Les stations à essence illégales envahissent Les Cayes

La plupart de ces constructions se dressent sans les permis légaux nécessaires et causent des dégâts environnementaux. Elles peuvent aussi être liées au blanchiment d’argent, analyse un spécialiste local

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Sous les fortes pluies, plus d’une centaine de maisons ont été inondées par la rivière « Madan Samdi », longeant la route nationale #7 au niveau de Simon, du jeudi 25 au 27 septembre, dans le Sud.

Dans le désarroi, la population locale pointe du doigt la construction d’une structure de recouvrement sur la rivière, liée à une station à essence, obstruant l’évacuation des eaux débordantes de la ravine.

Ces pompes à essence poussent comme des champignons dans la troisième ville du pays. Sur une superficie d’à peine 219,11 kilomètres carrés, environ une quarantaine de stations-service sont recensées.

« C’est un secteur assez juteux », ouvert au « blanchiment d’argent », où les propriétaires fixent leur propre prix, explique à AyiboPost Me Faltinor Patrick Douyon, directeur d’une école de droit locale.

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Une bonne partie de ces stations à essence abritent simultanément des distributeurs de gaz propane et sont construites à proximité de maisons de citoyens, d’écoles, de restaurants et d’institutions publiques, en dehors de tout respect des recommandations de sûreté d’experts pour éviter les incendies ou autres catastrophes.

« Je n’ai jamais vu une station-service conforme aux standards internationaux dans la ville des Cayes », témoigne à AyiboPost Wisly Jean Claude, spécialiste en urbanisme et professeur d’université.

Sur une superficie d’à peine 219,11 kilomètres carrés, environ une quarantaine de stations-service sont recensées aux Cayes.

Le danger imminent de la prolifération anarchique des pompes à essence ces cinq dernières années inquiète la municipalité.

Le 1er septembre 2024, la mairie a publié un arrêté communal portant sur les aires protégées et la gestion de l’environnement aux Cayes.

Toute nouvelle construction de pompes à essence, d’usines de vétiver ou de stations à propane est interdite dans la commune sans une évaluation d’impact environnemental du ministère de l’Environnement, peut-on lire dans l’article 21 du texte.

Or, AyiboPost constate au moins trois nouvelles constructions de pompes en cours.

« Une seule pompe à essence, à ma connaissance, a entamé cette démarche auprès de la direction départementale du MdE », révèle à AyiboPost le directeur départemental Sud du ministère de l’Environnement, Jean Marc Cherizier.

La mairie rejette toute responsabilité dans ce désordre.

« En deux ans d’administration, la mairie n’a signé aucune autorisation de construction. Ces pompes ont obtenu leurs autorisations bien avant l’arrivée de ce cartel », déclare à AyiboPost la mairesse de la commune des Cayes, Claire Daphnée France.

« Une correspondance a été adressée au ministère de l’Environnement pour lui demander de faire une évaluation d’impact environnemental des pompes à essence au niveau de la ville, afin d’identifier celles qui doivent être mises hors service dans la commune », affirme à AyiboPost Claire Daphnée France, mairesse de la commune des Cayes.

AyiboPost n’a pas vu cette correspondance. Et, contacté par notre rédaction, Cherizier, du ministère de l’Environnement, nie la réception d’un tel document.

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Ces constructions anarchiques commencent pourtant à faire des dégâts.

La Protection civile fait mention de 2 500 maisons inondées dans la ville des Cayes, et de la perte de 250 bétails lors du passage de la dépression tropicale #9, du jeudi 25 au 27 septembre, sur le département du Sud.

La rivière « Madan Samdi », dont l’évacuation est obstruée par une structure de recouvrement sur son lit, liée à une station à essence, n’avait pas l’habitude de quitter son cours pour traverser la route nationale et inonder la population de la zone avec une telle violence, rapporte le CASEC Reneau Joseph. « C’est pour la première fois que nous sommes confrontés à cette forme d’inondation », poursuit l’autorité.

La population locale pointe du doigt la construction d’une structure de recouvrement sur la rivière, liée à cette station à essence, obstruant l’évacuation des eaux débordantes de la ravine

La construction d’une pompe à essence en face d’un point de vente de propane, au bord de la route de l’aéroport Antoine Simon, au niveau de Simon, suscite également des inquiétudes.

Pour relier la route nationale #7 à cette station-service, une structure de couverture sur la rivière a été réalisée. Ce travail a été conçu par l’ingénieur et architecte Fritz André Sévère, selon des documents légaux obtenus par AyiboPost.

Ce pont réduit l’espace de la rivière et obstrue son écoulement, ce qui a engendré sa montée subite dans la zone et causé beaucoup de dégâts, selon le représentant de la section communale de Bourdet, Reneau Joseph.

Le leader communal soutient avoir interpellé la mairie des Cayes sur le « danger » de la construction. Une interpellation confirmée par la mairesse, qui dit avoir demandé à la direction départementale Sud du ministère des Travaux publics de procéder à une évaluation.

Contacté par AyiboPost, le directeur départemental du Sud du ministère des Travaux publics, l’ingénieur Hans Larieux, révèle n’avoir jamais donné un avis favorable pour cette construction.

« Le MTPTC n’était pas au courant avant le début de ces travaux. C’est au cours de la réalisation de l’ouvrage que la mairie nous a demandé de faire une évaluation, ce qui aurait dû être fait bien avant. Et si la construction a débuté, c’est parce que la mairie y était favorable », précise Hans Larieux à AyiboPost.

Lors de fortes pluies, la rivière s’étend sur toute la largeur de la route nationale #7, rendant la circulation difficile. Une telle situation peut, à terme, dégrader l’asphalte qui recouvre cette route.

Le propriétaire de la station à essence, Patrick Édouard, déclare détenir une autorisation de la mairie et l’avis favorable des Travaux publics.

Contacté par AyiboPost, le directeur départemental du Sud du ministère des Travaux publics, l’ingénieur Hans Larieux, révèle n’avoir jamais donné un avis favorable pour la construction d’une pompe à essence en face d’un point de vente de propane, au bord de la route de l’aéroport Antoine Simon.

Questionné sur la réduction de l’espace d’écoulement de l’eau par son pont, l’entrepreneur affirme ne rien savoir des questions techniques, se référant à l’ingénieur « patenté » en charge des travaux. « C’est à l’État de faire les travaux de curage du lit de la rivière pour éviter ces inondations », estime Édouard.

L’ingénieur civil Berthin Félix, dépêché par AyiboPost sur les lieux pour observation, explique que la structure diminue effectivement le lit de la rivière, « un problème majeur pour la ville des Cayes en matière de construction ».

Un regroupement de citoyens locaux mécontents annonce pour bientôt l’organisation d’une conférence de presse pour dénoncer les inondations causées par cette structure, révèle à AyiboPost un responsable de média local.

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Entre-temps, rien ne semble pouvoir arrêter la forte concentration de stations-service dans la commune : douze entre le centre-ville et Boulmier, treize entre Cartagena et Lagodray, et treize autres entre Quatre Chemins et Desmorne, selon la mairie.

Sur 600 mètres entre la Croix-des-Quatre-Chemins et le pont de la ravine du Sud, on en recense déjà quatre.

À Carrefour Aurel, une station « National » jouxte des habitations, face au bâtiment de l’ONA, avec bars et restaurants à proximité.

Le 23 avril 2022, une fuite de gaz à Pont Salomon a provoqué un incendie dans lequel au moins deux maisons à proximité de ce point de vente ont été ravagées, au bord de la route nationale #2.

Un homme à moto, circulant sur la route nationale #2, s’est retrouvé piégé par cette fuite de gaz et a alors été brûlé.

« Il n’y avait pas de règlements stricts pour orienter l’implantation des pompes à essence dans la ville sous les administrations précédentes », analyse Bocage Pablos, ingénieur civil et responsable de l’urbanisme à la mairie des Cayes.

Inondations aux Cayes. Photo : Charles Boyer

La faiblesse de l’État dans la régularisation de ce secteur fait partie des facteurs favorisant la prolifération incontrôlée de ces structures, selon des observateurs.

« Souvent, les gens impliqués dans le secteur pétrolier sont aussi engagés dans des activités illicites », soutient à AyiboPost l’ancien député de la circonscription Cayes/Île-à-Vache, Jean David Geneste.

En 2020, seulement 5 % des stations à essence étaient régulièrement enregistrées auprès du Bureau des évaluations environnementales du ministère de l’Environnement en Haïti, avait révélé à AyiboPost le responsable de cette entité, Ninom Abraham Angrand.