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Photos | 20 sources d’eau asséchées et une pénurie croissante à Port-au-Prince

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Des citoyens parcourent de longues distances, parfois à pied, à la recherche d’un point où ils pourront remplir leurs récipients

Pas moins de vingt sources d’eau se sont asséchées au niveau du Morne l’Hôpital, révèle à AyiboPost l’ingénieur Jean Yves Vancol, directeur des ressources en eau au ministère de l’Environnement. Ce morne joue un rôle clé dans l’approvisionnement en eau de la zone métropolitaine.

Ces assèchements se produisent dans un contexte où des sites qui devraient alimenter les nappes phréatiques sont transformés en décharges puis bétonnés. Des conduits d’alimentation de la zone sont également en très mauvais état, ce qui entraîne une rareté d’eau à Port-au-Prince ces derniers mois, selon le ministère de l’Environnement contacté par AyiboPost.

C’est la saison des pluies, pourtant dans plusieurs endroits de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, les habitants doivent se lever tôt et faire la queue pendant des heures, munis de leurs récipients, pour trouver de l’eau.

Chacun attend son tour pour remplir ses récipients dans une source à Bois-Moquette, en avril 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Des citoyens parcourent de longues distances, parfois à pied, à la recherche d’un point où ils pourront remplir leurs récipients. «Peu importe où elle se trouve, je dois la trouver», déclare une jeune femme rencontrée à Bourdon, le souffle court et le visage couvert de sueur. Tenant son récipient sous le bras, elle se dirige vers la ravine.

Dans la vallée de Bourdon, en avril 2023, une petite fille transporte de l’eau provenant du ravin pour répondre aux besoins de sa maman. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

À Bois-Moquette, Nazon, Christ-Roi, Delmas, Bourdon, Juvénat et Portail-Léogâne, pour ne citer que quelques-unes de ces zones, la quête épuisante de l’eau mobilise hommes, femmes et enfants.

Des jeunes transportent de l’eau à bord d’un tricycle motorisé sur la route de Lalue, à Port-au-Prince, en avril 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Eau de source captée à Bois-Moquette, en avril 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

L’une des entreprises offre gratuitement de l’eau aux personnes de Lalue, Christ Roi et de Bois-Patate en avril 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

À Nazon, des résidents déclarent être contraints de réduire leur consommation d’eau en raison du prix élevé auquel ils doivent l’acheter. «Avec cette chaleur, on est censés boire beaucoup d’eau et se baigner régulièrement, mais avec le prix d’un gallon, on y réfléchit à deux fois avant de décider», déclare un jeune homme dans la vingtaine qui attend avec impatience son tour, ses récipients alignés devant sa moto à Bois-Moquette. Dans certains endroits, le prix d’un gallon d’eau passe de 25 à 60 gourdes.

À Bourdon, un  homme se prépare à prendre place avec ses gallons, en avril 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Selon Yves Vancol, directeur des ressources en eau au ministère de l’Environnement, plusieurs facteurs expliquent cette pénurie. Tout d’abord, il y a des difficultés pour les équipes techniques et les camions privés d’accéder à certains endroits en raison des activités des gangs armés. De plus, il y a un manque d’investissement dans le secteur de l’eau en Haïti, ainsi qu’une occupation anarchique du bassin versant de Morne l’Hôpital.

«Il est révélé que la route de Canapé Vert a été construite dans l’environnement des sources qui alimentent les nappes phréatiques», souligne Vancol.

Un garçon à Bois-Moquette se prépare à transporter de l’eau en utilisant une brouette en raison de la longueur du trajet, en avril 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

De plus, il faut noter que la station-service Nationale située le long de cette route est construite sur un ancien site de décharge. Cela entrave l’infiltration de l’eau dans le sol et affecte l’alimentation des nappes phréatiques. Selon Vancol, dans de telles conditions, il est donc logique que la pénurie persiste.

Kerman, un petit distributeur d’eau potable au niveau de Portail Léogane, dénonce l’absence presque totale de la Direction nationale de l’Eau potable et de l’Assainissement (DINEPA) dans la zone.

«Les conduits d’eau, submergés par la rivière Bois de Chêne, sont complètement obsolètes depuis au moins sept ans et rien n’a été fait à leur sujet», déplore celui qui stocke de l’eau de pluie dans son réservoir pour la revendre aux habitants. Lorsqu’il n’y a pas de pluie, Kerman fait appel à des camions de la plaine du Cul-de-sac, qu’il paie jusqu’à 13 500 gourdes.

«Parfois, les gens viennent de Bel-Air pour acheter de l’eau ici. C’est une longue distance», ajoute-t-il.

AyiboPost n’a pas pu joindre Guito Édouard, Directeur Général de la DINEPA, par téléphone.

Dans la ravine de Bourdon, des gens puisent de l’eau, en avril 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

«Contrairement à d’autres, je ne condamne pas la DINEPA, car elle ne peut pas agir seule», déclare l’ingénieur Vancol. À ce jour, la DINEPA n’a pas été incluse dans le programme d’investissement public. Il dénonce le fait que seulement 2 % de son budget provient de l’État haïtien.

Selon Vancol, il est extrêmement coûteux de faire fonctionner un système d’alimentation en eau potable. Cependant, l’économie haïtienne est actuellement prise au piège des violences armées.

Le directeur affirme qu’en plus des investissements publics et privés dans le secteur de l’eau qui devront contribuer à rendre la ressource disponible — tels que le dessalement de l’eau de mer et la protection des bassins versants — il est urgent de mettre l’accent sur la gouvernance du secteur afin d’éliminer les dysfonctionnements dans l’exploitation et d’améliorer la distribution de l’eau.

Une vue de l’état du ravin à Bourdon, d’où les habitants puisent de l’eau, en avril 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Deux enfants remplissent leurs seaux dans une source souterraine, dans la ravine de Bourdon, en avril 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

«Il est nécessaire de créer une Agence Nationale des Bassins Versants et un Institut National des Ressources Hydriques (INARHY), comme proposé par Jovenel Moïse», déclare-t-il. Cet institut aura pour mission de coordonner les actions des différents acteurs intervenant dans le secteur de l’eau en Haïti, y compris la DINEPA, afin d’assurer une meilleure disponibilité de l’eau dans les foyers.

Transport d’eau en citernes à Routes-Frères, Pétion-Ville, mai 2023 | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Ainsi, il sera possible de remédier aux lacunes institutionnelles et juridiques entourant la gestion et la distribution de l’eau dans le pays. «Sans cela, le problème persistera pendant encore longtemps», met en garde l’ingénieur Vancol. Il affirme que des mesures sont en cours de mise en place, avec le soutien technique et financier de l’OEA, du PNUD et de l’USAID, en vue de la création de l’Institut national des ressources hydriques dans les meilleurs délais.

Par Wethzer Piercin et David Mentor 

Photo de couverture : Angle de l’avenue Martin Luther King et de l’avenue John Brown à Port-au-Prince (Anba limyè wouj)  : deux jeunes femmes transportant de l’eau pour leurs tâches ménagères. | © David Lorens Mentor/AyiboPost


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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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