Joyeux Noël à mon ami Jérémie dont la femme a hérité d’une balle perdue au Bas Delmas, alors qu’elle essayait d’acheter un petit quelque chose à leur enfant
Les réveillons de jour, mesquins, ridicules, faux-semblants vides de sens, marqués par la peur, le faux faire, la fausse joie. Le gnangnan débile des rituels pervertis…
Joyeux Noël, messieurs et dames de la petite et de la moyenne bourgeoisie spécialisées dans l’adaptation et sans engagement dans une action politique progressiste.
Les pères Noël démasqués par la pauvreté. Les parents qui n’ont pas un sou. Le règne de la précarité. Les populations déplacées, les enfants empilés dans des lieux insalubres. Les moins pauvres parmi les pauvres qui font des efforts pour acheter à leurs enfants des cadeaux misérables, preuves d’une affection qui n’a pas les moyens.
Joyeux Noël, messieurs du CPT (Conseil présidentiel de transition) et du gouvernement.
Joyeux Noël, messieurs et dames de la petite et de la moyenne bourgeoisie spécialisées dans l’adaptation et sans engagement dans une action politique progressiste.
À vous, il a été fait un vrai cadeau. À partir d’un accord qui s’est révélé un poisson d’avril, vous héritez d’un pouvoir politique que vous exercez à votre guise. Espérons quand même que vous versez des miettes à vos thuriféraires.
L’évidence que tout prétendu processus électoral issu de cette formule devenue trop bancale parce qu’aucun des acteurs n’a joué et ne joue sa partie honnêtement, sera contesté avant d’arriver à terme.
Joyeux Noël, messieurs et dames des Conseils et Commissions qui ne mèneront à rien.
La gauche, la droite progressiste (le peu qui a existé ici), à moitié mis hors-jeu par des « délégués » sur lesquels elles n’ont aucune influence, à moitié accrochées à des morceaux de pouvoir pour « placer » quelques personnes à elles.
Les placer pour faire quoi ? Enrichir les caisses des groupes et des partis ? Avoir un personnel disponible pour trafic d’influence dans des élections à venir ?
Joyeux Noël, messieurs les « progressistes » associés au CPT et au gouvernement, qui n’en récolterez que le déshonneur et la perte de confiance des masses.
La paysannerie, ce qu’il en reste qui, elle, attend les Rois, sa vraie fête.
La paysannerie, elle aussi déplacée, appauvrie, plus abandonnée que jamais par un monde urbain (pouvoir politique et logiques économiques réunis) et un néocolonialisme culturel assumé par les m’as-tu-vu de l’aliénation…
Joyeux Noël, messieurs les « progressistes » associés au CPT et au gouvernement, qui n’en récolterez que le déshonneur et la perte de confiance des masses.
Joyeux Noël aux oubliés de la grande ville qui a pourri vos vies avant d’elle-même pourrir.
Joyeux Noël à mon ami Jérémie, dont la femme a hérité d’une balle perdue au Bas Delmas, alors qu’elle essayait d’acheter un petit quelque chose à leur enfant.
Joyeux Noël à mon ami Jonas de l’Artibonite qui a fui son petit bout de terre à Dutréjette sous l’assaut des bandits, puis son pied-à-terre à Pont-Sondé sous l’assaut des mêmes bandits, qui attend quelque part un prochain assaut et compte ses morts.
Et par-dessus tout, Joyeux Noël à messieurs et dames les experts, consultants et conseillers spéciaux de la communauté internationale qui doivent bien penser à Haïti pendant leurs vacances chez eux.
Ce n’est pas dans les chansons avec lesquelles on assomme nos enfants, mais il arrive des fois que le père Noël vienne du Sud.
Par Lyonel Trouillot
Image de couverture : Une femme marche avec ses garçons dans une rue tout en portant des bonnets de Noël à Port-au-Prince, en Haïti, jeudi 24 décembre 2021.| © Dieu Nalio Chery/AP
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