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« L’artisanat haïtien est en train de perdre du temps. » Voilà pourquoi.

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«Malheureusement nous n’avons pas encore appris à apprécier ce qui se fait chez nous», regrette la directrice de Caribbean Craft

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L’artisanat haïtien est en train de perdre du temps, tellement les opportunités sont nombreuses à l’international. C’est ce que croit Magalie Noel Dresse, directrice de Caribbean Craft. Cette entreprise évolue depuis plus de vingt ans dans l’artisanat haïtien, qu’elle exporte ailleurs dans le monde.

Ce choix de se tourner exclusivement vers l’international a été bien pensé, affirme Magalie Noel Dresse. «Malheureusement nous n’avons pas encore appris à apprécier ce qui se fait chez nous, regrette-t-elle. Mais quand on exporte et que le monde entier s’extasie devant ce qu’on fait, alors le mouvement pourra être suivi ici aussi.»

Magalie Noel Dresse, directrice de Caribbean Craft, explique à AyiboPost le travail de l’entreprise

Une autre raison pour ce choix a à voir avec la demande internationale, qui a soif de produits faits à la main et aussi de produits recyclés, selon Magalie Noel Dresse. « Nous sommes alors entrés dans ce mouvement, poursuit la directrice. Nous recyclons du papier, du métal, etc., pour défendre notre place, la part de marché d’Haïti, dans ce grand marché international. »

Selon Dresse, les besoins du marché international suffiraient à donner du travail à des centaines de personnes dans le pays. « Il est facile de recruter. Les Haïtiens aiment travailler avec leurs mains, et détestent les tâches répétitives et lassantes. Si demain j’ai besoin de 3000 employés, je les trouverai. Mais hélas les efforts que je fournis ne me permettent pas encore d’avoir ce nombre de salariés», explique-t-elle.

Cette entreprise évolue depuis plus de vingt ans dans l’artisanat haïtien.

Surtout que donner du travail dans l’artisanat doit s’accompagner d’un processus de développement personnel de l’employé. « Nous cherchons toujours comment améliorer leur situation. Par exemple, quand je me suis rendu compte qu’il y avait parmi nous des personnes qui ne savaient ni lire ni écrire, nous avons tout de suite lié des partenariats pour le leur apprendre. »

Caribbean Craft a subi des torts dont certains pensaient qu’il ne se relèverait pas. Au plus fort des protestations contre le défunt président Jovenel Moïse, en 2019, l’entrepôt de l’entreprise a pris feu, après que les manifestants ont tenté d’incendier une autre entreprise à proximité.

150 000 dollars américains de produits finis, qui attendaient d’être exportés, sont partis en fumée. Les promesses des autorités d’accompagner l’entreprise, l’une des plus importantes du secteur, n’ont pas été suivies de faits concrets.

Caribbean Craft a subi des torts dont certains pensaient qu’il ne se relèverait pas.

Grâce à des partenaires internationaux, aujourd’hui la compagnie se relève, pour le plus grand bonheur de ses employés. « À cause de l’insécurité, les troubles, l’entreprise a fait face à des moments compliqués et il y a eu des licenciements. Les clients passaient moins de commandes. Or nous vivons de ces commandes », explique Mackenson Antoine.

Antoine est superviseur de la section « montage » de l’entreprise, dans l’un de ses locaux situés sur la route de l’aéroport. Comme beaucoup d’autres employés, il y travaille depuis des années. « J’ai rejoint la compagnie en 2008, et j’ai grandi au fur et à mesure, gravissant les échelons», dit-elle.

Chaque produit fini a suivi un ensemble d’étapes avant d’être prêt à retrouver son propriétaire, la personne qui a placé la commande. L’étape du montage est précédée du modelage, et suivie d’une séance de réparation pour enlever les imperfections, et ajouter de la peinture si nécessaire.

Grâce à des partenaires internationaux, aujourd’hui la compagnie se relève.

Marie-Jeanne Momplaisir travaille à Caribbean Craft depuis plus longtemps encore que Mackenson Antoine. Cela fait 26 ans que c’est grâce à l’artisanat que cette mère de deux enfants prend soin de sa famille. Elle travaille dans la section papier mâché. Pour Momplaisir, l’incertitude liée à l’insécurité est le principal obstacle à son travail. « Parfois une commande est terminée, mais elle ne peut pas être livrée, ou pire encore, il n’y a pas de commandes du tout, ce qui nous cloue chez nous. »

Cette insécurité, Magalie Noel Dresse y fait face avec pragmatisme, à défaut de pouvoir s’en épargner. « J’ai dû ouvrir des bureaux parallèles parce que je ne peux pas emprunter le même itinéraire tous les jours », explique-t-elle.

Mais l’avenir de Caribbean Craft est incertain, si rien ne change. « C’est la première fois que je mets un point d’interrogation sur le futur, dit-elle. On est obligés de penser à des solutions qui sortent de l’ordinaire pour tenir. Lorsqu’on ne peut pas livrer une commande à temps, le client l’annule. Et tout l’argent dépensé pour la produire devient une perte. »

L’avenir de Caribbean Craft est incertain, si rien ne change.

Quoiqu’il en soit, Magalie Noel Dresse essaie de croire en des lendemains meilleurs et c’est ce qui lui permet de rester debout, et de rebondir : « Il faut penser à d’autres stratégies, par exemple la collaboration avec les autres compagnies du secteur, pour exporter nos produits ensemble. Si on reste isolés, on n’arrivera jamais à gagner la part de marché qui est due à Haïti, parce que cela demande des investissements conséquents. »

Selon des données de l’OEC, Haïti a exporté pour plus de 650 000 dollars américains de produits artistiques et artisanaux, en 2020. En 2019, à en croire les chiffres de cette organisation qui observe le commerce mondial, ces exportations atteignaient plus de 880 000 dollars. Des chiffres plus récents ne sont pas disponibles pour observer la courbe de l’offre des produits artisanaux du pays à l’international.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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