Les régions contrôlées par les bandits sont limitées dans leur approvisionnement en denrées alimentaires
Sherley Jean Paul et sa sœur, toutes deux agricultrices à Fonds-Verrettes, risquent de perdre leur cargaison d’une centaine de sacs de carottes.
Au bout d’un trajet d’environ trois jours, depuis Fonds-Verrettes en passant par la République Dominicaine jusqu’à Port-au-Prince, les légumes ont perdu leur allure vive et jaunâtre ce jeudi 3 octobre 2024.
Un liquide visqueux et des taches noires couvrent la surface de la plupart des carottes. D’autres affichent une texture molle, recouvertes de moisissures blanches.
Beaucoup de denrées d’agriculteurs périssent au terme de ce périple rendu nécessaire depuis le blocage de la Route Nationale #8 à Fond Parisien par la population qui craint une incursion du gang 400 Mawozo dans la zone depuis début de juillet 2024.
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Pour les agriculteurs de Fonds-Verrettes, le blocage solidifie l’inaccessibilité de leurs marchés habituels à Croix-des-Bouquets ou à Port-au-Prince.
Certains planteurs de cette commune jettent à la poubelle contre leur gré une partie de la moisson, comme les légumes périssables.
D’autres tentent d’acheminer la récolte vers la capitale en passant par Elias Piña, en République Dominicaine, malgré les coûts de transport exorbitants. Au cours du mois de mars, la cultivatrice Jean Paul, également étudiante en droit, investit 200 000 gourdes dans des plantations d’oignons à Fonds-Verrettes.
En août, elle parvient à vendre seulement une partie de la récolte pour à peine 75 000 gourdes.
« Il s’agit d’une perte totale », relate la commerçante, évoquant des prêts engagés pour entretenir ses jardins. « Les récoltes sont prêtes, mais on ne trouve aucune possibilité pour les acheminer [au marché] », poursuit-elle.
Une force multinationale dirigée par le Kenya présente dans le pays depuis trois mois pour soutenir la lutte contre les gangs aux côtés de la police nationale d’Haïti tarde encore à stabiliser la situation.
En septembre 2024, l’organisme Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA) alerte sur une augmentation de la prévalence de l’insécurité alimentaire dans le pays à cause de la violence des gangs.
Les régions contrôlées par les bandits sont limitées dans leur approvisionnement en denrées alimentaires. C’est aussi l’une des principales causes de l’aggravation de la crise alimentaire touchant plus de la moitié du pays.
« Les récoltes sont prêtes, mais on ne trouve aucune possibilité pour les acheminer [au marché] »
Les agriculteurs font partie des groupes les plus affectés par la crise alimentaire, selon la dernière évaluation de l’insécurité alimentaire en Haïti par la CNSA.
Avant le blocage des routes, le transport d’un sac de pommes de terre de Fonds-Verrettes à Port-au-Prince coûtait 250 gourdes, selon des marchands.
Aujourd’hui, il faut jusqu’à 2 000 gourdes par sac pour le trajet en raison des multiples postes de péages installés le long des routes, explique à AyiboPost Sherley Jean Paul.
Bernald Mathieu cultive des carottes, du chou et des pommes de terre à Fonds-Verrettes depuis 2015. Pour des dépenses de 125 000 gourdes dans sa production d’oignons, Mathieu tire normalement environ 100 000 gourdes de profits après avoir écoulé ses produits à Port-au-Prince et Croix-des-Bouquets.
Cette année, les plantations de l’investisseur agricole pourrissent. « C’est un déficit total, on a tout perdu », témoigne-t-il à AyiboPost.
Les gaspillages de denrées s’observent aussi dans le sud du pays.
Dans la commune de Thiotte, bastion du manioc, des légumes, de la patate douce et du maïs, l’entreprise La Réserve Bio Haïti spécialisée voit sa production ralentir.
Depuis 2015, La Réserve transforme le manioc, le maïs et le café, principalement pour les communes de Jacmel, Delmas et l’exportation vers la République Dominicaine.
Mais, depuis un an, l’occupation des routes par les gangs empêche l’acheminement à Thiotte des appareils essentiels pour les opérations de transformation comme les séchoirs et les moulins.
Une plantation d’un hectare de manioc plantée en juillet attend ces équipements.
« Je suis inquiet pour cet investissement », déclare à AyiboPost l’un des responsables de La Réserve Bio Haïti. Déjà, l’entreprise projette une baisse substantielle de revenus à cause de la situation.
Le chiffre d’affaires de 2023 était de 1,5 million de gourdes. Cette année, l’entrepreneur espère des revenus avoisinants à peine 500 000 gourdes.
L’insécurité laisse de nombreux investisseurs agricoles sur une pente déficitaire. Marcom Ferme Agricole se spécialise dans la production animale depuis 2006 à Gressier, une commune contrôlée par le gang 103 Zonbi.
L’entreprise élevait des cabris, bœufs, lapins et des espèces canines. Depuis peu, elle s’est lancée dans la production d’animaux de basse-cour : poulets de chair, dindes, canards, etc.
En 2017, la ferme produisait 4 000 poulets de chair tous les mois et demi. À cause de l’insécurité à Gressier, l’entreprise produit beaucoup moins.
« Depuis novembre 2023, j’ai arrêté la production des poulets à cause de l’insécurité à Mariani », relate l’un des responsables, Rood My Looken Désir. Une décision prise à cause des difficultés de vendre les poules à une clientèle déjà établie à Port-au-Prince, Delmas 24, Pétion-Ville, Croix-des-Bouquets, Martissant.
Au début du mois de février, Désir, vétérinaire et technicien agricole, a investi deux millions de gourdes dans une production de grenadilles sur un hectare de terre environ.
« Depuis novembre 2023, j’ai arrêté la production des poulets à cause de l’insécurité à Mariani »
Mais, vu le contexte, Désir n’espère pas récupérer cet argent. Devant ces difficultés, il déclare : « J’ai envie d’abandonner toutes ces activités et quitter le pays. »
Image de couverture : des paysans cultivent la terre| © Le Scientifique
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