SOCIÉTÉ

Cette institution peut légalement décider de la fin du mandat de Jovenel Moïse

0

À défaut du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation peut statuer sur des décisions liées à l’interprétation de la Constitution

Quelle institution en dernier recours peut décider la date de la fin du mandat de Jovenel Moïse ?

Le Conseil constitutionnel prévu dans la loi mère amendée de 2011 est l’entité qui devrait interpréter la Constitution et statuer, sur le débat actuel autour de l’échéance du mandat de Moïse.

« Cette entité n’existe pas et les acteurs des trois pouvoirs n’ont manifesté aucune volonté pour sa création », selon l’avocat Patrick Laurent.

« La Cour de cassation reste donc la seule entité capable de prendre une décision, continue Me Laurent. La Cour de cassation peut être saisie de ce dossier par voie d’exception. Pour ce faire, le dossier devrait-être déjà introduit par devant un tribunal ». Dès lors, l’une des parties peut l’amener auprès de la cour.

La voie d’exception constitue un recours défensif par lequel une partie peut contester la constitutionnalité ou la légalité d’une loi afin d’éloigner les conséquences juridiques à son égard.

Interpréter la Constitution n’est pas une nouvelle attribution pour la Cour de cassation. Elle avait déjà ces fonctions bien avant le Conseil constitutionnel. « C’était prescrit dans l’article 183 de la constitution de 1987 », informe Me Laurent.

Ces attributions furent enlevées et confiées au Conseil constitutionnel par la version amendée de la Constitution en 2011. Puisque ce Conseil tarde à se matérialiser, « l’institution qui avait déjà le rôle peut continuer à l’exercer jusqu’à nouvel ordre », analyse l’homme de loi.

Interprétation américaine

Wilner Morin est juge au tribunal de première instance de Port-au-Prince. Le magistrat qui s’est exprimé pour dénoncer l’arrestation d’un juge de la Cour de cassation par le Palais National corrobore les dires de Me Patrick Laurent.

« C’est regrettable que l’interprétation des lois du pays soit faite par le département d’État américain », rajoute Me Morin.

En vrai, Ned Price, porte-parole du département des États-Unis, avait déclaré le vendredi 5 février dernier que : « Conformément à la position de l’Organisation des États américains (OEA) sur la nécessité de poursuivre le transfert démocratique du pouvoir exécutif, un nouveau président désigné devra succéder au président Jovenel Moïse au terme de son mandat, le 7 février 2022 ».

Lire aussi: Des magistrats dénoncent l’arrestation illégale d’un juge à la Cour de cassation

Me Patrick Laurent estime que la bataille politique actuelle autour de la fin de mandat du président se fait sans clairvoyance. « Il n’y a aucune institution pour décider, conclut-il. Le Conseil Constitutionnel est absent, le parlement est dysfonctionnel et la Cour de cassation est déjà en position de faiblesse, on ne fait que constater une situation de fait ».

Toute décision sortie aujourd’hui par la Cour de cassation prendrait une interprétation partisane. Un de ses juges, Yvickel Dabrésil, est emprisonné, illégalement selon les juristes, par l’administration en place pour sa supposée participation à un complot pour attenter à la vie de Jovenel Moïse. Un autre juge de la Cour de Cassation Joseph Mécène Jean-Louis a déclaré en début de semaine « accepter le choix de l’opposition et de la société civile pour pouvoir servir son pays comme président provisoire de la transition. »

Vide institutionnel

Malgré sa nécessité, le Conseil Constitutionnel, qui aurait pu trancher sur la crise d’aujourd’hui, n’existe toujours pas. L’institution est chargée d’assurer la constitutionnalité des lois selon les prescrits de l’article 190 de la loi mère. Le texte explique que le Conseil est juge de la constitutionnalité de la loi, des règlements et des actes administratifs du pouvoir exécutif. Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours.

Il est impossible de mettre en place cette institution, dans le contexte actuel. Les trois pouvoirs du pays doivent désigner chacun d’eux trois membres pour former le Conseil Constitutionnel. Ces derniers peuvent être des juges qualifiés ou des personnalités ayant de solides réputations professionnelles. Le mandat du conseil est de neuf ans.

Lire également: Comprendre comment s’organise le système judiciaire haïtien

Tout au long de son existence, l’institution doit veiller à la conformité des lois par rapport à la constitution et pencher sur les arrêtés et projets de loi avant leur publication. « À date, aucune loi n’a jamais été prise pour définir l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel dans le pays », regrette Woodkend Eugène, avocat au barreau de Port-au-Prince.

C’est un manque important, « car la loi électorale des élections de 2015 aurait nécessairement passé par devant le conseil avant publication », poursuit Me Eugène. Dès lors, l’institution aurait statué en fonction de ce qui est conforme à la loi.

Recours ultime

Si le Conseil constitutionnel peut à priori décider sur les lois, la Cour de cassation peut, quant à elle, trancher a posteriori sur les conflits autour des lois de la constitution.

Cependant, une des parties prenantes doit porter l’affaire devant les tribunaux. « La Cour de cassation ne peut pas être saisie directement sur des dossiers ayant rapport à la constitutionnalité des lois », informe Me Patrick Laurent.

Dans ce cas, la Cour de cassation devrait envoyer le dossier auprès du Conseil constitutionnel. Mais exceptionnellement, la jurisprudence devrait primer, puisque le Conseil n’a jamais existé.

Emmanuel Moïse Yves

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

Comments

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *