Comme un movezè, le silence balaie les rues. Une vieille folle, sœur de Défilée, se risque à le briser : « Libète ou lanmò ! »
Gary Victor revient avec un « Violon d’Adrien », roman d’apprentissage, à partir du souvenir de son abandon (faute de moyens), enfant, de ses velléités musicales. Portrait d’une dictature que certains tentent de ripoliner à l’heure où d’autres loups terrifient la cité.
Dernier roman de Gary Victor racontant l’histoire d’un enfant qui rêve de devenir violoniste.
Comme un movezè, le silence balaie les rues. Une vieille folle, sœur de Défilée, se risque à le briser : « Libète ou lanmò ! »
Ce sera lanmò.
Les bonshommes-bâton ne plaisantent pas avec la mémoire de leur maître, fraîchement trépassé.
La vieille aussi, du coup. Sa dépouille roule jusque dans l’égout. De danseuse habitée, elle est passée à communiqué officiel du Palais en deux détonations.
Comme un movezè, le silence balaie les rues.
La mort fait certains jours aux passants la conversation de plus près : les madan sara (qui n’ont pas déballé aujourd’hui leurs marchandises) le savent. Le jeune Adrien, lui, peut s’estimer heureux que la leçon ne se termine pas de même dans le caniveau. L’infortunée ne l’avait-elle pas saisi au débotté par le bras, l’entraînant dans sa démente chorégraphie publique ?
« J’ai eu peur qu’un délateur n’aille apprendre à ces miliciens qu’un jeune garçon, moi, avait dansé avec la vieille qui fêtait, à sa manière, la mort du Président à vie. »
La vieille aussi, du coup. Sa dépouille roule jusque dans l’égout.
Réminiscence ou scène symbolique ? Le lecteur n’en saura rien. Les souvenirs du jeune Gary Victor grandissant sous la dictature Duvalier (jamais cité), obligé d’abandonner faute d’instrument ses rêves d’archet, se mêlent aux mésaventures du naïf Adrien. Une dictature que certain.e.s, depuis l’avenue Montaigne même – reliquat de l’argent détourné autorise – tentent encore et sans relâche de réhabiliter par gros temps de confusion.
Pour survivre, tout Port-au-Prince saigné à blanc met en gage ses derniers biens dans l’arrière-boutique de Monsieur Nino. Son avenir et celui de sa famille qu’Adrien confiera à ce patron faussement débonnaire. Pour un violon.
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Les pions avancent sur l’échiquier invisible. Adrien, fou qui s’ignore.
« Échec et mat ! » rient depuis la rue des Tentations les joueurs dissimulés. « Échec et mat ! » À gorge déployée.
Les seules cordes tolérées sont celles qui tiennent les pendus.
Madame Nino avait bien tenté par de petits gestes de le mettre en garde. Il n’aura vu dans le comportement prudent de la femme du milicien qu’antipathie et défiance.
Flirter avec le hasard et frayer avec les huiles du régime (via la fille du chef de la Sécurité intérieure) lorsque les loups rôdent masqués, que son père se pique en secret de politique : le jeune rêveur perd vite la main, pion mûr pour la chute. Un parmi tant d’autres.
Les seules cordes tolérées sont celles qui tiennent les pendus.
« »Mon fils, ce nom, on ne le prononce que très bas dans ce pays en veillant à ce que personne n’écoute. C’est le chef de la police secrète du Président. Sais-tu ce que fait un chef de la police secrète d’un président comme le nôtre ? » Une lueur de colère passa dans son regard. « Il emprisonne, torture, assassine ceux qui critiquent le Président, ceux qui ne veulent pas de lui au pouvoir, car c’est en vérité l’un des pires présidents que ce pays ait connus. » D’une rasade, il termina son verre. « Surtout, oublie ce que je viens de te dire. Ton père est en vie et en sécurité, là pour toi, parce qu’il fait semblant de ne rien voir, de ne rien entendre. Je fais comme si j’étais indifférent à la souffrance de ce peuple. » »
De la bouche à l’oreille, les mots trouvent certes leur chemin, mais d’aucuns de s’échapper souvent au loin. Le vent levé au passage du corbillard du despote pourrait bien les propager, les porter jusqu’aux esgourdes du nouveau chef de meute, joufflu héritier qui s’active déjà avec le soutien de sa maman à remplir le simityè des anciens favoris paternels. Même Monsieur Benjamin, concertiste reconnu, maître de musique d’Adrien et proche du défunt, n’est plus en sécurité.
Mon fils, ce nom, on ne le prononce que très bas dans ce pays en veillant à ce que personne n’écoute. C’est le chef de la police secrète du Président.
Une boule de cristal peu bavarde, un poète pédophile. Des enfants sadiques et des venelles cachées. Des enveloppes mystérieuses à livrer, les absences de plus en plus remarquées de son père. Adrien, emporté par ses rêves de solfège et par son amour pour Nadine, fille d’un diable, en oublie de rester prudent. Ne repère pas les fausses notes qui abîment sa trop belle partition intérieure.
Un Don Quichotte caraïbe se fait broyer par les hommes du système. Une tornade surgie de nulle part calme les velléités de changement au temps de la succession.
« - Tu es peut-être un automate sans le savoir. Quelqu’un doit bien t’avoir créé et programmé. »
Programmé pour devenir le plus grand violoncelliste d’Haïti ? Ou pour n’être que l’idiot utile d’un régime qui ne respecte rien, certainement pas les rêves et les espoirs des enfants ?
Tu es peut-être un automate sans le savoir. Quelqu’un doit bien t’avoir créé et programmé
Cruel roman d’apprentissage dans lequel nulles mœurs ne sont adoucies que ce « Violon d’Adrien ».
Jeu de dupes qui résonne d’autant plus fort que l’actualité démente du pays rattrape son auteur avec la chute du quartier de Carrefour-Feuilles désormais tenu par les gangs. Vidé de ses habitants.
Comme si, d’une dictature au gouvernement des gangs, aucun rêve de gosse n’était tolérable.
Faut-il qu’ils soient secrètement puissants, tous ces songes réunis, pour effrayer autant les brutes. Les loups et les diables en panique. Inquiets de voir leur faiblesse mise à jour. Eux qui ont perdu toute oreille — tout regard et toute foi en l’avenir. Tristes créatures vouées à l’échec. Créateurs de désespérance aux abois. D’autant plus féroces quand ils se savent en sursis.
– « Le violon d’Adrien ». Gary Victor. Édition Mémoire d’encrier —
Image de couverture : Gary Victor posant avace son roman « Le Violon d’Adrien ».
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