Un matériau toxique, capable de causer le cancer du poumon, avait été utilisé dans la construction du dôme de l’église
Le 13 avril 2020, la chapelle royale de Milot a pris feu. Ce monument historique construit entre 1810 et 1813 était classé patrimoine mondial par l’UNESCO. Mais dans des circonstances non encore établies par l’enquête annoncée par les autorités, une bonne partie de l’église est partie dans les flammes, particulièrement le dôme.
Ce dôme, considéré comme un bijou d’architecture par les spécialistes, a été reconstruit pendant l’occupation, par les Américains. Après l’incendie du mois d’avril, des projets de restauration ont été élaborés par différents partenaires, dont l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN).
Trois mois après, il n’y a aucune avancée significative sur la structure physique du bâtiment. Plus encore, les habitants de Milot qui fréquentent le Parc national historique sont potentiellement exposés à un danger. Dans les matériaux de fabrication du dôme de l’église, il y avait de l’amiante, une substance hautement toxique.
Exposées à l’air libre, les particules d’amiante peuvent causer de sérieux dégâts dans les poumons de ceux qui les inhalent. Rien ne vient indiquer la quantité ni la dangerosité réelle de la concentration d’amiante que contient la structure depuis l’incendie. Raison pour laquelle des spécialistes appellent à la prudence. Malgré les mises en garde, les autorités n’ont toujours rien fait pour sécuriser l’espace et interdire la visite des ruines de la chapelle.
Tout le dôme est concerné
L’amiante est l’un des matériaux les plus utilisés dans la construction, dans le monde. Depuis 1997, il est interdit dans les constructions françaises, à cause du nombre de cancers qu’il cause tous les ans. Construite aux environs de 1930, la toiture de l’église de Milot contenait ce matériau toxique.
Ginette Chérubin est une consultante à l’UNESCO. D’après elle, à cause de l’amiante, il fallait prendre des mesures d’urgence. « Après l’incendie, dit-elle, on s’est réunis en urgence pour savoir ce qu’il fallait faire. C’est vrai qu’on ne pouvait pas encore décider un certain nombre de choses, mais il fallait agir pour protéger des vies humaines. L’amiante contenu dans le toit pouvait se disperser dans l’air facilement. »
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Patrick Durandisse, directeur général de l’ISPAN, confirme que le matériau toxique était présent. « En fait, c’est toute la toiture qui était faite en amiante, affirme-t-il. À l’époque où elle était construite, les gens ne savaient pas que c’était toxique. Cela pose un problème de santé, mais l’ISPAN et le ministère de l’Environnement ont un protocole pour ramasser et stocker la poussière. »
Aucune précaution
Depuis l’incendie, aucune mesure de protection n’a été prise, même pour délimiter la zone du sinistre. « La première chose qu’on avait recommandée, explique Ginette Chérubin, c’était de définir un périmètre de sécurité autour du site. Cela ne s’est pas fait. Il fallait aussi construire des bassins de décantation, pour empêcher qu’après la pluie, l’amiante n’aille se déverser dans des sources ou des rivières proches. Rien n’a été fait dans ce cas non plus. »
Bien que des travaux de réparation de l’église aient été annoncés, le directeur de l’ISPAN informe qu’ils ne sont pas encore en cours. « Pour l’instant, nous sommes seulement au stade d’études, affirme Patrick Durandisse. Nous avons un fonds disponible, mais il n’est pas suffisant pour lancer des travaux de réparation. »
Les habitants de Milot, qui vivent à proximité du parc, ne sont pas conscients du danger. Donald Germéus, journaliste évoluant au Cap-Haïtien, s’est rendu le 22 juillet 2020 au Parc national historique. Il confirme que le parc n’est pas fermé, contrairement à ce que disent les autorités. Bien que les visites aient diminué, des touristes continuent à venir sur le site. Selon des habitants de Milot, bon nombre d’étrangers sont venus regarder les ruines de l’église.
Les touristes locaux ne sont pas en reste. Gary est arrivé de Ouanaminthe avec des amis, pour aller à la citadelle. « Nous n’avons pas pu entrer dans la citadelle, parce qu’il est fermé. Mais avant d’y aller, nous sommes passés à l’intérieur de l’église. Je ne savais que c’était dangereux. Mais de toute façon l’espace de l’église est accessible. »
Un matériau dangereux
Les particules d’amiante sont très fines, de 400 à 500 fois plus fines qu’un cheveu. L’exposition pendant une courte période peut causer quelques maladies, mais ce sont les plus longues périodes qui sont nocives. Des études montrent qu’une exposition plus ou moins prolongée à l’amiante peut notamment causer une fibrose pulmonaire. Cette maladie consiste en une série de lésions, au niveau du poumon, qui peuvent être la cause de difficultés respiratoires, voire de la mort. En général, plusieurs années passent avant que les effets de l’amiante ne se fassent voir.
En France, l’exposition à ce produit est la deuxième cause de maladies professionnelles, car elle provoque entre 3 000 et 4 000 maladies annuellement.
Dans des pays comme le Canada, certaines provinces réglementent strictement l’utilisation ou les conditions de travaux avec l’amiante. Ces réglementations classent la dangerosité du produit en trois catégories, selon les travaux réalisés. Les catégories sont de types 1, 2, ou 3, correspondant respectivement à des risques faibles, moyens et élevés.
Selon ces catégories, « la réparation, la transformation ou la démolition de tout ou d’une partie d’un bâtiment dans lesquelles de l’amiante est utilisé ou a été utilisé » est classée au type 3, c’est-à-dire le plus haut niveau de risque pour les travailleurs, ou ceux qui vivent à proximité. C’est le cas pour le dôme de l’église de Milot partie en fumée.
Jameson Francisque
Donald Germéus, un journaliste évoluant au Cap-Haïtien, a participé à ce reportage
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