Ils sont parfois abusés par des Haïtiens vivant aux États-Unis
Travailler pour des entreprises américaines ou françaises depuis la République Dominicaine, c’est possible. Et des Haïtiens se jettent par dizaines sur les opportunités économiques offertes par le « Business Process Outsourcing », ou sous-traitance en français.
Le BPO permet de passer un contrat avec un fournisseur de services externe pour exécuter une fonction ou une tâche commerciale essentielle pour n’importe quelle entreprise. Les « centres d’appels délocalisés » demeurent une des options les plus en vogue dans le pays voisin.
Cependant, les Haïtiens dans ce secteur se plaignent d’être exploités notamment par des compatriotes vivant aux États-Unis. Ils disent ne pas recevoir un salaire acceptable, comparativement aux dominicains.
« Nous travaillons pour différents types d’entreprises, des médecins, des maisons d’assurance, etc. Nous faisons du marketing en ligne aussi », explique Peterson Joseph qui avait passé six années dans le secteur en Haïti avant de s’installer en RD.
Le BPO permet de passer un contrat avec un fournisseur de services externe pour exécuter une fonction ou une tâche commerciale essentielle pour n’importe quelle entreprise.
La plupart des services délocalisés en RD ne sont pas conformes aux normes internationales.
Une pratique, potentiellement illégale, permet à des Haïtiens aux États-Unis de prendre des contrats auprès d’entreprises américaines, et de demander à un Haïtien en République Dominicaine d’effectuer le travail pour la moitié du montant, ou moins.
« Pour duper les entreprises américaines, ils créent des comptes avec leur Social security number (SSN) puis ils en donnent l’accès à leurs compatriotes en RD. »
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Pour changer leurs positions géographiques, les Haïtiens en RD utilisent un Virtual private network (VPN). Ce réseau virtuel leur permet de tromper les entreprises américaines sur l’emplacement exact de leur téléphone et de leur ordinateur.
Le sous-contractant peut recevoir entre 5 et 12 dollars par heure, alors qu’aux États-Unis « le salaire offert pour le travail varie entre 12 et 60 dollars l’heure », témoigne Peterson Joseph. Souvent, le contractant primaire refuse carrément de payer.
Beaucoup de migrants haïtiens qui travaillent dans le secteur le font depuis chez eux. C’est le cas de Vanessa Guillaume. Par rapport aux dominicains, les Haïtiens sont sous-payés à cause de la situation migratoire irrégulière de beaucoup d’entre eux, observe l’ancienne étudiante en administration qui habite en terre voisine depuis deux ans.
L’année dernière, l’État dominicain a introduit de nouvelles règles. « Les rares entreprises dominicaines qui embauchent pour les call centers exigent le work permit ou le cedúla, une carte d’identité dominicaine », se plaint Vanessa Guillaume. Elle a perdu son emploi à cause des nouvelles restrictions en décembre 2021.
L’entreprise pour laquelle Guillaume travaillait offrait 5 dollars américains ou 300 pesos par heure. « Cela ne représentait pas grand-chose alors que je dois payer mensuellement 140 dollars américains pour mon loyer », lâche-t-elle.
Ne pas détenir un permis de travail constitue un frein. Daniel en a fait l’expérience. À cause de l’insécurité, ce professionnel a démissionné d’un poste dans la télécommunication en Haïti pour immigrer en RD en octobre 2021. « Sans work permit ou Cedúla, des entreprises dominicaines ont refusé de m’embaucher après plusieurs entretiens », dit-il.
De jeunes professionnels de toutes catégories se dirigent aujourd’hui vers la République voisine. « Ils sont obligés de pratiquer les travaux que les Dominicains refusent de faire, observe le docteur en sociologie Alfred Pierre. Ils vont travailler dans des situations précaires avec un faible salaire, sans assurances et autres accompagnements sociaux. »
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La situation migratoire irrégulière des Haïtiens en terre voisine ouvre une fenêtre vers des exploitations.
« Les autorités haïtiennes doivent tout faire pour encourager les autorités Dominicaines à entamer un processus de régularisation des Haïtiens vivant sur leur territoire, explique le sociologue Pierre qui est également le coordonnateur général de l’Observatoire de Recherche sur les Rapports Élites-Populations et les Migrations (ORREM). D’après ce dernier, “c’est le seul moyen pour que la migration soit bénéfique pour Haïti et pour les Haïtiens en République Dominicaine”.
Durant ces derniers mois, une campagne xénophobe intense prend place de l’autre côté de la frontière. À Juan Bosh, un quartier dominicain en pleine construction situé à l’est de Santo Domingo, des agents de la direction générale de la migration dominicain — profitant du paiement bimensuel — se déploient pour arrêter les travailleurs d’origine haïtienne.
Ne pas détenir un permis de travail constitue un frein.
Des scènes d’abus violents sont enregistrées et diffusées sur les médias sociaux. C’est d’ailleurs une pratique courante des agents de l’immigration dominicains de détenir arbitrairement les travailleurs noirs, qu’ils aient des papiers ou non. Ils exigent alors un paiement pour leur libération. Des travailleurs haïtiens et dominicains ont fait front commun pour protester le 18 mai 2022 contre cette pratique. Une opération de contrôle migratoire menée deux jours après à Juan Bosch a conduit à la déportation de 385 Haïtiens.
“La majorité des Haïtiens n’ont pas un contrat travail”, regrette Spady Joseph un couturier haïtien qui prête ses services à une entreprise de confection de vêtements en RD. “Parfois, dit Joseph, des patrons dominicains de mauvaise foi font appel aux agents de l’immigration à la fin de la quinzaine pour pouvoir ne pas payer les Haïtiens. Fort souvent, ces derniers sont rapatriés sans avoir reçu leurs salaires”.
Ceux qui travaillent avec un téléphone chez eux, comme agent pour des entreprises aux États-Unis, ne sont pas non plus à l’abri.
Emmanuel Moïse Yves a participé à ce reportage.
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