Jamais fondateur d’un État moderne n’aura été aussi décrié que Dessalines
J’entends la thèse de ceux qui disent que quelque chose naît en 1804 et que quelque chose d’autre naît le 17 octobre 1806.
Une proposition de commencement semble bien remplacée par une autre. Sur le plan discursif comme sur le plan de la pratique. Nous n’aurons pas suffisamment osé penser, osé analyser ce que la contradiction Dessalines pouvait symboliser, par peur sans doute d’oser penser, analyser, ce que son assassinat pouvait symboliser.
Jamais fondateur d’un État moderne n’aura été aussi décrié que Dessalines.
De l’intérieur comme de l’extérieur.
Étrange quand même que l’homme ayant conduit une révolution anticoloniale, anti esclavagiste et antiraciste à son aboutissement soit visé souvent par les mêmes arguments aussi bien par des nationaux de l’État qu’il a fondé que par les représentants des puissances qu’il a combattues et vaincues. Le seul argument « national » justifiant l’assassinat de Dessalines serait « la tyrannie ».
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Étrange… Quand on sait qu’il eut pour successeurs le fondateur de la présidence à vie et fossoyeur des parlements, et un despote ayant créé un royaume sur lequel il régnait sans partage.
Un exemple banal de cette communion entre historiographes racistes et porteurs de ce que certains appellent « la pensée blanche » et auteurs et penseurs haïtiens : dans toute monarchie, la fonction auctoriale des lois et actes est attribuée au monarque.
Dessalines est le seul qui échappe à cette règle. On insistera de préférence sur son faible « niveau d’éducation ».
Étrange quand même que l’homme ayant conduit une révolution anticoloniale, anti esclavagiste et antiraciste à son aboutissement soit visé souvent par les mêmes arguments aussi bien par des nationaux de l’État qu’il a fondé que par les représentants des puissances qu’il a combattues et vaincues.
Le silence aussi est riche de significations. La révolution haïtienne n’a donné lieu qu’à quelques fragments épiques. Pourquoi ?
L’un des éléments de réponse est qu’il est difficile d’en parler, voire de la chanter ou, c’est le propre de l’épopée, de l’incarner sans faire une place majeure à Dessalines. Mêmes Ardouin et Dalencour, prompts à le caricaturer, n’ont pu effacer sa présence, au moins comme dirigeant militaire.
La victoire finale est collée à son nom.
Souvent, les écrivains et poètes haïtiens ont produit sur Dessalines un discours apologétique ou pire. Ils commencent par le saluer, puis tournent vite au « mais ».
Des historiens professionnels ou amateurs le notent aussi. « Le projet de Dessalines manquait de fondements ».
Le silence aussi est riche de significations. La révolution haïtienne n’a donné lieu qu’à quelques fragments épiques.
Très récemment, dans le long film d’Arnold Antonin, on a entendu au moins deux donneurs de leçons a posteriori, aussi anachroniques que péroreurs, faire la somme de « ses travers » et corriger sa feuille de route.
Inutile de rappeler qu’à l’opposé, il est sorti de l’Histoire pour entrer dans l’imaginaire et la mythologie populaires. Son nom, l’image qu’on construit de lui, son « idéal » dont un certain François Duvalier s’est réclamé de manière perfide, tout cela s’inscrit dans les luttes politiques et sociales.
Par rapport au moment actuel, deux choses qu’il a pu symboliser en tant que chef d’Etat et premier dirigeant et penseur politique de l’Amérique postcoloniale : l’équité et la dignité. Dessalines nous a enseigné qu’on n’est jamais trop digne face aux violations de nos droits et face au mépris de qui que ce soit à notre endroit. Puissent nos dirigeants actuels s’en souvenir et ne pas se cacher derrière des intérêts individuels ou les intérêts des classes aisées pour s’aplatir, pactiser, et en plus s’insurger contre ceux qui font montre de dignité.
On parle beaucoup de la dette payée à la France. C’est bien.
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On oublie trop souvent de dire que c’est le pouvoir politique de l’époque, appuyé par des secteurs de l’économie haïtienne, qui a consenti ce pacte odieux. Aujourd’hui, il nous faut être vigilants afin qu’aucun « deal » ne se fasse à nos dépens.
Inutile de rappeler qu’à l’opposé, il est sorti de l’Histoire pour entrer dans l’imaginaire et la mythologie populaires.
Quant à l’équité, Dieu, qu’elle manque encore. C’est à peine si on en parle. Comme s’il était normal qu’un pays produise autant d’inégalités.
Ils sont plus nombreux qu’on le pense, ceux qui, par leurs mots ou par leurs pratiques, sont prêts à re-tuer Dessalines.
Par Lyonel Trouillot
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