« Dans ces explosions, il y a en général des pertes en vies humaines dans la même famille », affirme une infirmière de l’hôpital
La grande salle d’hospitalisation de l’hôpital de traumatologie et de grands brûlés de Médecins sans frontières est à moitié remplie, ce mardi 5 juillet 2022. Des infirmières font le va-et-vient. Certains patients sont alités, d’autres sont assis. Ils portent tous la marque du drame qui leur est arrivé : leur peau est dépigmentée par endroit, plus gravement selon le cas. Pour certains c’est le visage, pour d’autres, des parties plus cachées de leur corps.
Sur un lit, un masque à oxygène sur le visage, un bébé de quelques mois à peine semble dormir. Son corps en entier est recouvert de bandelettes, couvrant les parties qui ont été exposées aux flammes. Seules ses mains et une partie de son visage sont visibles. Sa mère est assise à ses côtés, et pousse de grands soupirs de temps en temps.
Dans une autre salle, cinq ou six patients sont couchés. Ils sont en soins intensifs. Dans cet espace, la douleur est palpable, car c’est là que se trouvent les cas les plus critiques. Ce sont aussi des personnes dont le corps a subi un traumatisme presque irréparable.
Nous sommes à Tabarre, dans le parc industriel de l’aéroport. C’est là que MSF a dû déménager cet hôpital qui recevait les grandes brûlures à Drouillard. L’insécurité les a délogés au début de l’année 2021. Même si certains services fonctionnent encore au centre situé à Cité Soleil, l’hospitalisation, les soins intensifs et le bloc opératoire des grands brûlés ne s’y trouvent plus.
C’est désormais ici que viennent les brûlés. En 2021, l’hôpital a ainsi admis 833 patients brûlés. En décembre de cette même année, par exemple, un camion-citerne transportant du carburant avait explosé au Cap-Haïtien. C’est dans cet hôpital qu’une partie de ces malades avaient été acheminés. Selon des responsables de l’hôpital, à chaque pénurie d’essence, ils s’attendent à recevoir de grands brûlés, victimes d’explosion causée par le mauvais stockage de pétrole.
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En général, ces drames laissent les victimes avec une grande surface corporelle brûlée. Selon Marie Jeunia Jean-Baptiste, responsable des soins infirmiers pour les brûlés, à l’hôpital de Tabarre, on parle de grands brûlés dès que près de 40 % du corps sont touchés. Mais la définition n’est pas rigide, tout dépend du type de brûlure et de sa profondeur. « Quelqu’un qui s’est brûlé à l’électricité à 15 % est un grand brûlé », explique l’infirmière.
L’électricité est en effet l’une des principales causes de brûlure pour lesquelles l’hôpital reçoit des patients. En général, ce sont des blessures très sérieuses. Se brûler à cause du courant électrique peut causer des dégâts pires que le feu. Il est facile de distinguer les deux brûlures, quand un patient se présente. L’électricité, contrairement au feu, présente un point d’entrée, et un point de sortie. « Ces blessures sont comme celles d’une balle, explique-t-elle. Le courant traverse l’organisme de part en part et sur son passage il fait de gros dégâts dans les organes qu’il touche. »
C’est pour cela qu’une brûlure à cause de l’électricité est considérée comme grave même si la surface corporelle touchée est faible. « Dans ces cas, on doit toujours vérifier certains organes comme le cœur. Et même si la brûlure est légère, dès qu’il s’agit d’électricité le patient devra rester en observation un certain temps, parce que les dommages peuvent survenir après. »
De plus, selon la partie du corps qui est touchée, des amputations peuvent s’avérer nécessaires. Mais même s’ils sont graves, ce ne sont pas les cas les plus reçus par MSF. La palme est remportée par les explosions, surtout dues au propane, qui sont monnaie courante. Mais ces derniers mois, la responsable des soins infirmiers remarque qu’il y a de plus en plus de patients victimes d’explosion de carburant. « En général, dans ces explosions, il y a des pertes en vies humaines dans la même famille », affirme Jean-Baptiste.
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D’après elle, l’ignorance est la principale raison qui explique ces drames. Surtout dans le cas du propane. Réginald Jean Henry est psychologue à l’hôpital de MSF et accompagne les patients en réhabilitation. Il pense lui aussi que les gens ne savent pas les dangers auxquels ils s’exposent en réalité. C’est l’impression qui ressort des entretiens qu’il mène avec les patients, lors des thérapies.
Selon le psychologue, en plus des cas liés au stockage impropre de pétrole, qui ne manqueront pas d’arriver, les grandes vacances sont aussi un moment dangereux pour les enfants. Ce sont ces moments en général que l’hôpital redoute, parce que les plus jeunes sont plus exposés. « Comme ils sont à la maison plus souvent, les drames sont plus présents. Surtout quand on tient compte de la promiscuité dans laquelle vivent certaines familles », explique-t-il.
Les brûlures guérissent à terme. Les plus jeunes, surtout les bébés, ont de fortes chances de retrouver une peau normale après quelques années, car ils sont en plein processus de croissance. Mais pour les moins jeunes, les marques sont presque indélébiles même si là également cela peut dépendre du type de peau de la victime.
Alors qu’ils sont à l’hôpital et qu’ils reçoivent des soins, l’alimentation est un autre facteur important pour la guérison des grands brûlés. Elle doit être soigneusement contrôlée, calorie par calorie. « Les patients ont perdu beaucoup d’éléments nutritifs lors du drame, qu’il faut reconstituer. Ils doivent recevoir une quantité exacte de nourriture, et nous additionnons les valeurs nutritionnelles de chaque morceau, pour calculer la quantité de calories ingérées », explique Marie Jeunia Jean-Baptiste.
Mais une grande partie de la guérison se passe dans la tête. C’est le malade lui-même qui doit d’abord y croire. Parfois, malgré une bonne alimentation, l’état d’un patient qui aurait dû s’améliorer stagne ou régresse. Dans ces cas, les médecins consultent les psychologues qui le suivent, pour mieux comprendre. Le patient peut être en train de réfléchir à tout ce qu’il a perdu, toutes ses affaires qui sont parties en fumée, et cela peut l’affecter mentalement.
D’après Reginald Jean Henry, le mental joue en effet un rôle important dans le processus de guérison. Mais selon les circonstances du drame, les patients ne s’ouvrent pas tout de suite aux spécialistes de la santé mentale. Certaines victimes nécessitent quelques séances avant d’accepter de parler de ce qui s’est passé. Dès lors, le processus d’acceptation de soi peut commencer. Ce suivi psychologique peut se poursuivre même après que le patient quitte l’hôpital, parce qu’il est souvent difficile pour eux d’accepter leur nouvelle image.
« Quand ils retournent dans leur quartier, ils se sentent accueillis différemment, confirme Jean-Baptiste. Ils sont souvent rejetés, à cause de leur nouvelle apparence. »
Les photos ont été prises le 5 juillet 2022 à MSF par Wilson Saintelus pour AyiboPost.
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