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Arrogance, irrespect, précarités… le service social difficile des étudiants en médecine de l’UEH

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De nombreux étudiants en médecine de l’Université d’État d’Haïti (UEH), qui ont reçu leur lettre d’affectation en mai 2020, rencontrent de nombreuses difficultés pour effectuer leur service social

La question du « service social » obligatoire d’un an qui donne droit à la licence en médecine pose toujours des problèmes aux étudiants en médecine en Haïti.

Les péripéties se sont multipliées cette année, pendant la pandémie du nouveau Coronavirus. Beaucoup d’étudiants de la Faculté de médecine et de pharmacie (FMP) de l’Université d’État d’Haïti (UEH) qui ont obtenu leur lettre d’affectation en mai dernier rapportent des difficultés énormes les empêchant d’effectuer le fameux « service ».

Membres de la promotion 2013-2020, ces étudiants se sont heurtés à des institutions de santé fermées, notamment à cause du virus, des responsables d’hôpitaux refusant de les accepter, ou offrant des conditions de travail qu’ils estiment pénible. Dans ce contexte, nombreux d’entre eux ont exigé une réaffectation, ou sont obligés de rester chez eux, en attendant de trouver une meilleure place ailleurs.

Depuis quelques années, des établissements privés de même que publics sont utilisés par le Ministère de la Santé publique et de la population (MSPP). Mais il s’avère que le MSPP n’était pas prêt pour réaliser le déploiement des étudiants cette année, estiment des responsables d’hôpitaux et des étudiants de la FMP.

Cela a créé des frustrations qui se sont accumulées du côté des hôpitaux d’accueil, mais aussi au sein du MSPP. La collaboration devient alors de plus en plus difficile entre les deux parties.

En bas de l’échelle décisionnelle, les étudiants se sentent pris au piège, car ils sont bien obligés de faire leur service social, malgré les conditions qu’ils déplorent. «C’est une situation de résignation pour la plupart d’entre nous, surtout dans le département de l’ouest», confie Yveline Michel, un étudiant résident.

Un pèlerinage

Roger* est aussi un étudiant de cette promotion à la FMP. Il raconte avoir arpenté plusieurs institutions de santé avant de pouvoir commencer son service social. Sur le chemin de son pèlerinage, il est passé à CITIMED, au Centre de Santé Sainte-Claire et aujourd’hui, il trouve accueil au Centre de santé de Thomassin 25.

Pour expliquer ce parcours à plusieurs étapes, Roger évoque les conditions et l’ambiance de travail qui ne lui convenaient pas quand ce n’était l’hôpital lui-même qui ne pouvait pas recevoir d’autres résidents.

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Roger affirme qu’il a accompagné une amie au Centre de Santé Notre Dame du Cap. Parce qu’elle n’a pas été reçue, la dame a dû envisager un transfert. Une histoire similaire est arrivée à un autre étudiant qui s’est rendu dans un établissement de santé à Ouanaminthe, rapporte Roger.

Quand un hôpital accepte enfin de recevoir un étudiant en résidence, c’est souvent dans des conditions pitoyables.

«Ce qui me choque, dénonce Roger, c’est de voir comment certaines institutions publiques/privées profitent de la situation pour utiliser les plus jeunes, nous exposer et nous forcer à travailler dans des conditions contre lesquelles ils se plaignent et ceci depuis qu’ils étaient à notre jeune âge.»

Le MSPP fait peu

Dans ce contexte, le MSPP fait peu. Yveline Michel raconte que les étudiants reçoivent uniquement un kit sanitaire comprenant : 25 cache-nez, une petite bouteille de gel antibactérien et une boîte de gants, pour travailler durant une année et sans espoir de renouvellement lorsque le stock sera épuisé. Or, ces étudiants ont besoin d’autres matériels, comme les blouses ou les lunettes de protection.

Actuellement, Yveline Michel travaille au Centre de santé de Delmas 32 après une mésaventure avec l’hôpital Saint François de Sales. Cependant, les conditions de travail dans cet établissement sont tout aussi précaires. Les infirmières y évoluent pratiquement sans protection, avec des cache-nez en tissu. Le respect de la distanciation sociale est impossible à cause de la promiscuité de l’espace de travail, etc.

«J’ai dû me préparer [mentalement] à être infecté au Coronavirus, dévoile Yveline Michel. J’ai déjà eu affaire avec plusieurs patients présentant des symptômes [de la maladie]. Et l’hôpital n’avait même pas des kits de test [pour confirmer mon diagnostic].»

Une mauvaise communication

La direction de formation et de perfectionnement en sciences de la santé et la direction sanitaire de l’Ouest échouent à informer les étudiants correctement sur les conditions de travail au sein des institutions hospitalières d’affectation, rapportent plusieurs résidents.

Ajouté à tout cela, il y a la mauvaise communication des responsables du MSPP avec les responsables d’hôpitaux. Par exemple, Vallery Cerelus, des ressources humaines de l’Hôpital Saint François de Sales, affirme n’avoir jamais été averti alors qu’elle reçoit des lettres d’affectation des étudiants à longueur de journée.

Rien n’a été négocié concernant le nombre d’étudiants que l’institution devait recevoir ni le support qu’elle va obtenir du MSPP pour mieux accompagner ces résidents en service social. Vallery Cerelus soutient que prendre en charge chacun des huit étudiants coûterait plus de 300 000 gourdes sur une durée d’un an.

Comme sept autres étudiants, Yveline Michel et Joseph Claudine, membres de cette même promotion 2013-2020 ont reçu leur lettre d’affectation pour l’Hôpital Saint François de Sales. Afin de s’intégrer dans cette structure, elles se sont rendues à une réunion avec les responsables de l’hôpital.

Ces étudiants ont été reçus par toute une équipe de l’hôpital, comprenant les docteurs Joseph Rodrigue Clériné, Directeur médical et Chef de service de Pédiatrie, Aurelie Gilles, médecin interniste et Chef de service a. i de Pédiatrie, Mertus Jacquelin, Chef de service a. i de chirurgie. L’administration a délégué Vallery Cerelus, des ressources humaines, Monseigneur Jean Théodule Domond, Directeur général adjoint, médecin praticien hospitalier.

Malheureusement, cette rencontre s’est terminée en queue de poisson.

Joseph Rodrigue Clériné indique qu’il a commencé par expliquer aux étudiants la philosophie et le fonctionnement de l’hôpital. Cependant, ces derniers se seraient montrés impatients, impertinents, irrespectueux et arrogants, selon Monseigneur Jean Théodule Domond.

Joseph Claudine, un des futurs résidents participants à la rencontre rapporte que les étudiants de leur côté ont essayé de poser des questions sur leur rôle et les conditions de travail. Sur ce point, Vallery Cerelus tient à préciser que ce n’était pas un travail qui leur a été offert, mais un stage. Et les frais, l’examen médical, et même le plat chaud sont une courtoisie de l’hôpital.

Joseph Claudine pensait qu’ils allaient tous recevoir des frais de 7 500 gourdes, comme c’était le cas pour les promotions précédentes. L’hôpital ne les a offerts que 5 000 gourdes. Les étudiants ont essayé de protester en évoquant la cherté de la vie.

Cependant, Aurélie Gilles estime que ces étudiants sont chanceux, parce qu’ils auront les 5 000 gourdes de l’hôpital en plus de l’allocation de 13 500 gourdes du MSPP. Elle déplore le fait que les étudiants n’ont pas eu la patience pour les écouter et essayer de comprendre.

Lorsqu’il a été porté à la connaissance du responsable de la DFPSS, le Docteur Evans Vladimir Larsen, des turpitudes auxquelles font face ces étudiants, il a rappelé que le rôle de la DFPSS était de faire le choix des sites de services suivant la requête des directions départementales et en fonction de la liste des professionnels diplômés, des besoins et de leurs réalités.

Evans Vladimir Larsen avoue ne pas savoir grand-chose des sites puisque la DFPSS ne fonctionne qu’avec les listes soumises. C’est aux directions départementales de s’assurer que l’établissement est bel et bien ouvert, de négocier le traitement des étudiants, et de garantir qu’ils ont reçu l’accompagnement nécessaire durant leur service social.

Au sujet des difficultés rencontrées par des étudiants, Evans Vladimir Larsen tranche catégoriquement : «S’ils trouvent des prétextes pour ne pas aller en service social, c’est leur problème. Avant, ils disaient que la direction de formation n’a pas fait de suivi et qu’ils étaient disponibles [des médecins formés bloqués par le MSPP]. Maintenant, ils veulent accuser encore. C’est du n’importe quoi.»

L’assistant du chef du Service des organisations des soins de santé et responsable du déploiement des étudiants sur le terrain, le Docteur Lomega Jean se dédouane de toute responsabilité. «Les résidents en service social ont l’habitude d’errer au sujet des attributions ou ce qu’ils ont comme tâche. [Ils] sont des étudiants encore en formation […]. [Ils doivent] aussi se courber devant les règlements internes de l’institution [qui les accueille].»

Sur le plan juridique, aucune loi ni décret ne vient réguler les relations entre hôpitaux et résidents. Un projet de loi a été adopté sous la présidence de Michel Joseph Martelly, mais il n’a pas été voté au parlement. Dans un contexte où des établissements privés demandent souvent bien plus que ce qui est d’usage pour la réalisation du service social, Lomega Jean estime que les résidents doivent pouvoir défendre eux-mêmes leurs droits.

Hervia Dorsinville

*Ce prénom a été modifié.

Photo couverture: PIERRE MICHEL JEAN AFP VIA GETTY IMAGES

Une première version de cet article affirmait que le service social des étudiants était de deux ans. Il s’agit d’une erreur. Le service social est plutôt d’un an.

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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