailleurs, la plupart des cliniques qui offrent des soins traditionnels utilisent la pharmacognosie. En médecine, le terme désigne l’étude des médicaments d’origine animale et végétale. Après avoir détecté la maladie, le traitement est administré par la clinique qui est dotée de son propre laboratoire pour transformer les plantes médicinales en médicament. En cas où le médicament n’est pas déjà disponible, ils devront le fabriquer pour traiter l’affection du patient.
Le problème d’homologation en Haïti
Les quasi-totalités des naturopathes en Haïti sont des médecins formés dans d’autres pays. Ces spécialistes utilisent une approche médicale fondée sur les processus naturels de guérison.
Dès leur retour en Haïti, « ces médecins rencontrent des difficultés pour être homologué dans le système sanitaire du pays », selon Patrick Jacques. Le responsable de la direction de la médecine traditionnelle révèle que le ministère refuse que ces professionnels intègrent le système de santé. « Il n’existe pas de provisions légales en Haïti pour la pratique de la médecine naturopathique », dit Patrick Jacques.
Malgré cela, des diplômés prennent l’initiative de monter leur propre clinique. « Dans l’attente d’une provision légale, je leur suggère d’aller au ministère du Commerce pour légaliser un nom d’entreprise et obtenir par la suite une patente pour pouvoir se lancer dans le domaine », conseille Patrick Jacques à ses pairs qui ont un diplôme qui leur confère le droit de créer leur propre clinique de consultation.
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Le responsable de la direction de la médecine traditionnelle dit agir pour inciter les autorités sanitaires à créer un cadre légal pour la pratique de la médecine naturopathique en Haïti. Cette décision tarde à venir, dit le docteur Patrick Jacques.
« La médecine traditionnelle n’a pas besoin d’une provision légale du MSPP pour être institutionnalisée », scande Maxo Noël professeur à la Faculté de médecine et de pharmacie (FMP). Le droit naturel confère la légalisation des pratiques médicinales traditionnelles vu qu’elle est la mère de toutes les sciences médicales, argumente Noël.
Des cas non pris en charge
La médecine traditionnelle est la plus accessible et la plus sollicitée en Haïti. Sa pratique est encore loin d’être contrôlée par les autorités sanitaires. Certains praticiens zélés bénéficient d’un brevet du ministère lorsqu’ils déposent la recette et l’échantillon d’un remède qu’ils ont fabriqué au sein de la direction de la médecine traditionnelle.
Patrick Jacques qui gère cette direction croit que cette médecine peut aider en Haïti. Il propose l’idée de créer des cliniques rurales pour les tradipraticiens. « Les médecins naturopathes et les pratiquants de la médecine scientifique ou conventionnelle doivent être aussi présents dans ces structures pour assister les tradipraticiens dans la prise en charge des patients. »
Comme la médecine moderne, la naturopathie connaît aussi des limites. « Un patient qui souffre de l’ulcère gastrique peut être facilement traité par des composés naturels. Dans le cas où les examens médicaux révèlent que l’intestin grêle du patient est déjà perforé, sa prise en charge mérite d’être confiée à un chirurgien », admet Maxo Noël.
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Les troubles oculaires, les dysfonctionnements dentaires ou d’ordre chirurgical demeurent des problèmes sanitaires que ces nouvelles cliniques ne peuvent pas gérer, raconte James Jean-Paul, praticien de la médecine traditionnelle à la clinique Fertyle Horelle. Il explique que la médecine scientifique est utilisée comme complément des pratiques médicinales ancestrales lors des complications graves.
Toutefois, ces cliniques ne reçoivent pas les cas d’urgences ni les patients qui méritent d’être hospitalisés. « Rares sont les personnes qui ne retrouvent pas les résultats escomptés », se réjouit Jean-Paul qui juge insignifiantes les manifestations allergiques de certains patients aux médicaments réalisés à base de plantes.
Emmanuel Moïse Yves
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