POLITIQUE

Assassinats, démission, exil forcé… petit panorama du destin des chefs d’États haïtiens

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Si le président Jovenel Moïse démissionne, il grossira la liste des chefs d’État haïtiens qui n’ont pas bouclé leur mandat. Coup d’œil sur la loi et sur l’histoire pour comprendre comment les présidents haïtiens perdent le pouvoir

Le vendredi 31 mai 2019, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif remet au Sénat de la République la deuxième partie du rapport d’audit des fonds Petrocaribe. Dans ce rapport, la CSCCA accuse le président de la République, Jovenel Moise, d’être au cœur « d’un stratagème de détournement de fonds ».

Ce nouveau scandale est venu éclabousser un président affaibli par la pression populaire. Dès le mois de juillet 2018, des manifestations violentes à travers Haïti avaient mis son administration à mal, le poussant à changer de gouvernement.

Appels à la démission 

Après l’audit de la Cour des comptes, des voix jusque-là modérées appellent aussi à sa démission, pour son implication présumée dans ce dossier de corruption. Le président se refuse à cette éventualité et continue à appeler ses adversaires au dialogue. L’opposition politique décline toute invitation à dialoguer. La situation se détériore rapidement et l’instabilité politique s’accentue. Le président se sépare de son 2e Premier ministre.

Plusieurs mois après le départ de Jean Henri Céant, le pays n’a ni gouvernement légitime, ni budget régulier, ni Parlement fonctionnel. L’administration publique ne peut pas payer ses employés. Le taux de change du dollar atteint des niveaux insoupçonnés. L’inflation accable les bourses. L’insécurité est partout. La pénurie d’essence dans le pays est régulière.

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C’est dans ce contexte que depuis plus de deux semaines, des manifestations ont recommencé. Les violences qui en découlent, et la difficulté pour les usagers de trouver du pétrole pour circuler ont conduit la majorité de la population à rester chez elle. Le pays vit au ralenti, paralysé, lòk. Les appels à la démission du président de la République semblent plus nombreux que jamais.

Bien que cette possibilité reste encore infime, vu l’entêtement du chef de l’État, elle n’est pas à écarter. Mais si Jovenel Moise se résout à laisser le pouvoir avant la fin de son mandat, il rejoindra les rangs des nombreux présidents qui ont été forcés de prendre cette décision.

Assassinats, démission, exil forcé

Environ 62% des chefs d’État haïtiens ont été renversés ou assassinés au pouvoir, selon une étude de Politichotech. Cela a favorisé la prolifération de gouvernements éphémères, qui pour la plupart ont terminé dans le sang.

Ainsi, le président Sylvain Salnave a été fusillé en janvier 1870, après seulement trois ans au pouvoir. D’autres présidents comme Jean Pierre Boyer (1776-1850), Fabre Geffrard (1806-1878), Denys Légitime (1841-1935), entre autres, ont été contraints à la démission et à l’exil.

Environ 62% des chefs d’État haïtiens ont été renversés ou assassinés au pouvoir, selon une étude de Politichotech.

Les soulèvements de l’armée ou de groupes révolutionnaires comme les Piquets et les Cacos n’ont pas été les seuls événements qui ont conduit à des assassinats de chef d’État. Parfois, c’est le peuple lui-même qui a attenté à la vie de ses élus.

Ainsi, après environ 4 mois au pouvoir, le président Vilbrun Guillaume Sam est lynché par une foule en colère, le 27 juillet 1915. Cet événement tragique et l’instabilité chronique du pays ont amené l’occupation américaine du pays, dès le 28 juillet de la même année.

Si pendant l’occupation américaine, il règne un semblant de stabilité, le pays ne restera pas aussi calme au départ des occupants. Les soubresauts politiques recommenceront à la fin de la présidence de Paul Eugène Magloire (1907-2001).

Coups d’État, une méthode courante

À la suite d’une crise politique qui avait provoqué la chute du président Paul Eugène Magloire, en 1956, le pays connaît trois présidents en 1 an. Mais le 22 octobre 1957, François Duvalier (1907-1971) devient président. Il restera au pouvoir jusqu’à sa mort, après avoir modifié la constitution de 1964. Il désigne par avance son successeur, Jean Claude Duvalier (1951-2014), en réduisant à 18 ans l’âge pour être président du pays. Le jeune Jean Claude Duvalier dirigera le pays à son tour jusqu’en 1986, l’année où il est renversé.

Cette chute du duvaliérisme, loin d’apporter la stabilité au pays, va accoucher des évènements les uns plus sanglants que les autres. De 1986 à 1991, le pays connaît une succession de coups d’État, dans lesquels l’armée jouera un grand rôle. Leslie François Manigat (1930-2014), premier président issu d’élections, après les Duvalier, prend le pouvoir en février 1988. Quelques mois après, en juin de la même année, il est renversé par un coup d’État militaire à la faveur de Henry Namphy (1932-2018).

Le lieutenant général Henry Namphy ne fera pas long feu sur le pouvoir. Lui aussi il connaîtra l’humiliation d’être chassé. Dans la nuit du 17 au 18 septembre 1988, une partie de l’armée, la garde présidentielle, organise un coup d’État qui verra Prosper Avril, un autre militaire, arriver au pouvoir. Ertha Pascale Trouillot, juge à la Cour de Cassation, remplace Prosper Avril, suite à la démission du militaire. Elle a pour mission d’organiser de nouvelles élections. La présidente provisoire s’acquitte de ses responsabilités et le 16 décembre 1990, Jean Bertrand Aristide est élu président d’Haïti.

Le cas de Jean Bertrand Aristide

L’ancien prêtre de l’Église catholique a une place particulière dans la liste des chefs d’État renversés du pouvoir. Il a subi au moins trois coups d’État. Le 16 décembre 1990, les élections organisées par Ertha Pascale Trouillot le portent à la tête du pays. Le 7 février 1991, il est officiellement investi du pouvoir exécutif. Un mois avant son investiture, Roger Lafontant (1931-1991), ancien chef des tontons macoutes, tente un coup d’État qui ne réussit pas. Quelques mois plus tard, le 30 septembre 1991, une nouvelle tentative de putsch réussit. Le général Raoul Cedras prend le pouvoir temporairement. Jean Bertrand Aristide est chassé et exilé au Venezuela puis aux États-Unis d’Amérique. Il reviendra en 1994 reprendre les rênes de l’État, grâce à l’intervention des Américains.

Le 26 novembre 2000, Jean Bertrand Aristide est à nouveau élu président d’Haïti sous la bannière de son parti Fanmi Lavalas. Les élections, décriées par l’opposition, deviennent dès lors une pomme de discorde entre ses adversaires et lui. Les tensions montent. Pendant toute la durée de sa présidence, le pays connaît une instabilité grandissante. L’opposition, regroupée au sein de la convergence démocratique, travaille à son départ. En 2004, Guy Philippe, ancien commandant de Police, à la tête d’un groupe paramilitaire lourdement armé, marche sur Port-au-Prince. Entretemps, les tentatives de dialogue et d’accord entre le président et l’opposition ne passent pas. Le 29 février 2004, Jean Bertrand Aristide est contraint de quitter le pouvoir. Il subit son 2e coup d’État, qui est en même temps le dernier putsch en date.

La destitution constitutionnelle

C’est la façon légale de perdre le pouvoir. La Constitution de 1987 prévoit la possibilité de démission du président de la République. Elle prévoit aussi d’autres motifs de vacance présidentielle comme la destitution ou l’incapacité physique ou mentale permanente.

Dans le cas où le président démissionne avant la quatrième année de son mandat, il doit être remplacé par le conseil des ministres, présidé par le Premier ministre. Dans un délai allant de 60 jours à 120 jours, d’autres élections doivent être convoquées pour remplacer le chef de l’État. S’il s’agit de la 4e année du mandat, c’est l’Assemblée nationale qui se réunit pour élire un président provisoire.

La destitution d’un président de la République se fait en deux étapes.

D’abord, la Chambre des députés doit mettre le chef de l’État en accusation, à la majorité des 2/3 de ses membres. Ensuite, le Sénat se constitue Haute Cour de justice. Cette Haute Cour de justice désigne parmi les sénateurs, après un vote secret, une commission pour enquêter sur les faits reprochés au président de la République. Après le rapport de la commission et le vote des membres de la Haute Cour de justice, la décision est prise sous forme de décret. S’il est coupable, le président peut être renvoyé.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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