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Des hommes consomment des pilules contraceptives pour femmes en Haïti

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Depuis plusieurs décennies, la possibilité de donner aux hommes un moyen de contrôler de manière réversible leur pouvoir de reproduction a été soulevée et fait l’objet de recherches scientifiques, soutenues par des fonds ou des initiatives qui s’intéressent à la question

Jean Samuel Métellus avait 25 ans quand il a commencé à prendre régulièrement une pilule de contraception pour femmes appelée « Pilplan » afin d’éviter de faire tomber enceintes ses partenaires sexuelles.

L’homme, originaire de Croix-des-Bouquets, passera une année et demie à répéter cette pratique avant de l’abandonner, à la suite de la grossesse, à sa « grande surprise », de deux de ses partenaires à la fin des années 2010.

Métellus, 37 ans, vit aujourd’hui au Canada. Avant de se rabattre sur les pilules, il était déjà père, responsable économiquement de deux enfants, respectivement âgés de dix-sept et treize ans aujourd’hui.

Une amie lui avait faussement assuré que ses partenaires ne tomberaient pas enceintes si lui prenait les pilules de contraception pour femmes, malgré la sensation de nausée accompagnant leur ingestion.

« J’y ai cru », confie Métellus à AyiboPost.

D’autres hommes haïtiens croient aussi en cette fausse méthode de contraception masculine, selon ce que suggèrent près d’une demi-douzaine d’interviews collectées par AyiboPost auprès de personnes au courant de cette pratique.

Mikaelle Pierre, en fin de vingtaine, tient une petite pharmacie dans la commune de Trou-du-Nord, dans le département du Nord-Est.

Il y a deux mois, une femme du quartier s’est présentée à la pharmacie pour acheter un médicament et en a profité pour tailler causette avec elle.

Au fil de la conversation, la femme, visiblement dans la vingtaine également, a confié à Pierre qu’elle ne prenait plus de pilules contraceptives parce qu’elle n’en supportait pas les effets secondaires. Pour remédier à cette situation, la cliente a avoué à Pierre que c’était son mari qu’elle obligeait à les prendre à sa place.

Pierre avoue à AyiboPost avoir été décontenancée face à cette révélation : « J’étais très étonnée. C’était la première fois que j’entendais parler de cette pratique », a-t-elle déclaré.

Le spécialiste en médecine familiale, le Dr Kerry Norbrun, est au courant de cette pratique. Pour ce médecin, elle entraîne parfois même un abandon de responsabilité parentale.

« Parfois, des hommes prétextent avoir pris la pilule pour se déresponsabiliser lorsque leur partenaire leur confie être tombée enceinte », soutient-il.

Pour Norbrun, il n’existe pour l’instant que deux méthodes de contraception masculine reconnues : la vasectomie, une intervention chirurgicale qui bloque les canaux transportant les spermatozoïdes vers le liquide spermatique et le préservatif.

Lire aussi : Les hommes aussi ont le choix de la contraception

Bien que la science s’intéresse depuis les années 1970 au développement d’une méthode de contraception capable de rendre improductifs les spermatozoïdes masculins, les recherches en la matière se poursuivent encore aujourd’hui.

Le laboratoire YourChoice Therapeutics a mis au point une pilule contraceptive pour homme baptisée YCT-529.

Ce contraceptif oral masculin non hormonal, qui vise à bloquer la production des spermatozoïdes, a subi des tests cliniques aux résultats très encourageants depuis la deuxième moitié de l’année 2022. Mais malgré ces avancées, cette pilule est encore loin d’une commercialisation.

Pour le Dr Norbrun, les méthodes ou pilules contraceptives développées pour les femmes ne sont pas adaptées à l’organisme ni à la biologie masculine.

Parfois, des hommes prétextent avoir pris la pilule pour se déresponsabiliser lorsque leur partenaire leur confie être tombée enceinte

-Dr Kerry Norbrun

La plupart des pilules contraceptives bloquent l’ovulation, amincissent la paroi interne de l’utérus pour empêcher toute implantation et modifient la consistance de la glaire cervicale, empêchant le passage des spermatozoïdes. « Donc, la pilule sur l’homme n’aura pas les résultats escomptés puisque celui-ci ne possède aucun de ces éléments de la physiologie féminine », analyse Norbrun.

Le Dr Berthony Guerrier est gynécologue. Il est, lui aussi, au courant de cette pratique.

Le médecin se rappelle encore cet épisode « cocasse » survenu il y a trois ans dans un hôpital où il travaillait, dans le département des Nippes, où un membre du petit personnel de soutien se faisait moquer par ses pairs pour avoir révélé à l’un d’eux qu’il avait eu recours à des pilules contraceptives pour contrôler son pouvoir de reproduction.

Frisant la cinquantaine, cet employé, selon le Dr Guerrier, avait déjà environ une demi-douzaine d’enfants. « Il ne voulait pas enfanter davantage », précise-t-il.

Pour éviter ces pratiques, le Dr Guerrier plaide pour une démocratisation des connaissances scientifiques.

Si les conséquences sont à première vue anodines à court terme, les hommes qui ingurgitent des pilules de contraception peuvent s’exposer à de sérieux problèmes de santé à long terme, révèle le Dr Norbrun.

Pour le médecin, les pilules contraceptives sont destinées aux femmes. Elles contiennent des versions synthétiques de deux hormones féminines : l’œstrogène et la progestérone.

Ces deux hormones sont responsables de la dotation des femmes en caractéristiques morphologiques et physiologiques propres, à l’inverse de la testostérone chez les hommes. Dans la pilule contraceptive, elles agissent ensemble pour prévenir une grossesse en empêchant les ovaires de libérer un ovule.

« Un homme qui prend des pilules contraceptives portera dans son organisme ces deux hormones féminines, précise Norbrun. Et un usage immodéré à long terme d’une pilule contraceptive peut provoquer chez les hommes l’apparition de caractéristiques morphologiques féminines, comme le développement de tissus graisseux au niveau de certaines zones du corps et la gynécomastie – le développement exagéré des glandes mammaires masculines, dû à un dérèglement hormonal.

À cela peuvent s’ajouter également une baisse de la libido, des dysfonctionnements érectiles ou encore la possibilité de maladies thromboemboliques comme l’accident vasculaire cérébral, entre autres, selon le Dr Norbrun.

La pilule contraceptive reste l’une des méthodes de régulation des naissances les plus prisées dans le monde. Dans des pays comme les États-Unis et le Canada, plus de 15 % des femmes âgées de 15 à 49 ans la prennent.

Mais la contraception masculine reste très marginale au sein des couples, dans un monde où plus de la moitié des grossesses sont non désirées. Une réalité à laquelle Haïti n’échappe pas.

Depuis plusieurs décennies, la possibilité de donner aux hommes un moyen de contrôler de manière réversible leur pouvoir de reproduction a été soulevée et fait l’objet de recherches scientifiques, soutenues par des fonds ou des initiatives qui s’intéressent à la question.

La pilule contraceptive reste l’une des méthodes de régulation des naissances les plus prisées dans le monde. Dans des pays comme les États-Unis et le Canada, plus de 15 % des femmes âgées de 15 à 49 ans la prennent.

Par exemple, à Durham, en Caroline du Nord, aux États-Unis, le Male Contraceptive Initiative (MCI) est une organisation à but non lucratif dont l’objectif est de faire avancer la recherche et le développement de nouvelles méthodes de contraception masculine réversibles et non hormonales.

Pour cette organisation, des efforts en ce sens répondent à une nécessité : le manque d’options contraceptives masculines représente un fardeau trop lourd pour les femmes.

De tels efforts seront à même de favoriser, entre autres, des relations plus équitables, un bien-être individuel et une meilleure dynamique familiale, proclame le MCI.

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Couverture | Un homme assis sur un canapé, prêt à prendre une pilule. Photo : Freepik 

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Journaliste à AyiboPost depuis avril 2023, Legrand junior fait ses études à l'Université d'État d'Haïti. Passionné des mots et du cinéma, il espère mettre à contribution sa plume pour donner forme au journalisme utile en Haïti et favoriser l'éclosion d'une sphère commune de citoyenneté.

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