CULTURE

Benoit D’Afrique, le jeune dandy de la littérature contemporaine haïtienne

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AyiboPost rencontre l’écrivain de moins de 25 ans. Il se trouve en résidence littéraire à l’ancienne propriété du géant Honoré de Balzac en Région-Île-de France pour une durée de six mois

Carl Withsler Benoit affronte le monde, armé de ses mots de poète haïtien, jeune, déchiré entre le pays natal, des pérégrinations continues, des parents absents pour toujours et un quotidien à vivre, fructifier, peut-être, fuir par moment.

« Habiter le monde avec la poésie, c’est bon et habiter le monde poétiquement c’est encore mieux, dit-il. Poésie comme impulsivité et spontanéité est un idéal intéressant à atteindre. »

Dans le domaine, ses hauts faits suscitent admiration. Plusieurs recueils publiés. Prix international de Poésie en Liberté en 2016 pour le poème « ma mort ». Deuxième prix de la 18e édition du « Concours international de poésie en langue française ». Et plus récemment, une résidence littéraire dans l’ancienne propriété d’Honoré de Balzac, grand maître du roman français.

« D’un écrivain à l’autre, les passerelles sont multiples, soutient Benoit D’Afrique. Malgré le poids de l’histoire, il y a des lieux où les écrivains se rencontrent, sans chercher à créer ou à imaginer des liens pour justifier cela. Comme espace physique par exemple, la bibliothèque rassemble tous les écrivains. C’est que cet endroit est investi d’une valeur symbolique qui transcende les barrières et les nationalités. Il l’est plus encore pour une maison qui a abrité un maître de la fiction française, ou un maître de la fiction tout court. »

Le lieu porte le poids d’une histoire, pesante et glorieuse. « Pour un Français, c’est peut-être un bâtiment à un coin de rue : la proximité n’a créé aucun risque, continue Benoit. Pour quelqu’un d’ailleurs, c’est un lieu récupéré par la parole et l’histoire, établi en mythe. En disant cela, je pense en Haïti à l’hôtel Ollofson qui a abrité l’écrivain Malcolm Lowry et à tous ces lieux que la légende d’un créateur a transformés en symbole, comme l’a fait Carl Brouard. Si un écrivain peut écrire n’importe où, pourquoi ne pourrait-il pas le faire à la maison de Balzac ? »

le chant des fleuves
à l’ombre de nos blessures

siégées par le temps
brode une biographie de pierre

il fait un temps
à ramasser nos chutes

contre le glaive qui inquiète la nuit
suffit seul
le chant des fleuves qui tremble à la vitre

puisque parler est un forfait
il fait un temps à être en effraction
jusqu’à l’épuisement de nos babines

n’est que prétexte
bien habillé ici
pour ne pas mourir sans pantalon

ne cessera de franchir
les épines suspendues aux crocs du jour
ma main
bateau de plein ciel
et de villes dégradées

pour la gloire des soleils trempés de lumière

il est temps
de s’attarder dans l’enclos des horizons
minés de lumière
jusqu’à désarmer d’un sourire les ténèbres

L’art rythme l’existence du poète : « On peut parler d’un possible réconfort que les mots apportent, dit Benoit d’Afrique. Mais il ne faut pas se mentir. Écrire donne autant de bonheur que de peine. Je pense à [Gustave] Flaubert. Il y a du plaisir à contempler un vers bien rythmé et à la répéter intérieurement. »

Si c’est par le beau verbe que Benoit saisit le monde, il ne se fait cependant aucune illusion. Que peut la poésie face au kidnapping, aux gangs qui s’entredéchirent et l’urgence humanitaire en Haïti ? « Sûrement rien », répond le dandy, dont les multiples photos sur les réseaux sociaux engrangent des remarques flatteuses.

Crédit
qu’en est-il de vivre

lorsque même mourir est payant

billet humain
quand tu dois trop d’apparences
aux regards banque d’aigris

à même foule
les balles peuvent hypothéquer
ton souffle

Sur l’esthétique vestimentaire, il botte en touche. « Je pense qu’il serait plus intelligent si les poètes pouvaient se sculpter de leurs véritables identités, c’est-à-dire, vivre comme bon leur semble et non selon l’inventaire vestimentaire admis, remarque-t-il. C’est important d’être soi-même. »

patente
marre de me faire taxer poète
j’ai trop de chose à dire
sans ambages
l’horizon est à agrafer
dans les semelles
quand le chemin est signé
ténèbres

faut-il une patente pour obéir
à la lumière
voici ma nuque
livret d’une rafale de charges

importe seulement
le bleu du ciel
quand les ténèbres
se multiplient dans l’enclos
du demi-jour

Pour solidifier son engagement littéraire, Benoit D’Afrique entretient la revue littéraire et artistique Débridé. Cette revue « se veut chant humain en dehors des voix conformistes, hors des clans et tous murs érigés qui veulent à tout prix prendre en otage l’alphabet, explique-t-il. La revue Débridé est née de l’envie de nous déraidir les phalanges au profit d’un combat commun — celui de faire émerger les jeunes voix de la littérature contemporaine.

« Débridé » met en relations des créations de divers horizons, promeut des plumes inédites, répand la poésie ambiante contemporaine qui anime chaque domaine et facilite la rencontre avec de jeunes créateurs. trices d’Haïti, de la France, de la Tunisie, de la Belgique, de la République démocratique du Congo, de l’île de la Réunion, du Sénégal, du Liban, du Maroc, du Nigéria et mille autres contrées.

ici
nul souffle

n’est à l’abri
des canons qui coulent
à larges vagues

pas même dieu

La revue « aspire surtout à débrider la vie toute faite, secouer le verbe figé, casser les lisières du langage, entailler les codes dressés, céder pleine liberté à l’expression, avance Benoit d’Afrique. Travailler la pâte poétique avec la sueur de son front, joindre sa main dans une prière plus humaine que nos croyances, tourner les pages du monde sans faire trop d’histoire, oser dire beauté fontaine d’une flamme par le biais de différentes disciplines artistiques [photographie, conte, poésie, cinéma, graphisme, musique, etc.]. »

un poème
a tout pour inventer
un ciel rempli de bleu

qu’importe la taille du verrou
l’horizon s’en moque
ouvrez donc vos cœurs
vous d’en face

Trois livres incontournables de la littérature haïtienne ? Négociations, de Jean Claude Charles. L’énigme du retour, Dany Laferrière et L’espace d’un cillement de Jacques-Stephen Alexis. Alerte rouge cependant : « Cette liste, bien qu’exhaustive, n’engage que moi ».

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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