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Chita Pale | « Il ne faut pas parler d’insécurité, mais de terrorisme d’État », James Beltis

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Le sociologue et membre de Nou P ap Dòmi était de passage à Chita Pale, le 9 avril dernier. Extraits choisis de cette discussion

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« Dès notre enfance nous avons appris que les États-Unis sont 318 fois plus grand [qu’Haïti] en termes de superficie, que c’est une puissance politique et économique, une puissance impériale. J’aime le dire : les États-Unis essaient de soumettre un pays comme la Chine qui est elle-même une superpuissance économique. Ils essaient aussi de soumettre une puissance nucléaire comme la Russie. »

« Les choses se sont dégénérées ces dix dernières années. Car après 1986, nous avons bercé l’illusion que les États-Unis pourraient être des nôtres du côté de la démocratie. Bien qu’il y eût quelques désaccords, le peuple a pu choisir lui-même un élu. Mais cela a dégénéré depuis 1991 où les militaires ont eu le soutien des États-Unis pour mener le coup d’État. La décision d’embargo sur Haïti, celui de faire revenir Aristide ont elles-mêmes été des décisions dictées par les États-Unis. »

« Les membres du Congrès [américain] ont un contrôle sur ce qui se passe, mais ne comprennent pas forcément. C’est à eux que nous devons permettre de comprendre que ce qui se fait réellement n’est pas ce qui est légalement prévu. Ces espaces ne sont pas seulement ouverts pour Haïti, mais pour tout autre pays sous l’influence américaine qui sont en crise, pour ne pas dire la majorité des pays sur la planète. »

« Une ambassadrice ou une mission des États-Unis aurait pu ne pas faire écho avec son intention. Mais il y a une collaboration avec les dirigeants pour détruire le pays au niveau institutionnel. L’Haïtien répond trop facilement à la question de l’intérêt des États-Unis en Haïti. Il faut qu’on se donne le temps de répondre réellement à cette question, à partir d’informations fiables. Il y a une théorie raciste qui se développe ces derniers temps à laquelle je n’adhère pas, mais que je n’écarte pas. »

« Il nous faut aller plus loin que la théorie raciste pour répondre à la question des intérêts des États-Unis. Prenons par exemple le dossier PetroCaribe. Il y avait dix-neuf pays dans cet accord et c’est seulement en Haïti que les choses se sont passées de cette manière. Aussi, c’est seulement ici qu’un président peut finir son mandat, refuser de démissionner et trouver l’appui de l’international. »

« Ce n’est pas la première fois qu’une fausse opération est lancée pour faire diversion. Je pense qu’il est probable que l’opération du 12 mars ait été une diversion au passage de “Nou P ap Domi” au Congrès. La seule chose, cela a tourné au drame. Les premiers responsables sont le chef du Conseil Supérieur de la Police nationale, le ministre de la Justice et le chef de la police. »

« La population a déjà donné la réponse sur comment la police aurait dû faire face au drame. La première chose, c’est de retrouver les corps sans vie. Mais il y a cette pratique du pouvoir en place, de mépriser la vie. La vie des citoyens n’a aucune valeur à leurs yeux. On se rend compte que la première chose qui leur importait, c’était de récupérer le blindé. »

« Il y a une machination mise en place par la police pour pallier la mauvaise gestion de l’après-drame. Diversion est faite par tous les moyens. Le Fantom 509 gagne les rues, une entreprise est incendiée et il est dit que ce sont des bandits qui ont répliqué pour assurer la protection de l’entreprise [de Boulos]. Des gens ont été tués. Il y a une manipulation de l’opinion qui est faite alors qu’en réalité les familles n’ont pas pu récupérer les cadavres des policiers. »

« Le Fantom 509 est une organisation qui pose problème, mais je pense qu’il est un effet et non la cause. Il y a eu une crise dans la police suite à une demande, des revendications pour de meilleures conditions. Et la première chose était la liberté syndicale. Il faut voir aussi la façon dont la PNH a répondu à cette demande. Elle a répondu par une pratique macoute : répressions, espionnage, non prise en compte des revendications. Cela a poussé les policiers à bout. Ils ont été ciblés, manipulés, criminalisés. »

« Si la Constitution peut être amendée, ce n’est pas la loi organique d’une institution qui ne peut subir des modifications. La réalité fait ses lois comme la loi fait sa réalité. Les policiers ne s’attaquaient pas aux gens avant, ils n’incendiaient pas. Il fallait seulement leur dire que le syndicat n’était pas accepté et essayer de trouver une issue à la situation. C’est une négligence qui a mené à cette phase. Et ceux qui sont responsables pour anticiper et gérer les crises n’ont pas été capables de le faire et il en coûte aujourd’hui. »

« Il faut que les gens comprennent que ce qui se passe entre dans le cadre d’un projet. Tout ça entre dans le cadre du changement de la Constitution. Il y a une situation de fait qui est en train d’être créée dans le pays. Les élections n’ont pas eu lieu. Il n’y a aucune autorité légale dans le pays. Sur 4 033 élus que reconnaît la Constitution, il y en a zéro. La société n’a pas de repères. C’est un véritable complot contre la démocratie établie avec difficultés au cours des 30 dernières années. »

« L’évasion de la prison à Croix des bouquets est vraiment un incident curieux. Qu’une telle chose ait pu se produire et que ni la police ni le CSPN ne puisse donner le rapport, mais que ce soient des organisations de Droits humains accusées d’être le problème du pays qui fournissent l’effort de montrer à la société la gravité des choses. Des prisonniers ont été abattus. Une personne en prison a perdu ses droits civils et politiques, mais n’a pas perdu son droit à la vie, son droit à la santé.

Si nous prenons en référence le rapport de la fondation Je Klere, les policiers trouvent cela anormal qu’une enquête soit menée sur leurs agissements. Cela est extrêmement grave. Des policiers ont pour cible les organisations de droits humains. »

« Je ne suis pas à l’aise pour parler d’insécurité. Je préfère plutôt parler de terrorisme d’État. Il n’y a sinon pas moyen qu’un bandit débarque dans un quartier deux fois, trois fois, sème la pagaille, ôte la vie de nombreux concitoyens, incendie des maisons, à quelques pas du Palais national, du quartier général de l’armée, puis revendiquent cet acte criminel sans que suite ne soit donnée. »

« Lorsque nous utilisons les chiffres du Bureau Integré des Nations Unies en Haïti, nous ne sommes pas en contradiction [avec nos positions]. Nous savons ce que Madame Helen Meagher La Lime entreprend par ici. Mais la République Dominicaine ne le sait pas. Les autres pays ne savent pas que le BINUH fait du désordre en Haïti. Lorsqu’ils s’informent sur Haïti, ce sont leurs chiffres qui sont crédibles à leurs yeux. N’empêche que dans leur rapport, le G9 est une bonne chose pour le pays. C’est une situation délicate dans laquelle nous nous trouvons. »

« Je ne crois pas que nous arriverons à ramener la communauté internationale en Haïti à notre position. Nous avons répondu positivement à l’invitation du Congrès, car nous estimons que tous les espaces sont importants pour faire entendre notre voix. Je ne crois pas qu’il y ait un complot général des États-Unis contre Haïti. Je pense qu’il y a des gens qui ont besoin de savoir et de comprendre ce qui se passe. »

« Le rapport d’Haïti avec les États-Unis est historique. Ce n’est pas une question de droits humains. D’ailleurs personne ne peut plus imposer ce mensonge à quiconque. Ces trois dernières années peuvent en témoigner. Nous avons vu la position des États-Unis face à tout ça. Ce passage a créé une situation de non retour dans nos rapports et, quel que soit le dirigeant honnête et sérieux qui prendra le pouvoir, il saura qu’il faut réguler cette relation. »

« Il y a des choses qui sont constantes dans nos rapports. En 1915 les États-Unis débarquent, Charlemagne Peralte s’y oppose, il est fusillé. Pire, il est exposé, attaché à un poteau. Il y a un rapport de terreur. Ce n’est pas ce qui a été promis à Haïti. Lorsque [Bill] Clinton a pris le pouvoir, il s’est réclamé être du côté d’Aristide pour la construction de la démocratie. Mais ce n’est pas ce qui a été fait. »

« Jovenel Moïse a systématiquement construit son discours politique sur le mensonge. Il n’a aucune crédibilité. Il n’a la confiance de personne. Même ceux qui l’entourent ne sont là que pour en profiter. Il est difficile de dialoguer avec quelqu’un que l’on soupçonne d’être un assassin et aborder la question du pays. Il déclare que les élus doivent remplacer les élus, mais n’a pas hésité à remplacer bon nombre de ceux-ci par nominations. »

« Si quelqu’un m’invite à dialoguer sur la crise qui sévit en Haïti. Je lui fais  confiance vu qu’il est étranger à ce qui se passe. Je ne dis pas qu’il n’a aucun lien, mais il n’est pas directement responsable que [Jimmy Chérizier] Barbecue soit allé tuer treize personnes au Bel-air et mettre le feu sur une personne aveugle et handicapée. Mais lorsque je sais que Jovenel Moïse est directement concerné, que ces actes se produisent aux portes du Palais, je ne vais pas m’asseoir et dialoguer avec lui. Que ceux qui veulent se ridiculiser le fassent. »

« Certaines personnes pensent que Mme Lalime est raciste et sa position ne permet pas de dire le contraire. D’autres pensent que ses agissements sont en lien avec une question de carrière au niveau des Nations-Unies et son départ prochain à la retraite. Moi je pense qu’il y a un mépris pour les Haïtiens de la part de cette femme de la vielle-école qui n’arrive pas à comprendre l’aspiration des jeunes. Elle est incapable de traduire la réalité. »

« L’une des raisons qui ont mis fin à nos rencontres avec le BINUH est notre position. Une rencontre leur a suffi pour comprendre qu’il y a des choses sur lesquelles nous ne transigeons pas. La question de l’assassinat par exemple. Maître [Monferrier] Dorval a été assassiné sous les yeux de Mme Lalime. Et jusqu’à présent, elle n’a encore rien dit au sujet des deux demandes d’enquête internationale. »

« Je n’ai pas lu l’avant-projet de la Constitution. Je ne vais pas lire une Constitution préparée par Mme Lalime de concert avec Jovenel. Je préfère utiliser mon esprit à d’autres fins. Cependant, je vois les extraits des parties que l’on dénonce. Et je vois aussi la place qui y est accordée à l’impunité pour protéger les responsables dans l’affaire PetroCaribe. Je vois aussi que le pays est pris en otage par un groupe de gangs qui craignent ce qui peut arriver et qui sont en train d’essayer de se protéger. »

« Les constituants de 1987 ont anticipé ces faits. Ils ont vu juste. Beaucoup de choses jusqu’à présent insignifiantes prennent tout leur sens aujourd’hui. Par exemple, la question du référendum. Ils savaient que le danger était imminent, que les duvaliéristes n’allaient pas abandonner si facilement, qu’ils allaient essayer de saboter la démocratie. Ce n’est pas sans raison qu’ils ont insisté sur une série de droits économiques et sociaux. Les néo-macoutes font savoir que c’est la Constitution le problème du pays. La démocratie est fragile. Notre meilleure façon de la protéger c’est la Constitution. »

« Ce qui s’est passé à la Saline n’est pas un élément isolé. À un moment de la lutte contre les dilapideurs des fonds PetroCaribe, les gens de la Saline se sont sentis concernés et se sont mis de la partie. Et c’est à ce moment que les concernés se sont sentis en danger. Il y avait aussi les petro bizango qui sont des gens issus de quartiers populaires qui commençaient à manifester les soirs réclamant le procès PetroCaribe. Ils ont commencé à être victimes d’assassinat. Il y avait une répression de la population. Et la bataille a pris une autre tournure.  »

« L’assassinat de Monferrier Dorval est une ligne rouge qui a été franchie. Il n’est plus possible que ce soit une lutte PetroCaribe. Les choses vont de mal en pis, le kidnapping gagne du terrain, le budget de la Cour des comptes a été réduit de moitié et leur pouvoir de contrôle a diminué. Il y a aussi nos vécus, des gens ont perdu leur travail, nous avons reçu des menaces, tout ça a changé notre position dans la bataille. Le problème est politique. »

« Le pays doit passer par une transition de rupture. La rupture d’avec certaines pratiques comme les rapports de l’État avec la population. L’État doit passer d’un état jouisseur à un état de service. Il y a aussi différents procès qui doivent être faits : des procès au tribunal, un procès social, mais aussi un procès politique afin de s’assurer que ces gens-là ne puissent revenir au pouvoir. Il s’agit d’un engagement, d’une responsabilité. »

« Ce qui se passe là est une traîtrise. C’est honteux. Un groupe de gens qui choisissent de saboter leur propre pays, en violant la Constitution qui est le contrat social. Ce sont des ennemis. Je ne comprends pas que quelqu’un qui se dit enseignant, chercheur, professeur d’université puisse s’accommoder à tout ça. »

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La rédaction de Ayibopost

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