Bienvenue au pays où le verbe ‘’VIVRE’’ ne se conjugue qu’au passé! Bienvenue à la République des résignés… Bienvenue en Haïti! Oui, ici, la plupart d’entre nous sommes tout simplement là. Chacun attend tranquillement son tour, le moment, ou le jour où, quelqu’un viendra mettre un terme à sa vie. Ce qui est alarmant, c’est que nous ne sommes pas en cas de guerre. Ici, la pollution, les maladies (diverses), les problèmes environnementaux (le déboisement par exemple) ne sont pas les seuls malheurs planants sur nos têtes et qui pourraient provoquer notre départ pour l’orient éternel en un clin d’œil. Non, tout ceci n’est pas assez! Un bon matin, un individu sans foi ni loi peut décider d’offrir à n’importe qui, un billet « gratis ti cheri » pour un voyage au « pays sans chapeau » comme bon lui semble. Il paraît que la vie dans ce pays n’est point précieuse. Et ceci depuis des années, c’est notre triste réalité…
Lorsque quelqu’un veut évoquer un bon moment, une belle époque ou de beaux souvenirs ayant rapport à notre pays, les phrases commencent toujours par « jadis », « il fut un temps » ou « il était une fois ». Le pays était beau, les gens vivaient dans le calme. On arrivait même à surnommer ce petit bout de terre « la perle des Antilles » afin de démontrer à quel point il était paisible et vivable. À entendre les histoires de nos aînés sur la façon dont la vie était belle en Haïti et sur leur mode de vie, beaucoup de jeunes ont automatiquement le cœur lourd. À commencer par moi. Au moins, ils ont vécu des moments inoubliables de manière positive, contrairement à ma génération qui vit actuellement l’une des périodes les plus pénibles dans l’histoire de ce pays. Pourtant c’est le même pays et les mêmes habitants. Sauf que nous perdons les notions de « Vivre ensemble ». Mais, qu’est- ce qui arrache le goût de la vie sur nos lèvres!? Qu’est-ce qui nous arrive? Qu’est- ce qui nous reste de la vie en Haïti?
Sans avoir l’intention d’énumérer ou de miser sur les problèmes sociaux-politico économiques qui nous rongent depuis un bon bout de temps, plus d’un peut constater que notre cher Haïti est devenu presque invivable. Le pays a l’air d’une maison hantée. La panique nous habite, notre quotidien est scellé d’une peur bleue. Nous ne vivons pas dans un cimetière, encore moins dans la plus grande maison funèbre du monde, mais nous frôlons la mort à longueur de journée et le plus grave, nous nous acheminons vers le pire. Tout le monde s’inquiète. Nous sommes arrivés à un carrefour où nous sommes à la fois spectateurs et acteurs d’un film d’horreur dont la fin ne semble pas si proche. Ici on existe, mais on ne vit plus. Hélas!
Au cours de ces deux dernières semaines : d’une part, nombreux sont ceux et celles qui ont eu à assister à des scènes de crime en pleine rue à Port- au- Prince et ses environs. D’autre part, nous avons tous entendu des nouvelles poignantes soit à la radio, lu dans les journaux ou sur les réseaux sociaux des choses horribles dignes des scénarios d’Hollywood. Lynchages, brûlés vifs, assassinats, viols, morts par balles, pour ne citer que ceux-là. Toutes les couches de la population sont ciblées : agents de police, étudiants, père de famille, jeunes et moins jeunes ou un simple passant. Même les policiers qui devraient s’assurer de la protection de nos vies et biens ne sont pas épargnés. Donc, personne n’est à l’abri. Quant aux nombres de jours qui nous restent à vivre, dans l’unique but de nous éteindre comme une bougie, la liste de méthode des décideurs est bien longue. Et malheureusement, la liste des victimes l’est encore plus.
En Haïti, oser vivre est un grand risque. Les actes de banditisme perpétrés au cours de la semaine écoulée nous prouvent qu’il n’y a que des morts-vivants qui habitent ce pays. Hier soir c’était le voisin d’à côté, demain matin ce sera qui? La tristesse des vivants affecte même les vrais morts. Souvent nous pleurons le départ de nos chers disparus, mais de leurs côtés ils pourraient eux aussi nous rendre la pareille. À quoi cela nous sert- il de vivre en pensant tous les jours à notre propre mort?
Nous ne pouvons que rêver, un jour, nous réveiller de ce cauchemar. À l’approche des fêtes de fin d’année, il n’y a que des braves gens qui osent mettre le nez dehors pour aller s’amuser. Nous sortons au péril de nos vies. Nous voulons vivre comme de bons vivants, pas comme des cobayes séjournant dans un laboratoire scientifique. Nous voulons nous aussi partager de beaux souvenirs de l’instant présent aux futures générations. Nous sommes à un stade où même les plus optimistes se questionnent sur l’avenir de ce pays. Et qui pis est, nous ne sentons pas le vent du changement dans les parages. En attendant le changement tant espéré, vous qui êtes vivants, essayez de vivre malgré tout.
Georgy Lundy
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