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Camines Derius est mort en marge de l’opération échouée au Village de Dieu. Son décès aurait pu être évité.

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La mort de Camines Derius est le résultat d’un ensemble de manquements

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Le vendredi 26 mars dernier, j’ai suivi le cortège funéraire de Camines Derius jusqu’au grand cimetière de Port-au-Prince. Ce n’est pas un proche parent, ni un ami, ni l’ami d’un ami.

J’ai eu connaissance de son histoire le dimanche d’avant, lorsqu’un responsable d’église soupesait ses mots pour laisser comprendre à l’Assemblée que l’un des leurs, Camines Derius, fraîchement affilié à cette église venait de partir pour l’au-delà.

Jusque-là, rien d’étonnant, car des morts, on en a tous les jours sur ce coin de terre.

Pour moi, l’histoire prend de l’ampleur quand le responsable égrenait les circonstances du décès.

« Camines Derius souffrait de diabète et il devait réaliser fréquemment des séances de dialyses. Il était en route pour aller subir une dialyse lors de l’opération policière avortée au Village de Dieu le vendredi 12 mars dernier. Après des heures, coincé à Martissant à entendre les fureurs de balles et les nouvelles de l’assassinat des policiers, le malade a rebroussé le chemin. Lorsque deux jours plus tard, le dimanche 14 mars, il se rend à l’hôpital pour réaliser la dialyse ratée, son cas était déjà trop grave. Il décède le lendemain, soit le lundi 15 mars ».

« Ces cas sont très courants dans le pays », trop souvent mis sous l’emprise de la violence, selon le docteur Audie Metayer qui dirige l’unité de dialyse de l’hôpital de l’université d’État d’Haïti.

Système dysfonctionnel

La mort de Camines Derius est le résultat d’un ensemble de manquements dans le système de santé. Ne pouvant pas traverser Martissant, l’homme qui habite à Gressier aurait bien pu se tourner vers un autre hôpital à Carrefour ou dans la région des Palmes pour se faire dialyser.

Le problème, c’est qu’aucun hôpital, ni à Carrefour, ni à Léogâne, Grand-Goâve, Petit-Goâve et jusqu’à Miragoane ne dispose d’une unité de dialyse.

« À part des hôpitaux privés, seul l’hôpital de l’université d’État d’Haïti offre le service de dialyse aux patients de petites bourses sur le territoire haïtien », selon le docteur Audie Metayer.

Aucun hôpital, ni à Carrefour, ni à Léogâne, Grand-Goâve, Petit-Goâve et jusqu’à Miragoane ne dispose d’une unité de dialyse.

Aux dires de ce médecin qui a travaillé à implanter l’unité de dialyse de l’HUEH depuis 1996, en 2021 encore, Haïti ne compte que huit unités de dialyse.

Quatre de ces unités sont logées dans des hôpitaux privés à Port-au-Prince. Trois appartenant à l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maternité, et Maladie sont éparpillés à travers les villes du Cap-Haïtien, des Cayes et de Port-au-Prince. Le dernier se trouve à l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti.

Si à l’HUEH, le service requiert des frais de 2 000 gourdes, dans les unités de l’OFATMA, le patient qui n’est pas un assuré doit verser 6 000 gourdes pour se faire dialyser.

Parce qu’il ne peut pas traverser la zone de Martissant, Camines Derius devait se rendre dans le sud du pays — à environ 200 km de chez lui — pour se faire soigner dans la structure de l’OFATMA.

Avec les services à bas cout de l’HUEH, le malade souffrant de l’insuffisance rénale chronique en Haïti, doit débourser en moyenne, 41 000 gourdes par mois, soit 501 000 gourdes annuellement dans un pays où 60 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, le seuil d’extrême pauvreté.

Le service est encore plus onéreux dans les structures privées. À l’hôpital Espoir, par exemple, une séance coûte 7 500 gourdes alors que le malade a besoin de 3 séances par semaine. Donc, 22 500 gourdes par semaine.

Dans d’autres hôpitaux privés de Port-au-Prince, le citoyen haïtien doit débourser entre 200 à 250 dollars américains en moyenne deux à trois fois par semaine pour le même service, selon Audie Metayer.

Aucune statistique

En 2021, les autorités haïtiennes ne savent pas combien de citoyens souffrent d’insuffisance rénale chronique et nécessitent des séances de dialyse dans le pays.

Cependant, on sait que l’hypertension artérielle et le diabète étant parmi les facteurs pouvant influencer la détérioration des reins, sont responsables à 80 % des cas d’insuffisance rénale dans le pays.

Or, en Haïti, environ deux millions de citoyens sont hypertendus et 300 000 souffrent de diabète.

Le pays ne compte que huit néphrologues aptes à soigner les reins.

L’hôpital espoir, par exemple, a dû retarder l’ouverture de son centre de dialyse pour attendre la fin d’études d’un médecin en formation en Europe, me révèle une responsable de cet hôpital sous couvert d’anonymat.

Lire aussi: La dialyse ou la mort: l’histoire d’une jeune Haïtienne de 28 ans

Vu l’ampleur du problème, l’État devait agir en ouvrant d’autres centres pour desservir la population.

Le seul centre dont dispose l’État haïtien nécessite un budget de fonctionnement de 40 millions de gourdes. Il ne reçoit que 7 millions par trimestre.

Le manque de matériels et de budget impose des rationnements. Au lieu des 3 séances de dialyse nécessaire chaque semaine, l’hôpital qui ne dispose que de cinq machines fonctionnelles n’offre que deux à ses patients, raconte Manita Pierrevil. Cette patiente vit la réalité de la dialyse depuis dix ans.

Samuel Celiné

Les photos sont de Samuel Celiné

Une première version de ce texte affirmait que Camines Derius est mort le 25 mars. C’était une erreur. Il a rendu l’âme de préférence le 15 mars. 5.4.2021 11.15

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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