SOCIÉTÉ

La biodiversité haïtienne est en danger

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La conservation de la biodiversité haïtienne est compromise par le manque de financement et le contrôle accru exercé par les gangs armés sur des aires protégées

Haïti possède l’une des biodiversités les plus riches de la Caraïbe.

Mais sa conservation est compromise par le manque de financement et le contrôle accru exercé par les gangs armés sur des aires protégées.

Des initiatives privées, en particulier des jardins botaniques, tentent de préserver des espèces endémiques, d’assurer un suivi scientifique, de sensibiliser le public à l’importance de la biodiversité et de promouvoir l’écotourisme.

Mais la survie de ces dernières est menacée par des conflits fonciers, le manque de ressources et l’absence d’encadrement de l’État, selon une demi-douzaine de responsables de ces initiatives joints par AyiboPost.

Aux Cayes, dans le Sud d’Haïti, un litige foncier a suffi à révéler la fragilité d’un projet unique ayant vu le jour en 2003.

Le Jardin botanique des Cayes, le seul officiellement reconnu pour Haïti par le réseau international de conservation des jardins botaniques (BGCI), a dû fermer ses portes pendant plus de vingt jours en août 2025.

Les propriétaires du terrain, loué sous bail depuis plus de vingt ans, cherchent désormais à en reprendre possession.

« Nous avons proposé à l’État haïtien d’acheter le terrain afin de sécuriser l’espace, mais l’accord n’a jamais abouti.

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Les propriétaires n’avaient pas présenté les titres de propriété nécessaires », explique à AyiboPost William Cinéa, ingénieur forestier et initiateur du projet.

Les conséquences ont été immédiates : stages annulés, visites suspendues pour une quarantaine d’étudiants, espèces rares laissées sans entretien.

Même après la réouverture du site, l’incertitude demeure. « Toutes les démarches visant à trouver un accord et à assurer la continuité de nos activités se font à titre personnel, sans accompagnement de l’État haïtien », souligne Cinéa, qui poursuit lui-même des négociations avec les propriétaires.

Le processus d’achat du terrain afin de préserver ce patrimoine avait été entamé en 2018 avec l’Association nationale des aires protégées (ANAP), sous la direction de Jeantel Joseph.

Mais les discussions se sont interrompues.

Selon Prénord Courdo, directeur technique de l’ANAP également impliqué à l’époque, aucune certitude n’existe aujourd’hui quant à une reprise du processus.

« Ces discussions avaient été engagées sous une autre administration. Pour les relancer, il faudrait une nouvelle évaluation, une visite des lieux et une inscription dans notre budget », explique le responsable, qui ne peut confirmer si l’État envisage encore d’acquérir le site.

Le Jardin botanique des Cayes renferme différentes plantes endémiques comme le Ti pwason, du nom scientifique Amyris apiculata, l’Agave brevispina, le Lang Bèf (Clavija domingensis), etc. L’initiative survit grâce à ses propres ressources, anxieuse de trouver une issue qui garantira sa pérennité.

L’article 256 de la Constitution de 1987 mentionne l’obligation pour l’État de procéder à la « création et à l’entretien des jardins botaniques et zoologiques en certains points du territoire ».

Joint par AyiboPost, Courdo, directeur technique de l’ANAP, reconnaît ne pas avoir une idée précise du nombre de jardins botaniques existant dans le pays.

En novembre 2015, un projet de création d’un Jardin botanique national d’Haïti (JBNH) a été lancé dans la localité de Bonnet, commune de Ganthier, à une douzaine de kilomètres de Croix-des-Bouquets.

Ce projet avait été initié en partenariat avec le ministère de l’Environnement, le ministère de l’Éducation nationale, le ministère de l’Agriculture et la Commission nationale haïtienne de coopération avec l’UNESCO.

Le site, situé dans la réserve de biosphère de La Selle, se trouve au bord de la route nationale, entre deux aires protégées — Bois Frèch et Source Zabeth.

Mais aujourd’hui les gangs contrôlent l’accès à ces espaces.

Ce ne sont pas des cas isolés. D’autres projets du même type que le Jardin botanique des Cayes, portés par le secteur privé, connaissent de grandes difficultés.

Dans le Nord-Ouest, à Ouanaminthe, une initiative de conservation botanique a vu le jour en 2013.

Porté par deux militants environnementaux, Alex Milhomme et Sanchez Pierre, le Jardin botanique de Ouanaminthe, situé dans la localité de Bédou, met en valeur et collectionne des plantes afin de contribuer à la préservation de la flore locale.

« Nous avons commencé petit à petit, puis, au fur et à mesure, le projet a grandi. Nous l’avons fait parce que c’était une belle manière d’embellir la commune », raconte Sanchez Pierre, cofondateur de l’initiative.

Le jardin s’étend sur environ cinq hectares. Il abrite des plantes ornementales, mais aussi une vingtaine d’espèces natives et endémiques recensées par les responsables, tels que : le Tabebuia obovata, le Calophyllum antillanum, communément appelé Dame-Marie, ou encore le Cupania americana.

L’espace reçoit également des stagiaires en agronomie, dispose d’une filière apicole, prépare des plantules destinées à la vente, et organise chaque 1er mai une foire destinée à mettre en valeur ses productions.

Le jardin comporte actuellement 5 000 plantules, comprenant des espèces comme l’ylang-ylang, le flamboyant, le tamarin, l’avocatier, le latanier, le manguier, le palmier ou encore l’hibiscus, selon le responsable.

Cependant, l’initiative fait face à de grandes difficultés de financement et d’autres liées à son emplacement.

« L’endroit où se situe le jardin rend l’accès à l’eau très compliqué. Nous avons six employés responsables de l’entretien inscrits sur la liste de paie, mais les moyens de fonctionnement sont limités », explique Pierre, spécialiste en aménagement du territoire, géographie et environnement.

L’État n’accorde aucune subvention à l’initiative. Selon Pierre, le projet survit uniquement grâce aux dons, au bénévolat et à la contribution des visiteurs.

« Sans financement durable, tout peut s’arrêter du jour au lendemain », confie-t-il à AyiboPost.

D’autres efforts allant dans le même sens sont affectés par l’insécurité qui règne dans le pays.

Dans le département du Nord, Élonge Othelot, 72 ans, ingénieur-architecte à la retraite, a fondé en 2013 le Jardin botanique Émari de Milot, situé dans la localité de Lory.

Couvrant quatre hectares, le site abrite plusieurs arbres peu communs en Haïti, comme le pommier, le pommier mexicain, le pommier de Malaisie, l’amandier dunigère ou encore le Terminalia mantaly.

Auparavant, le terrain servait à la culture de la canne à sucre.

Pour enrichir sa collection, l’ancien professeur et fonctionnaire de l’État a importé des semences de l’étranger, notamment de baobabs, de diverses espèces de palmiers comme le Bismarckia nobilis, le Copernicia hospita ou le Pachypodium geayi.

« Quand la situation du pays n’était pas aussi fragile, je parcourais de nombreuses régions en Haïti pour chercher des semences », se souvient Othelot.

Le jardin reçoit en moyenne une centaine de visiteurs par mois.

Actuellement, incapable de payer les employés, le responsable affirme faire face à un manque de main-d’œuvre.

« J’avais commencé avec une équipe de dix employés. Aujourd’hui, il n’en reste pratiquement qu’un seul », regrette Othelot, qui évoque les répercussions au niveau de l’entretien découlant de cette réalité.

En 2018, des cadres du ministère de l’Environnement avaient promis à Othelot de classer l’endroit parmi les aires protégées, mais la démarche n’a jamais abouti.

« Mon souhait est de voir ce lieu reconnu comme un espace national, qui contribue à l’éducation et à la préservation de l’environnement en Haïti », affirme-t-il, disant consacrer tout son quotidien depuis sa retraite à la conservation botanique.

D’après le dernier rapport du ministère de l’Environnement sur l’état de la biodiversité en Haïti, datant de 2019, le pays comporte plus de 5 000 espèces végétales dont 2 000 sont endémiques.

Ces chiffres proviennent de rares études réalisées par des organismes internationaux.

Des orchidées aux fougères, en passant par les arbres emblématiques comme le mapou (Ceiba pentandra), beaucoup de ces espèces sont menacées par la déforestation, l’érosion des sols et les changements climatiques.

Sans structures solides de conservation, ces plantes risquent de disparaître, emportant avec elles un patrimoine écologique, scientifique, mais aussi culturel.

S’il existe des jardins qui présentent déjà une structure assez développée, d’autres, avec les moyens modestes dont ils disposent, aimeraient faire évoluer leur initiative.

C’est le cas du Villa John Jardin botanique, situé à Dexia, sur la route de l’aéroport des Cayes.

Son fondateur, John Moïse Beauséjour, explique avoir bercé ce projet depuis 2004.

« J’ai toujours été intéressé par la conservation de l’environnement. Mettre sur pied un tel espace était un rêve de longue date », raconte-t-il.

« Le terrain était autrefois abandonné et servait de dépotoir. J’ai décidé de le transformer en y plantant diverses espèces, ornementales ou médicinales, afin d’en faire un lieu capable d’attirer des visiteurs. »

Bien que l’implantation d’un jardin botanique exige généralement l’expertise d’agronomes et de botanistes, Beauséjour agit en autodidacte. Il dit s’être formé seul, animé par sa passion et son expérience dans le travail de la terre depuis l’enfance.

« Toutes les démarches sont à titre personnel », insiste-t-il, tout en exprimant le souhait de disposer d’un espace plus vaste et de financements pour renforcer et développer son projet qui fait près d’un hectare.

La fragilité des jardins botaniques haïtiens contraste avec la réalité bien différente des pays voisins.

Par exemple, en République dominicaine, le Jardin botanique national Dr. Rafael María Moscoso est reconnu comme le plus grand de la Caraïbe, avec une superficie d’environ 200 hectares et plus de 69 000 espèces botaniques classifiées.

« Préserver une plante, c’est préserver une mémoire, une médecine, un équilibre écologique », explique Cinéa.

Selon le responsable, Haïti pourrait être une référence régionale si l’État investissait sérieusement dans ses jardins botaniques.

« Nous avons la biodiversité, mais nous manquons de volonté politique », estime pour sa part Sanchez Pierre.

Par : Lucnise Duquereste

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Journaliste à AyiboPost depuis mars 2023, Duquereste est étudiante finissante en communication sociale à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH).

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