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Ce policier dit avoir apporté du miel pour un des assassins de Jovenel Moïse. Il croupit en prison.

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Un autre policier dit avoir transporté de l’aéroport à Pétion-Ville un des individus accusés dans l’assassinat de Jovenel Moïse. Depuis la prison, il clame son innocence alors que l’enquête n’avance presque pas

C’est sur un navire-hôpital géant de la marine des États-Unis stationné sur la mer d’Haïti du 4 au 13 novembre 2019 que le policier du Corps d’intervention motorisé fera la rencontre d’un frère d’armes haïtien dénommé Kervens, enrôlé dans l’armée américaine.

Un peu plus d’un an après, Kervens reprend contact avec Grégory Bonny pour lui confier une mission importante : celle de transporter discrètement le 3 janvier 2021 son cousin, l’haïtiano-américain Joseph Vincent, de l’aéroport international Toussaint Louverture à un Guest house de Pétion-Ville.

Six mois après la mission réussie sans incident, Grégory Bonny et son collègue policier, Clifton Hippolyte, sont convoqués par l’inspection générale de la Police nationale d’Haïti (IGPNH) pour « affaires familiales ».

Rapidement, ils sont mis en cause pour leur implication présumée dans l’assassinat de Jovenel Moïse le 7 juillet 2022. Arrêté le même jour, Vincent a admis être l’un des traducteurs des Colombiens épinglés dans l’opération meurtrière.

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Depuis le pénitencier national, Clifton Hippolyte déclare n’avoir aucun lien avec Joseph Vincent, lors d’une entrevue avec AyiboPost. Il avait rendu visite à Vincent avec Grégory Bonny. Ce dernier allait lui livrer un gallon de sirop de miel fin janvier 2022. « À l’époque, je ne savais pas qui était Vincent », maintient Hyppolite.

Un troisième policier enquêteur William Moïse, affecté à la section départementale de la police judiciaire de l’Ouest (SDPJ), a aussi été arrêté pour s’être rendu à l’aéroport avec Grégory Bonny.

En un an, la boiteuse enquête sur l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse n’a pas permis de fixer les responsabilités ni de déterminer le motif ou les mains cachées derrière le crime. Plusieurs dizaines de suspects croupissent en prison. Un cinquième juge vient de prendre le dossier en ce mois de juillet. Certains des suspects clament leur innocence, alors que leurs familles vivent, parfois avec exaspération, le drame engendré par leur arrestation.

L’emprisonnement de Grégory Bonny augmente les calamités de sa femme. « J’étais à sept mois de grossesse lorsqu’on a procédé à son arrestation, confie Clairdomania Louis, une agente de la police administrative. J’ai eu un accouchement par césarienne et Bonny n’était pas présent pour me supporter ».

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Louis se trouve obligée de prendre soin de son bébé et de son mari présentement incarcéré au pénitencier national. « Lui apporter de la nourriture quotidiennement est mon plus grand fardeau, déclare la dame. Parfois, je sollicite l’aide de sa famille ou d’un ami proche. Il est temps que le juge désigné dans le dossier de l’assassinat du président se mette au travail et entende Bonny pour procéder le plus vite que possible à sa libération. »

Selon les déclarations de Bonny à AyiboPost, il allait savoir que Joseph Vincent était impliqué dans l’assassinat de défunt président pendant sa participation à l’opération policière visant à arrêter les Colombiens.

« J’ai reçu un appel de Vincent où il m’a clairement formulé une demande de soutien, révèle Bonny. (….) Je lui ai répondu que la seule façon de sauver sa vie, c’est de se rendre à la police ».

La DCPJ a procédé à l’arrestation de Bonny après avoir vérifié la liste des personnes appelées par Joseph Vincent, après l’assassinat. Lors de son interrogation, la police lui a demandé le nom des individus qui l’accompagnaient lorsqu’il devait rencontrer Vincent. C’est pourquoi ses collègues policiers cités plus haut ont été aussi appréhendés.

Selon les enregistrements obtenus par la police haïtienne, Joseph Vincent, qui est également un informateur de longue date de la Drug Enforcement Administration (DEA), une agence fédérale américaine, était au téléphone presque sans arrêt après la mort du président.

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Il s’est entretenu avec John Joël Joseph, un ancien sénateur, et avec plusieurs policiers haïtiens. Il a aussi appelé le bureau du FBI à Miami, la hotline de l’ambassade des États-Unis et même les numéros publics de quelques bureaux du Congrès américain.

Il a passé dix appels téléphoniques à Bob Balthazar, un Américain d’origine haïtienne qui, a-t-il dit plus tard à la police, travaillait pour le Département d’État. Après son atterrissage en Haïti, Balthazar lui aurait mis en relation avec le pasteur Christian Sanon sept mois plus tôt.

Juste après 16 h, le jour de l’assassinat, Joseph Vincent a établi un contact avec un policier haïtien, Jacque Sincère, et a commencé à négocier sa reddition. Au bout de deux heures, Joseph Vincent accompagné d’un autre traducteur haïtiano-américain impliqué, James Solage, se sont rendus à la PNH. C’est à ce moment que la police a lancé une attaque contre le bâtiment où se trouvaient les Colombiens non loin de la place Saint-Pierre à Pétion-Ville.

Vanessa Altéus et le policier Clifton Hippolyte sont en couple depuis janvier 2021. Les conjoints étaient heureux en ménage jusqu’à ce qu’une lettre de convocation de l’IGPNH adressée à Hippolyte vienne changer la donne. C’était le samedi 17 juillet 2021.

La correspondance, motivée par une mystérieuse « affaire familiale », a occasionné une dispute agitée dans le couple. L’agent 1 avait pensé que sa femme était allée porter plainte contre lui pour violence conjugale, alors que tout allait bien entre eux.

Pour Vanessa Altéus, son mari est innocent. Les autorités disent que ce dernier avait fourni des services de traduction le jour du drame. « C’était son jour off, la PNH peut vérifier, déclare Altéus. Mon mari ne détient pas des compétences linguistiques en espagnol pour être traducteur », argumente-t-elle.

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La petite sœur de William Moïse, Nerla Moïse, estime aussi que son grand frère n’a rien à voir avec le meurtre du président. Elle se plaint de ses conditions de détention et des souffrances de leur mère, depuis l’arrestation de William Moïse.

Peu de temps après l’arrestation de ces policiers, l’IGPNH a coupé les chèques des policiers mis en cause dans l’assassinat. La femme de Clifton Hippolyte se plaint de cette situation puisqu’elle vient tout juste d’enfanter.

« Hippolyte ne connait pas encore le visage de son premier enfant. Lorsqu’il a été appréhendé par l’IGPNH, j’avais à peine six mois de grossesse », relate sa femme Vanessa Altéus.

À cause de sa grossesse, Altéus a dû fermer son dossier d’étude en Sciences infirmières à la Mission international school of nursing. La décision de l’IGPNH de couper le chèque de son mari en mars 2022 constitue pour Altéus un coup fatal puisqu’elle ne travaille pas. « J’étais obligée de retourner chez mes parents : je n’avais pas les moyens financiers pour répondre au besoin de l’enfant », lâche-t-elle.

Les familles du policier Grégory Bonny et William Moïse vivent pratiquement la même situation. Ils ont un foyer et des enfants qui subissent quotidiennement le poids de l’arrestation.

Bonny et Hyppolyte ont été entendus partiellement par le juge Gary Orélien dans le cadre du dossier de l’assassinat du président. Ils sont parmi les rares chanceux à avoir été auditionnés. En réalité, avec ou sans avocats, les dossiers des accusés dans le meurtre brutal de Jovenel Moïse n’avancent pas.

Couverture : Les gens applaudissent alors qu’une voiture de police passe devant le poste de police de Pétion-Ville où des hommes armés, accusés d’être impliqués dans l’assassinat du président Jovenel Moise, sont détenus à Port-au-Prince le 8 juillet 2021. Photo de Valérie Baeriswyl pour AyiboPost

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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