Insécurité

L’horreur persiste à Wharf Jérémie

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Jusqu’à ce mercredi 11 décembre, au moins une soixantaine de personnes séquestrées par les gangs attendaient leur sort, selon Marie Yolène Gilles

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Le chef de gang Micanor Altès, alias «Wa Micanor», continue ses exactions  contre la population civile à Wharf Jérémie, quartier de la commune de Cité Soleil, apprend AyiboPost de trois sources au courant des forfaits du chef de gang.

Esaïe Beauchard, ancien maire de la circonscription entre 2014 et 2016, révèle à AyiboPost qu’une cinquantaine de personnes de plus sont massacrées entre l’après-midi du mardi 10 au mercredi 11 décembre 2024. 

Une vingtaine de petites maisons dans lesquelles se trouvent des enfants et des femmes enceintes ont été brûlées par les sbires du chef de gang, indique l’ancien agent intérimaire Beauchard.

Ces données viennent alourdir le bilan des massacres opérés le weekend écoulé au cours desquels plus de 200 personnes ont été tuées, selon les chiffres présentés par la Fondasyon Je Klere ( FJKL).

Ces actions se poursuivent en représailles contre des individus accusés d’avoir divulgué à la presse des informations relatives au massacre perpétré entre les 6 et 8 décembre, selon les informations recueillies par AyiboPost.

Un adolescent de dix-sept ans, soldat du chef de gang «Micanor» témoigne avoir reçu l’ordre de cribler de balles et mettre en feu la maison de sa mère, une dame de troisième âge, selon Beauchard. 

Ce dernier a refusé et a pris la fuite. 

«Ses deux parents, son fils d’un an, ses deux petits frères ainsi que sa petite sœur âgée de quatorze ans et enceinte, sont tous brûlés vifs à la maison par les autres membres du gang», raconte Beauchard, citant les témoignages de l’adolescent qu’il a reçu mardi à 10h du soir par téléphone.

Un adolescent de dix-sept ans, soldat du chef de gang «Wa Micanor» témoigne avoir reçu l’ordre de cribler de balles et mettre en feu la maison de sa mère, une dame de troisième âge. 

Le mineur a été enrôlé par le chef de gang Micanor. En participant à des activités armées, il a contribué à subvenir aux besoins de sa famille.

Selon l’ancien maire Beauchard qui vit encore dans la commune, le bilan des personnes tuées jusqu’au mercredi 11 décembre s’élève à près de 300. 

Tout a commencé dans la nuit du 6 au 7 décembre 2024 vers onze heures du soir.

Le chef de gang Micanor, membre de la coalition criminelle étrangement appelée «Viv ansanm», dirigée par l’ancien policier Jimmy Cherizier alias Barbecue, ordonne le massacre de dizaines de personnes de troisième âge.

Vendredi soir, Marckenson Cangé, fils aîné de Marcel Cangé, reçoit un coup de fil l’informant que trois individus étaient venus chercher son père qui vivait au Wharf Jérémie.

Marcel Cangé, 76 ans, vivait dans cette zone depuis 29 ans. Père de quatre enfants, il était un employé du Ministère des Affaires sociales et du travail (MAST). 

Le samedi 7 décembre, deux heures du matin, un autre appel d’un inconnu informait Marckenson Cangé que son père avait été tué, puis brûlé.

«Mon père était une personne respectable et de référence dans la zone. J’ai perdu un ami, un conseiller», regrette le juriste, avec une pointe de tristesse dans sa voix. 

Actuellement, Cangé déclare s’être mis à couvert par rapport aux menaces des gangs qui lui reprochent de diffuser les informations du massacre dans les médias. 

Mon père était une personne respectable et de référence dans la zone. J’ai perdu un ami, un conseiller

Les bandits ont rassemblé samedi soir les personnes dans un espace à proximité d’une place publique surnommée «Martelly» parce qu’elle a été construite par l’ancien président sous sanction des États-Unis pour trafic de drogue.

Selon un témoin au courant des événements, ils ont conduit les personnes au bord de la mer et ont démarré les exécutions à onze heures 28.

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À 1 h dimanche matin, ils ont calciné ces cadavres.

Selon un communiqué de la Fondasyon Je Klere (FJKL), le Caïd voulait venger son enfant décédé, qu’il pense avoir été victime de sorcellerie.

Il a donc ordonné à ses soldats d’enlever de force des personnes âgées pour ensuite les tuer et brûler leurs corps. 

Selon le réseau national de défense des droits humains (RNDDH), les personnes assassinées étaient âgées de 60 ans et plus. 

«Nous vivons depuis des années dans une situation d’impunité. Et cette impunité donne lieu à toutes sortes d’actions criminelles» explique Marie Yolène Gilles qui dénonce une banalisation du droit à la vie dans le pays.

Pour la militante des droits humains au sein de la Fondasyon Je klere, ce qui se passe illustre la faiblesse de la justice pour arrêter et punir les coupables. 

Nous vivons depuis des années dans une situation d’impunité. Et cette impunité donne lieu à toutes sortes d’actions criminelles

L’ancien maire Beauchard croit que le chef de gang entreprend ces exactions pour honorer ses engagements envers des entités mystiques.

Selon la FJKL, le chef de gang avait déjà organisé des massacres similaires contre des pratiquants de vodou, notamment en 2008 et 2012.

Le massacre dans la nuit du 6 au 7 décembre 2024 survient dans un contexte marqué par la présence, depuis cinq mois, d’une force multinationale mandatée pour appuyer la Police nationale d’Haïti dans la lutte contre les gangs.

Dans un communiqué publié le 9 décembre, le gouvernement promet de sévir avec une «grande célérité» contre les auteurs de ces crimes. 

À l’heure actuelle, le gang prend des mesures pour augmenter son contrôle dans le quartier en interdisant aux habitants l’utilisation du téléphone portable.

«Même les soldats sont contrôlés en ce sens», indique l’ancien agent intérimaire Beauchard. 

Ce mercredi, le chef de gang Micanor invitait tous les membres de la population de Wharf Jérémie dans une réunion qui a été réalisée vers quatorze heures, selon des informations dont dispose AyiboPost.

Selon un militant de l’organisation Batay Ouvriye ayant vécu pendant plus de vingt dans la zone et contacté par AyiboPost, l’objectif de cette rencontre était de faire pression sur la population pour ne pas divulguer des informations concernant les faits et les empêcher de quitter la zone.

Ce militant connaît au moins quinze personnes tuées par le gang. Ne pouvant pas fuir, sa famille est restée piégée au Wharf Jérémie.

Micanor a également ordonné l’organisation d’une manifestation en sa faveur ce mercredi 12 décembre.

À l’heure actuelle, le gang prend des mesures pour augmenter son contrôle dans le quartier en interdisant aux habitants l’utilisation du téléphone portable.

Lors de la réunion, des membres du gang ont reçu l’ordre de vérifier dans chaque maison la présence de toute personne ne se rendant pas au rassemblement, sous peine de sévices corporels ou d’exécution, selon le militant de Batay Ouvriye.

Un médecin travaillant dans un hôpital de la zone, partage avec AyiboPost ses souvenirs de cette tragédie qu’il décrit comme un véritable «désastre».

Depuis le début de ce massacre, l’hôpital fonctionne au ralenti.

Avant le déroulement des faits, ce centre médical recevait parfois jusqu’à 150 patients par jour. 

Mais jusqu’au dimanche 8 décembre, seulement trois personnes blessées aux jambes sont venues.

À leur arrivée à l’hôpital, ils ont déclaré avoir été atteints par des balles perdues au moment où les bandits étaient en train d’opérer leur massacre.

Le médecin dit être indigné et se sent impuissant face à cet évènement. 

«Je suis dans la zone pour donner des soins médicaux à la population. Malheureusement, je ne pouvais rien faire face à cette cruauté», déplore t-il. 

Avant ces derniers massacres orchestrés par le chef de gang Micanor, des signes avant-coureurs laissaient présager que des événements graves pouvaient survenir à Cité Soleil.

Car, selon des témoignages reçus par AyiboPost, depuis octobre, des homosexuels ont été chassés de la zone par le gang dirigé par Micanor.

Les homosexuels et des personnes accusées de Loup-garous sont dans le viseur de l’organisation criminelle.

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À Petite Rivière de l’Artibonite, le gang Gran Grif de Savien a massacré au moins une dizaine de personnes, dont des enfants, trois jours après que la Police nationale d’Haïti a annoncé avoir repris le contrôle du commissariat de la ville. 

Les massacres survenus à Wharf Jérémie allongent la liste des près de 5000  personnes tuées dans le pays en 2024, selon les Nations-Unies.

Jusqu’à ce mercredi 11 décembre, au moins une soixantaine de personnes séquestrées par les gangs attendaient leur sort, selon Marie Yolène Gilles.

Par & Wethzer Piercin

Image de couverture | Collage du Wharf de Jérémie et du chef de gang Micanor. ©AyiboPost

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Louis-Jeune est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a fait des études en philosophie et en science politique à l'Université d'État d'Haïti.

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