Il existe une forte demande dans le secteur de l’immobilier dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. Mais le nombre étonnant de maisons actuellement vides influe négativement sur le prix de l’offre disponible selon des spécialistes.
L’aire métropolitaine de Port-au-Prince regorge de maisons inoccupées depuis des années. Certaines de ces propriétés ont été endommagées lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010, mais un grand nombre reste en très bon état. Ces maisons sont, de l’avis de Rose-May Guignard, urbaniste, une source de problèmes. « Dans chaque quartier de la capitale, dit-elle, on trouve des propriétés vides. Je crois que c’est un vrai enjeu de sécurité publique. Il est courant qu’elles abritent des activités de banditisme. Plusieurs maisons endommagées par le séisme ne sont pas reconstruites, faute de moyens économiques des propriétaires. Plus de huit ans après, les décombres sont encore là. Leur emplacement devient un dépotoir à ciel ouvert. »
Les dernières estimations démographiques de l’Institut haïtien d’informatique et de statistique, datant de 2015, indiquent qu’environ 2 618 894 personnes vivaient dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, constituée des villes de Port-au-Prince, Tabarre, Pétion-Ville, Carrefour, Cité Soleil, Delmas, Kenscoff et Gressier. Considérant que la superficie totale de l’espace métropolitain est d’environ 159 km2, cela fait une densité de population d’environ 16 523 personnes/km2. Cette statistique fait entrevoir les besoins importants de la population en ce qui concerne l’immobilier.
L’offre ne correspond pas à la demande
Selon Rose-May Guignard, un fort pourcentage de propriétaires haïtiens ne vit pas en Haïti. Et pour beaucoup d’entre eux, toute leur famille proche a aussi émigré ou est née en terre étrangère. Louer ou reconstruire n’est pas leur priorité. Parfois, il s’agit d’héritage disputé entre les membres d’une famille. N’arrivant pas à se mettre d’accord, les propriétés reçues en succession restent inoccupées. Enfin, certaines personnes ont un lien affectif fort avec leur propriété. Même quand elles n’ont pas la capacité financière de la reconstruire, psychologiquement, elles ne sont pas prêtes à la vendre. La maison reste donc vide. Cela influe directement sur le prix des propriétés, car l’offre disponible ne répond pas à la demande, et pas seulement en termes de quantité.
L’urbaniste croit qu’à Port-au-Prince les prix de l’immobilier sont excessifs. Il est vrai aussi que le prix des maisons dépend du quartier où elles se trouvent. C’est probablement ce qui oblige des gens à s’installer dans les périphéries de Port-au-Prince, par exemple à Gressier, au Morne l’Hôpital, à Canaan, etc., là où le foncier est à meilleur marché. « Le centre-ville de Port-au-Prince, par exemple, est plein de disponibilités, explique madame Guignard. Mais les propriétés sont pour la plupart des héritages. Elles ont été détruites, mais les nouveaux propriétaires n’ont pas obligatoirement les mêmes moyens financiers que leurs parents ou grands-parents. L’État devrait aider à la reconstruction, mais depuis 9 ans maintenant, la grande question c’est de savoir quels sont les bâtiments à rebâtir (et à quelle fin) pour que l’investissement soit payant. »
Wolf Jerry Bernardin, responsable de l’agence Réflexe Immobilier, abonde dans le même sens. « Depuis que le centre-ville a été décrété d’utilité publique, rien de significatif n’a été fait. Le sujet de l’immobilier n’est pas vraiment abordé. La demande est en hausse constante, mais il est difficile de trouver un logement décent et compatible avec les plus faibles bourses. Certains propriétaires préfèrent ne pas louer leur maison, au lieu d’en diminuer le prix. D’autres, vivant à l’étranger, sont souvent victimes de spoliation. Alors au lieu de laisser leur bien en usufruit, ils préfèrent le verrouiller. » Une vérification sur certains sites internet haïtiens dédiés à l’immobilier montre que le prix des loyers, situés dans certaines zones résidentielles, est rarement inférieur à 500 dollars américains (environ 40 000 gourdes) par mois.
Une taxe sur les propriétés inoccupées ?
Il n’existe pas d’impôts spécifiques pour une maison ou un terrain vides. Rose-May Guignard et Wolf Jerry Bernardin croient tous deux que c’est une nécessité de créer une telle taxe. Cela inciterait le propriétaire à s’occuper de la maison d’une manière ou d’une autre. « Il y a de cela quelques années, dit madame Guignard, l’État a voulu fixer une taxe de 6 % sur les propriétés non bâties, mais la forme ne convenait pas. Il fallait une loi spécifique, pour éviter tout désordre. Cette taxe n’a jamais été approuvée. »
La mairie de Port-au-Prince, par la voix de son porte-parole, Allwitch Jolly, se dit préoccupée par tant de maisons vides, mais précise que c’est surtout le travail de la Direction générale des impôts de recenser les maisons inhabitées. « La Mairie, dit le porte-parole, s’occupe des terrains vides à travers la direction du domaine. Toutefois, une maison vide est toujours passible d’impôt si seulement on arrive à identifier son propriétaire. À part la Contribution foncière des propriétés bâties (CFBP), communément appelée impôt locatif, il n’y a pas de taxes communales spécifiques pour les maisons inoccupées. »
Alors que l’offre de logements fait cruellement défaut, l’État ne semble pas s’en soucier puisqu’aucune loi ne contraint un citoyen à construire, louer ou vendre une propriété inoccupée même après plusieurs décennies.
Jameson Francisque
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