Le Bassin Zim est une cascade d’eau située à quelques kilomètres de la ville de Hinche. Il est le lieu de pèlerinage de beaucoup d’adeptes du Vaudou. Mais le lieu attire aussi de simples touristes. Restitution de notre visite à cet endroit qui cristallise à lui seul une bonne partie des croyances superstitieuses du pays
Vendredi 20 décembre 2019. Il est un peu plus de neuf heures du matin quand nous prenons la route qui mène au bassin Zim, dans le Plateau central. Nous traversons le centre-ville de Hinche sans encombre, pour ensuite prendre le chemin du lieu touristique. La route n’est pas asphaltée et la poussière s’introduit rapidement partout. La motocyclette que conduit Mémé Frisner, notre chauffeur pour l’occasion, connait un mauvais moment tant le sentier rocailleux est pénible. Mais le deux-roues tient bon et ne rend pas l’âme.
30 minutes après notre départ, nous arrivons devant une barrière faite en tôle. Les deux battants sont entrouverts. Sur les deux côtés de la barrière, la végétation règne en maître. Des arbres de toutes sortes, des cactus, forment une autre barrière naturelle. Accrochée à l’entrée, une pancarte souhaite la bienvenue au bassin et informe des prix de la visite. 5 $ pour les touristes étrangers, 50 gourdes pour les locaux.
Nous franchissons l’entrée. Personne ne vient à notre rencontre. L’endroit semble abandonné. Une guérite, qui abritait surement le gardien, est vide. Portes et fenêtres closes. Plus nous avançons, plus l’impression d’abandon est forte. D’autres maisonnettes en bois, multicolores, récemment construites selon les habitants de la zone, sont aussi closes.
Un magnifique paysage
Les mauvaises herbes ont envahi le sentier qui mène jusqu’à la cascade. Mais tout près, la chute d’eau gronde, comme pour informer qu’elle est bien présente, elle. Et elle impressionne. Elle se déverse d’une hauteur de plus de 20 mètres avec des trombes d’eau blanches qui tombent en contrebas dans un bassin ni trop grand ni trop petit. L’eau arbore une belle couleur verte. Une dizaine de femmes sont assises et font la lessive. De petites bulles sous l’eau témoignent de temps en temps la présence des poissons.
Cette grotte aurait servi de cachette à des esclaves, du temps de la colonie de Saint-Domingue.
Sur notre droite, un escalier dont les marches sont faites en pierre serpente parmi la végétation. Elle mène tout en haut, là où la chute d’eau prend sa source. Quelques paysans ont profité de l’espace pour planter des bananes et du pois congo. Nous prenons l’escalier et bientôt nous arrivons devant une première grotte. Elle n’est pas grande. Des pierres suspendues, finement ciselées, comme travaillées par une main d’artiste, masquent l’entrée.
« C’est l’œuvre de l’eau, dit Mémé Frisner, qui s’improvise guide. On raconte qu’il n’y a pas longtemps l’eau recouvrait toute cette partie du paysage. » Le jeune homme est étudiant en agronomie, mais s’improvise mototaxi pendant les vacances pour se faire un peu d’argent. Il est déjà venu au Bassin et il se rappelle ce que les guides lui ont dit.
Une grotte pleine d’histoire
Quelques marches de plus et nous arrivons devant une grotte immense. Des stalactites sont suspendues et arrivent presque à notre hauteur. Selon les histoires que les gens de la zone se racontent de génération en génération, cette grotte aurait servi de cachette à des esclaves, du temps de la colonie de Saint-Domingue. Les Indiens taïnos aussi y auraient vécu. Sur les murs intérieurs de la grotte, des gens qui sont venus la visiter avant nous ont inscrit leurs noms sur la pierre.
Nous redescendons. Mais avant de revenir sur les berges du bassin, nous nous arrêtons pour admirer la source de l’eau qui coule plus bas. De fines gouttelettes d’eau nous tombent sur le visage. « Si tu sens les gouttes, c’est que les Ginen de l’eau t’aiment bien », dit Mémé Frisner, qui pourtant se dit protestant pratiquant, et non superstitieux.
Vernicile Dorcin
Nous revenons vers le bassin et allons interroger les lessiveuses sur l’histoire du Bassin Zim et de la zone. « D’habitude il y a beaucoup de gens ici, dit l’une d’entre elles, ils viennent pour des pèlerinages surtout. C’est une eau dangereuse, tout le monde ne peut pas s’y baigner. Pour se baigner, il faut aller un peu plus bas. Mais nous, on ne peut pas vraiment tout t’expliquer. Surtout si tu viens faire une demande. »
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« Si tu veux plus d’informations, il faut demander à la vieille que tu vois là-bas, poursuit une autre, en levant son doigt pour indiquer la direction. Elle sait tout, elle te parlera ». La vieille dont elle parle se trouve à quelques mètres de nous. Elle est en train de cuisiner, la chaudière installée sur trois roches, avec un feu de bois. Derrière elle, il y a une grosse pierre, sur laquelle elle s’appuie. La vieille semble très âgée, mais refuse de dire son âge.
Elle ne se fait pas prier pour nous parler cependant. « Je m’appelle Vernicile Dorcin, dit-elle. Je suis née et j’ai grandi dans la zone du bassin. Les gens ici m’appellent Mateli parce que j’ai fait campagne pour le président Michel Martelly. »
Mythes et légendes
« Là haut, là où il y a la grotte, s’appelle Maji natal, explique Vernicile Dorcin. La plupart des gens qui viennent veulent faire une demande à l’esprit qui commande ici. Il s’appelle Lwa Blan. Ils arrivent avec leurs bougies et autres accessoires, et ils demandent ce qu’ils veulent et ce qu’ils sont prêts à donner. »
Vernicile Dorcin confirme ce que les lessiveuses ont dit sur la dangerosité de l’eau. Elle nous montre de la main l’endroit où il est « inoffensif » de se baigner, et les endroits où, selon elle, étrangers et Haïtiens meurent tout le temps. « Tu vois les poissons ? demande-t-elle. Quand ils sont là, cela signifie que l’eau est dangereuse et qu’il faut prendre ses précautions. »
Pendant qu’on parle avec la vieille dame, une petite couleuvre d’environ 30 centimètres passe rapidement sous nos pieds et file vers l’eau. Vernicile Dorcin s’écrie : « Oh, tu sembles avoir de la chance ! »
Un site inexploité
Presque tout le monde à Hinche croit que le Bassin Zim est un lieu « surnaturel ». Partout on entend l’histoire d’un tel qui est allé se baigner dans le bassin et qui n’est pas revenu. Il est difficile, voire impossible de vérifier la véracité des faits racontés. Impossible aussi de savoir s’ils ne sont pas tout simplement noyés. Mémé Frisner assure qu’il connaissait personnellement l’une des victimes de l’eau.
En 2014, la ministre du Tourisme Stéphanie Balmir Vildrouin a voulu faire du Bassin Zim un haut lieu touristique. Un projet de trois millions de gourdes a été conçu. Des aménagements, comme les maisonnettes, ont été faits. Cinq ans plus tard, et après plusieurs autres ministres du tourisme, le potentiel de ce lieu reste inexploité. Il reste une attraction annuelle pour des centaines de dévots venus faire leurs prières.
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