SOCIÉTÉ

Stephora Anne-Mircie Joseph : des attaques racistes en terre dominicaine à une mort aux circonstances troubles

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Préoccupée par le racisme et les moqueries dont sa fille était victime à l’école, la mère confie à AyiboPost l’avoir inscrite dans une école de mannequinat dans l’espoir de l’aider à « accepter ses différences »

Morte dans des conditions encore non élucidées à la mi-novembre en République dominicaine, la jeune Haïtienne de onze ans, Stephora Anne-Mircie Joseph, avait découvert dès son arrivée en terre voisine en 2022, un environnement scolaire où elle faisait face, pour la première fois de sa vie, à des comportements racistes, selon sa mère et une cousine contactées par AyiboPost.

Stephora à l’âge de huit ans, sa première communion en Haïti.

À son inscription à l’institut Leonardo Da Vinci cette année-là, les remarques hostiles n’ont pas tardé à arriver.

« Les élèves ont commencé à la traiter de “vieille noire haïtienne”.  Ils se moquaient de la couleur de sa peau et de la texture de ses cheveux qu’ils appelaient “paille de fer”. Elle est venue m’en parler, très troublée », raconte sa mère, Lovelie Raphaël. « Je lui ai dit de ne pas y prêter attention. »

Elle et sa fille avaient quitté le Cap-Haïtien en 2022 pour s’installer en République dominicaine, après le départ du père pour les États-Unis et dans un contexte d’instabilité persistante en Haïti.

Une cousine de la mère, contactée par AyiboPost, confirme le malaise de la fillette avec ses camarades à l’école.

Selon cette cousine, Stephora Anne-Mircie Joseph demandait souvent à sa mère si elle était belle ou laide — un signe, à ses yeux, que les remarques à l’école avaient laissé des traces.

La famille dit avoir porté plainte auprès de la direction, et des sanctions auraient été prises contre les élèves concernés.

Craignant les effets de ces remarques sur l’estime de soi de sa fille unique, la mère dit avoir multiplié, au fil des années, les efforts pour l’accompagner.

En 2024, elle décide de l’inscrire à une école de mannequinat pour l’aider « à renforcer sa confiance et à accepter ses différences ».

Malgré ces débuts difficiles, la situation a progressivement évolué.

« Nous avons travaillé avec elle sur son estime de soi, et cela a commencé à porter ses fruits », déclare à AyiboPost Lovelie Raphaël, ajoutant que sa fille n’avait pas l’habitude de vivre ce genre de situation quand elle était à l’école en Haïti.

Selon la dame, les remarques racistes, bien que persistantes par moments, avaient fini par avoir moins d’impact. Elle confie que sa fille continuait d’obtenir de bons résultats et gagnait peu à peu en assurance.

La fille meurt le 14 novembre 2025, lors d’une excursion scolaire organisée à la Hacienda Los Caballos pour les élèves ayant obtenu les meilleurs résultats de l’établissement, selon sa mère.

La jeune Haïtienne, qui venait de fêter son onzième anniversaire, était en septième année fondamentale.

Le décès – dont les circonstances restent à préciser –  de la jeune Stephora Anne-Mircie Joseph, survient dans un contexte de durcissement des mesures migratoires à l’encontre des Haïtiens, mises en œuvre par le président Luis Abinader depuis son accession au pouvoir en 2020.

Selon le Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (GARR), plus de 20 000 Haïtiens ont été expulsés par la République dominicaine pour le seul mois d’octobre 2025.

Selon des témoignages recueillis par AyiboPost, depuis au moins avril 2025, des femmes haitiennes enceintes ont été expulsées des hôpitaux, des femmes allaitantes et leurs bébés retenus de force par les services migratoires, et d’autres encore sont décédées en couches après avoir refusé de se rendre à l’hôpital par crainte d’être arrêtées et déportées.

Plus de deux semaines après le décès de la jeune haïtienne, ni les autorités ni les responsables de l’établissement n’ont fourni le moindre détail à la famille sur les circonstances entourant sa mort.

Dans ce silence, plusieurs organisations et personnalités de la société civile dominicaine, dont Collectivo haitianosRD, s’indignent et dénoncent « un État qui, historiquement, a politisé la haine raciale pour justifier l’exclusion, les déportations, la négligence et le silence ».

Dans une note mise en ligne le 29 novembre, Collectivo haitianosRD pointe du doigt un contexte national plus large où « l’on ne peut pas parler de justice sans reconnaître qu’en République dominicaine, le racisme et l’antihaitianisme structurel conditionnent l’accès aux droits les plus fondamentaux, y compris le droit à la justice ».

« On ne peut pas parler de justice sans reconnaître qu’en République dominicaine, le racisme et l’antihaitianisme structurel conditionnent l’accès aux droits les plus fondamentaux, y compris le droit à la justice », note l’organisation Collectivo haitianosRD, une organisation de défense des droits des migrants haitiens, basée en République dominicaine.

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Trois membres de la famille contactés par AyiboPost décrivent une fille « intelligente et éveillée ».

« C’était une enfant intelligente et très responsable, au point que les gens doutaient qu’elle n’ait que onze ans. Elle parlait couramment français, anglais et espagnol », raconte Lovelie Raphaël à AyiboPost .

La dame de 43 ans décrit sa fille comme une personne aimante, qui savait jouer au football, suivait ses cours de mannequinat et faisait de la peinture.

« Ses professeurs me disaient qu’elle les aidait à donner des cours de français à l’école. Récemment, son enseignante m’a contactée pour me demander ce qui n’allait pas, car Stephora avait obtenu 95 sur 100 en mathématiques, alors qu’habituellement elle obtient 100 sur 100 ».

Elle et sa mère avaient quitté le Cap-Haïtien en 2022 pour s’installer en République dominicaine, après le départ du père pour les États-Unis et dans un contexte d’instabilité persistante en Haïti.

Selon elle, sa fille représentait toujours l’école lors des concours de génie en mathématiques.

Guy Raphaël, grand frère de Lovelie Raphaël qui vit encore en Haïti, s’est dit dévasté en apprenant la nouvelle.

« C’était une enfant très éveillée et dynamique. Quand j’ai appris la nouvelle de sa mort, je suis rentré tout de suite pour venir soutenir ma petite sœur », explique l’homme à AyiboPost.

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Le vendredi 14 novembre, Lovelie Raphaël était loin de douter qu’elle n’allait plus revoir  sa fille après l’avoir déposée à l’école vers sept heures du matin.

Elle planifiait d’acheter les cadeaux d’anniversaire de Stephora au retour de cette dernière de la sortie scolaire.

« Vers onze heures, un responsable de la direction de l’établissement m’a appelée pour m’informer qu’elle ne se sentait pas bien et qu’elle était en train de vomir », déclare Lovelie Raphaël à AyiboPost.

Les responsables lui ont demandé dans quel hôpital ils devaient emmener sa fille.

Mais cinq minutes plus tard, l’un d’eux lui a dit de venir la chercher directement sur le lieu de l’activité, avant de lui communiquer une adresse très éloignée de San Pedro de Macoris, où elle réside.

À son arrivée, elle a aperçu des ambulanciers sur place.

La zone, bouclée et surveillée par les forces de l’ordre, lui était inaccessible.

Lorsqu’elle a demandé de voir sa fille, on le lui a refusé, affirmant que l’enfant était en train de recevoir des soins.

Après plus de deux heures d’attente, la mère n’avait toujours aucune information.

Entre-temps, de nouvelles unités de la police sont venues en renfort, dit-elle.

«J’avais le pressentiment qu’il y avait eu une mort sur les lieux, mais je n’imaginais pas qu’il s’agissait de ma fille. » confie Lovelie Raphaël à AyiboPost.

Plus de trois heures après son arrivée sur les lieux, des membres de l’Institut national des sciences médico-légales lui ont confirmé la mort de la fillette et l’ont informée que la dépouille serait transférée vers la morgue.

Ils lui ont également indiqué qu’elle pourrait récupérer le corps le lendemain, sans lui communiquer le moindre détail sur les causes de la mort de Stephora.

« Tous les effets de ma fille — tablette, sac à dos — sont entre les mains des responsables de l’établissement », confie Lovelie Raphaël, ajoutant qu’on lui a refusé l’accès aux enregistrements des caméras de surveillance au motif qu’une enquête était en cours.

«J’avais le pressentiment qu’il y avait eu une mort sur les lieux, mais je n’imaginais pas qu’il s’agissait de ma fille. » confie Raphaël à AyiboPost.

Le lendemain, lorsqu’elle s’est rendue à la morgue pour récupérer le corps, des responsables lui ont remis un certificat préliminaire de décès.

Ce document provisoire du ministère de la Santé publique, obtenu en exclusivité par AyiboPost, indique que la jeune fille est morte d’une asphyxie mécanique par noyade, associée à une insuffisance respiratoire.

« Ils m’ont promis de me remettre le rapport d’autopsie dans un mois », confie la mère à AyiboPost.

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L’école n’avait pas fourni de détails sur l’activité prévue ce jour-là, selon Lovelie Raphaël.

« L’établissement avait uniquement envoyé un document pour demander l’autorisation de baignade pour l’enfant. Ils m’avaient demandé si ma fille pouvait se baigner dans la piscine et j’avais signé », explique la mère, ajoutant s’être rendu compte par la suite qu’il s’agissait d’une piscine réservée aux adultes.

Le directeur régional du ministère de l’Éducation, Pedro Pablo Marte, cité par le média dominicain Listin Diario dans un article paru le 26 novembre, a souligné que les responsables de l’établissement scolaire avaient violé le protocole régissant les sorties scolaires lors de cette excursion.

Selon le directeur, il n’existerait aucun document prouvant que l’établissement scolaire ait officiellement signalé l’activité à son district ou à la direction régionale, comme l’exigent les règles en vigueur.

Photo prise un mois après son anniversaire, le 4 octobre 2025.

Un arrêté ministériel datant de 2009, consulté par AyiboPost et émis par le ministère de l’Éducation dominicain, interdit les sorties, excursions ou journées récréatives vers les plages, rivières, lacs ou stations balnéaires, ainsi que les activités festives dans des zones de divertissement ou des clubs nocturnes, lorsqu’elles présentent des risques physiques, mentaux ou émotionnels pour les élèves.

Des failles logistiques, de sécurité et l’absence de dispositifs médicaux sur les lieux de déroulement de la sortie scolaire auraient été signalées par les autorités qui ont, par la suite, autorisé la fermeture de Hacienda Los Caballos.

Pedro Pablo Marte refuse toute « dimension raciste ou discriminatoire dans le dossier ».

AyiboPost a contacté la direction de l’école pour recueillir sa réaction, mais celle-ci n’a pas encore répondu.

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Le corps de la fillette a été incinéré le 27 novembre.

La famille dit attendre désormais les autorisations nécessaires des autorités dominicaines pour rapatrier les cendres en Haïti en vue de ses funérailles en présence des membres de la famille.

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Lire aussi : Le calvaire des femmes haïtiennes enceintes traquées par la migration dominicaine

Le 28 novembre dernier, la procureure générale de la République dominicaine, Yeni Berenice Reynoso, a chargé la Direction générale des poursuites du Ministère Public et la Direction nationale de l’enfance, de l’adolescence et de la famille de renforcer les enquêtes sur le décès de Stephora Anne-Mircie Joseph.

La mère de Stephora  confirme à AyiboPost avoir rencontré la procureure générale le même jour, qui lui a assuré que justice serait rendue et que les responsables seraient sanctionnés.

« J’ai commencé à visualiser quelques séquences des enregistrements de la caméra de surveillance, mais je ne suis pas encore prête à révéler le contenu à la presse car il y a une enquête en cours », conclut la maman à AyiboPost.

Le Ministère haitien des Affaires étrangères n’a pas répondu à une demande de commentaires de AyiboPost avant la publication de cet article.

Par : Fenel Pélissier

Couverture | Photo prise pour son dixième anniversaire en novembre 2024

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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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