Personnage aujourd’hui historique du journalisme en Haïti, Jean Dominique a été assassiné en 2000. Il a passé sa vie à lutter contre la dictature des Duvalier, à défendre les paysans et la langue créole. Près de 25 ans après, les commenditaires du meurtre continuent de bénéficier d’une impunité totale.
AyiboPost a rencontré Micheline Dominique Billot à Cléry Saint-André, une petite ville du centre de la France.
En cet après-midi du 9 octobre 2024, trois associations françaises engagées pour le soutien aux écoles en Haïti se retrouvent pour faire le point et sensibiliser leurs adhérents sur leurs actions en terre haïtienne.
Cette conférence clôt une exposition d’une semaine consacrée au thème du “Madan Sara”, orchestrée par le photographe Dickens Lundi.
Assise au premier rang, curieuse et pleine d’énergie, Micheline Dominique affine, contextualise, et enrichit les interventions des conférenciers, offrant aux nombreux Français présents une perspective nouvelle et inspirante sur l’histoire d’Haïti.
Après cette rencontre, elle a rencontré AyiboPost pour discuter d’Haïti avec, au cœur de la conversation, son frère, Jean Léopold Dominique.
Personnage aujourd’hui historique du journalisme en Haïti, Jean Dominique a été assassiné en 2000. Il a passé sa vie à lutter contre la dictature des Duvalier, à défendre les paysans et la langue créole. Près de 25 ans après, les commenditaires du meurtre continuent de bénéficier d’une impunité totale.
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AyiboPost : Comment décririez-vous la relation que vous aviez avec Jean Dominique ?
Micheline Dominique : Nous étions huit dans la famille. Jean et moi étions les deux derniers, avec six ans d’écart. On nous appelait souvent « les jumeaux » à cause de notre lien fusionnel.
Jean était un peu mon modèle, nous partagions beaucoup de choses. J’ai toujours admiré son intelligence et sa ténacité.
Il était une personne avec une grande sensibilité pour les autres, et j’ai vu de mes propres yeux à quel point il tenait à son pays. Notre relation était très spéciale ; même en grandissant, ce lien n’a jamais changé.
Quand avez-vous commencé à sentir que Jean allait devenir une figure importante pour Haïti ?
Très tôt.
Jean était brillant. Il a toujours été d’une grande intelligence. Il a eu son bac à quinze ans, il a entrepris des études en agronomie à Damien et est ensuite parti en France pour poursuivre son éducation.
Dès son jeune âge, Jean s’intéressait à la politique et à l’avenir de son pays. Son engagement s’est vraiment affirmé quand il est retourné en Haïti après avoir refusé des postes prestigieux à l’étranger. Il voulait travailler pour Haïti, pour améliorer les conditions de vie des agriculteurs. Cette détermination l’a poussé plus tard à acheter Radio Haïti Inter pour donner une voix au peuple haïtien.
Justement, quel a été l’impact de Radio Haïti Inter sur la société haïtienne à cette époque ?
Radio Haïti Inter a eu un impact énorme. Jean a voulu que la radio soit accessible à tous. Il a été l’un des premiers à diffuser des émissions en créole, ce qui était révolutionnaire.
Cela permettait à tout le monde de comprendre les débats politiques, les enjeux sociaux, et pas seulement ceux qui parlaient français. Jean insistait pour que les gens ordinaires puissent s’exprimer. Il disait souvent que si un paysan venait à la radio, il devait être entendu en priorité, avant même un ministre ou un président, car ce dernier pouvait toujours revenir, alors que le paysan avait souvent fait un long chemin et dépensé ses maigres économies. Ce respect du peuple, c’était le cœur de sa démarche.
Radio Haïti Inter a eu un impact énorme. Jean a voulu que la radio soit accessible à tous. Il a été l’un des premiers à diffuser des émissions en créole, ce qui était révolutionnaire.
En quoi cela a-t-il changé le regard des gens sur la radio et sur les médias en général ?
Jean a redonné au peuple haïtien une fierté et un pouvoir d’expression qu’il n’avait jamais eu. Beaucoup de personnes voyaient en lui un héros, car il avait le courage de dire la vérité, d’exposer les abus et les injustices. Des Haïtiens venaient le voir pour parler de la corruption, des intoxications alimentaires, des produits périmés qu’on donnait aux plus pauvres. Il donnait la parole aux gens, et cela les rendait fiers. À une époque où la peur régnait, il a eu l’audace de dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, et c’était incroyablement inspirant.
Beaucoup de personnes voyaient en lui un héros, car il avait le courage de dire la vérité, d’exposer les abus et les injustices.
Pouvez-vous nous parler des circonstances entourant l’assassinat de Jean Dominique ? Était-il conscient des risques qu’il prenait avec ses prises de position ?
Oui, Jean savait très bien qu’il risquait sa vie. Il avait déjà reçu plusieurs menaces de mort. Son dernier discours à la radio, le samedi avant sa mort, était d’ailleurs très révélateur. Il disait, en substance, qu’il ne fuirait pas, qu’il resterait dans son pays, malgré les menaces. Il avait quitté Haïti plusieurs fois, mais chaque fois, il revenait pour continuer son combat. Pour lui, abandonner Haïti et sa cause était impensable. Jean ne supportait pas l’injustice, et même si cela signifiait prendre des risques, il voulait rester proche du peuple pour qui il se battait.
Il avait quitté Haïti plusieurs fois, mais chaque fois, il revenait pour continuer son combat. Pour lui, abandonner Haïti et sa cause était impensable.
Après l’assassinat de Jean Dominique, avez-vous ressenti un soutien populaire ?
Absolument. Les jours qui ont suivi ont été marqués par un défilé constant de personnes qui venaient exprimer leur chagrin et leur soutien. Des gens inconnus, des proches, des collaborateurs de Jean… Ils voulaient témoigner, apporter des anecdotes sur l’impact de son travail. C’était un moment difficile, mais en même temps, on sentait cette vague d’amour et de solidarité. Ça montrait combien il avait touché le cœur des Haïtiens, combien il avait marqué leur vie. Mais ça n’a pas empêché la tristesse et la colère de nous envahir, surtout quand on pense à cette justice qui ne lui a jamais été rendue.
Justement, avez-vous des attentes par rapport à la justice haïtienne aujourd’hui ?
C’est difficile de rester optimiste. Il y a eu des tentatives pour retrouver les responsables, mais beaucoup de juges qui ont tenté de faire avancer l’affaire ont été menacés, voire tués.
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On sait même que certains des commanditaires de l’assassinat de Jean vivent en toute liberté à l’étranger, et les autorités locales et internationales en sont parfaitement conscientes.
Je ne me fais plus d’illusions sur le système judiciaire haïtien ; il y a de bonnes personnes, des juges intègres, mais les pressions et les menaces sont trop fortes. C’est désespérant, mais c’est malheureusement la réalité.
Il y a eu des tentatives pour retrouver les responsables, mais beaucoup de juges qui ont tenté de faire avancer l’affaire ont été menacés, voire tués.
Si vous deviez transmettre un message aux jeunes Haïtiens d’aujourd’hui, quel serait-il ?
Ce serait de ne pas se laisser bercer par l’illusion que chacun peut tout résoudre seul. Jean croyait au pouvoir collectif, il pensait que l’éducation et la collaboration pouvaient changer les choses. J’aimerais que les jeunes retiennent que le changement passe par l’union, par le partage des connaissances et par l’humilité.
Jean a toujours cherché à éduquer le peuple, à le rendre maître de ses choix. C’est quelque chose d’essentiel. Il faut avancer ensemble et ne pas se diviser, c’est la seule manière de réellement faire évoluer Haïti.
Quelle leçon principale aimeriez-vous que les générations futures retiennent de Jean Dominique et de son engagement ?
La leçon de Jean, c’est que le vrai changement vient de la base, du peuple. Il a toujours mis l’éducation au centre de son combat, car il croyait que pour bâtir un pays plus juste, il fallait d’abord éveiller les consciences, donner aux gens les outils pour comprendre et agir.
Il voulait que chaque Haïtien soit capable de réfléchir par lui-même, de prendre en charge son destin et de résister à la corruption. C’est cela que je veux que la jeunesse retienne. Le courage de dire la vérité, de rester fidèle à ses principes et de ne jamais abandonner.
Il voulait que chaque Haïtien soit capable de réfléchir par lui-même, de prendre en charge son destin et de résister à la corruption.
Avec le recul, comment percevez-vous le parcours de votre frère et l’empreinte qu’il a laissée en Haïti ?
Jean a marqué Haïti de manière indélébile. Il a montré qu’il était possible de se battre pour un idéal, même au prix de sa vie. C’était un homme de convictions, qui a tout sacrifié pour son pays. Son parcours est un exemple de résilience et de courage, et je pense que son souvenir restera longtemps gravé dans la mémoire collective. Haïti traverse des moments très sombres aujourd’hui, et je pense que les enseignements de Jean pourraient encore inspirer. Il nous a laissés bien trop tôt, mais son combat, lui, continue à vivre dans les cœurs et les esprits de ceux qui l’ont connu.
Propos recueillis par Soucaneau GABRIEL
Orléans, France
Image de couverture : Collage de trois photos de Jean Dominique.| ©AyiboPost
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