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Photo | Témoignages de victimes de gangs vivant avec des blessures et des traumatismes non soignés à P-au-P

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Au-delà des blessures physiques infligées par les groupes armés, certaines victimes vivent avec des séquelles psychologiques profondes, dont elles ont du mal à se remettre

Elles sont chassées par les gangs. 

Elles vivent dans des abris provisoires de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. 

Des mois après leur fuite, ces victimes portent encore des traces visibles et invisibles des exactions qu’elles ont subies.

Nombre d’entre elles vivent avec des blessures non soignées et des traumatismes sans suivi faute de moyens, selon des témoignages recueillis par AyiboPost lors de visites dans trois camps de déplacés.

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En mai 2025, au camp hébergé à l’office de la Protection du citoyen (OPC) sur la route de Bourdon, AyiboPost a rencontré deux sœurs, Clarena et Claudine Jean Philippe. Avec leur tante, Roselie Louissaint, elles ont fui une attaque des gangs menées sur leur quartier, à Delmas 19, en décembre 2024. 

Dans la foulée du drame, elles ont perdu leurs commerces, mais aussi leur santé.

Clarena Jean-Philippe, frisant la trentaine, a vu sa vie basculer.

Elle affirme à AyiboPost avoir perdu la vue depuis ce jour-là. Le crépitement des balles l’a brusquement réveillée en plein après-midi, au moment de l’attaque. Quelques secondes plus tard, alors qu’elle tentait de fuir dans la panique, sa vision s’est subitement obscurcie. 

Sa sœur, Claudine Jean-Philippe, également présente ce jour-là, n’a pas été plus chanceuse.

Rencontrée par AyiboPost six mois plus tard, dans la grande salle de l’OPC où la petite famille a trouvé refuge, elle se laisse aller à de longues conversations décousues, ponctuées de mimiques et de grands gestes.

Selon ses proches, elle se trouve dans cette situation depuis l’attaque de décembre 2024.

Faute de moyens, ni elle ni sa sœur n’ont pu consulter de médecin.

Avec leur tante, les deux sœurs côtoient des dizaines d’autres familles que l’insécurité et la violence des gangs armés ont contraint à la fuite.  Pour se mettre debout, Clarena Jean-Philippe est obligée de solliciter l’aide de sa tante. 

Joint par AyiboPost, le neuropsychiatre Marabishi Jasmin explique que certains événements traumatisants — comme une attaque armée — peuvent provoquer des troubles mentaux ou psychosomatiques, même sans contact physique direct. 

Selon Jasmin, des facteurs biologiques, psychologiques, sociaux ou environnementaux peuvent affecter la santé mentale, en particulier chez les personnes ayant des prédispositions génétiques.

Dans ces cas-là, selon le spécialiste, la « récupération peut se faire à court ou à moyen terme, selon la spécificité du trouble dont la personne est affectée ».

Le neuropsychiatre Marabishi Jasmin explique que certains événements traumatisants — comme une attaque armée — peuvent provoquer des troubles mentaux ou psychosomatiques, même sans contact physique direct. 

Au cours des dernières années, les attaques de gangs se sont multipliées dans plusieurs quartiers de Port-au-Prince, ainsi que dans différentes villes de province.

Les groupes armés tuent, pillent, incendient maisons et commerces, violent des femmes et des filles, et forcent des familles entières à fuir leur domicile.

Certaines victimes doivent porter les marques visibles des violences subies pendant toute leur vie. 

D’autres, au-delà des blessures physiques, vivent avec des séquelles psychologiques d’un drame dont elles peinent à se remettre.

Cette situation s’inscrit dans un contexte où les gangs ont forcé la fermeture de plusieurs hôpitaux, y compris Mars & Kline, l’unique centre public de prise en charge psychiatrique qui fonctionnait encore, situé au centre-ville de Port-au-Prince.

Le 2 novembre 2024, lors d’une attaque musclée des gangs contre le quartier de Fort National, Lovelie Jean Baptiste, seize ans, est atteinte d’une balle au niveau de sa bouche.

Lovelie Jean Baptiste, seize ans, est atteinte d’une balle au niveau de sa bouche.

L’adolescente née en République dominicaine vivait dans ce quartier qui abrite la base de la brigade d’opérations et d’intervention départementale (BOID) depuis sa déportation en Haïti en 2016.

Emmenée d’urgence dans un centre hospitalier de Turgeau, elle y reçoit ses premiers soins, à la solde de quelques personnes généreuses. Elle quitte le centre de prise en charge le 29 novembre 2024.

Malgré deux opérations subies, elle ne parvient pas à retrouver l’usage entier de sa mâchoire.

Lovelie Jean Baptiste, seize ans, est atteinte d’une balle au niveau de sa bouche.

À la hauteur de sa bouche, près du maxillaire supérieur, les dégâts de la balle sont visibles : ses lèvres, incapables de se fermer convenablement, laissent voir les parois intérieures de leurs muqueuses et les balafres béantes de la blessure qui sectionnent désormais son visage.

Lovelie Jean Baptiste, seize ans, est atteinte d’une balle au niveau de sa bouche.

Parfois, les moqueries s’amènent avec le jour et confrontent Jean-Baptiste à sa nouvelle réalité de personne en situation de handicap. 

« On se moque souvent de moi dans ce camp de déplacés. Parfois, je me sens humiliée », se plaint-elle.

Pour éviter ces épisodes, elle déclare circuler maintenant avec un cache-nez dont elle se sert « même la nuit ».                                                          

Julien Jean-Louis, aujourd’hui réfugié dans le camp de déplacés du « Centre d’hébergement Cité Bob » à Pétion-Ville, a été attaqué en décembre 2024 à Carrefour-Feuilles. 

Des hommes armés lui ont volé deux téléphones et 15 000 gourdes avant de lui tirer dans le bras droit. Amputé, il dit porter sa tristesse au camp de Meyotte, aux côtés d’autres victimes de l’insécurité.

Julien Jean-Louis, aujourd’hui réfugié dans le camp de déplacés du « Centre d’hébergement Cité Bob » à Pétion-Ville, a été attaqué en décembre 2024 à Carrefour-Feuilles.

« Je ne peux plus travailler comme avant. Je suis maintenant une personne réduite physiquement. Il est désormais difficile pour moi de joindre les deux bouts dans cette condition », regrette le père de quatre enfants, qui, auparavant, vendait du pain pour nourrir sa famille.

Julien Jean-Louis, aujourd’hui réfugié dans le camp de déplacés du « Centre d’hébergement Cité Bob » à Pétion-Ville, a été attaqué en décembre 2024 à Carrefour-Feuilles.

« Parfois, je ne peux même pas m’acheter des médicaments quand la douleur à mon bras me tenaille. Nous en appelons à l’État. La sécurité doit être rétablie dans le pays. Nous avons envie de retourner chez nous », se plaint Jean-Louis à AyiboPost.                                                             

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Selon l’organisation internationale pour les migrations (OIM), plus d’un million de personnes ont été contraintes de fuir leur domicile à cause de la violence des gangs en Haïti.

Les groupes armés contrôlent environ 80 % de la capitale, selon les Nations-unies. Ce, en dépit de la présence des forces kényanes dans le pays depuis plus d’un an.

Pour enrayer l’avancée des gangs et la mécanique de la violence, le gouvernement haïtien a adopté, en avril 2025, un « budget de guerre » qui prévoyait une allocation de 36 milliards de gourdes pour la Police et les Forces armées d’Haïti. 

Mais jusqu’à aujourd’hui, les forces de sécurité peinent à contenir l’avancée des gangs.

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À la condition de santé des personnes rencontrées par AyiboPost, s’ajoute la précarité extrême des lieux où elles vivent.

Dans le camp de déplacés au lycée du bicentenaire où Jean-Baptiste se réfugie, l’insalubrité exhale des effluves nauséabondes à des mètres à la ronde. 

Sur la cour, des enfants en guenilles jouent, près de quelques tentes montées, sans grand soin, sur quelques lattes de bois et de morceaux de toile sales et déchirées, dans le voisinage d’une montagne de paquets de détritus qui, chaque jour, empiètent davantage sur les minces espaces d’activités des personnes déplacées.

 

« Parfois, les fatras se décomposent en de petits parasites. Ils nous montent souvent dessus la nuit et nous empêchent, du même coup, de dormir », témoigne-t-elle. 

Le manque de moyens complique la prise en charge des victimes.

Des survivants des attaques armées, vivant avec des douleurs atroces nécessitant une intervention médicale urgente, déclarent avoir du mal à accéder à des soins appropriés, faute de moyens.                                  

Résidente de Carrefour-Feuilles, Chrislove P. a percuté un mur en tentant de fuir précipitamment son domicile lors d’une attaque de gangs armés, en décembre dernier. La dame était alors enceinte.

Plusieurs mois après s’être établie dans le Centre d’hébergement de Cité Bob à Pétion-Ville et avoir accouché de son enfant, son sein gauche s’est rapidement mis à se tuméfier, après des épisodes d’intenses élancements de douleurs. 

 

« Des médecins me recommandent une opération d’urgence, mais je n’en ai pas les moyens. Je ne sais pas quoi faire », se plaint-elle à AyiboPost.

Par : Jean Feguens Regala &

Couverture |Lovelie Jean Baptiste, seize ans, est atteinte d’une balle au niveau de sa bouche. Photo : Jean Feguens Regala 

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Photojournaliste freelance à AyiboPost de mars 2023 à septembre 2024.

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