AyiboPost a recueilli des témoignages directement auprès des autorités de l’époque
Plus de 225 cas de kidnapping ont été recensés pour le premier trimestre de 2022, selon les données de la Cellule d’observation de la criminalité du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme. En moyenne, ce chiffre représente plus de deux cas de kidnapping par jour durant les trois premiers mois de l’année.
La plus récente période où le kidnapping était en vogue dans le pays est celle de 2004-2006 sous le gouvernement de transition de Boniface Alexandre et la présidence du défunt président René Garcia Préval. En 2005, environ 1 000 cas d’enlèvements contre rançon ont été enregistrés, dont 760 ont été officiellement signalés, rapporte le CARDH.
L’administration de Préval est connue pour ses actions visant à limiter voire mater l’insécurité à l’époque qui rongeait le pays. Selon des observateurs, les efforts de la Police nationale d’Haïti (PNH) soutenus par la Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) ont permis de mater le fléau.
« À l’époque, le kidnapping était purement criminel, analyse le professeur James Boyard. Les gangs n’étaient pas aussi puissants et armés et ils n’avaient pas autant de ramifications politiques et de soutien », dit l’auteur de l’ouvrage intitulé « le Procès de l’Insécurité : Problèmes, Méthodes et Stratégies ».
En 2006, une deuxième phase de l’opération Bagdad prend naissance. Cette initiative a été lancée en 2004, après que l’ancien président haïtien, Jean Bertrand Aristide a été reçu en Afrique du Sud.
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Durant cette période, l’institution policière avait plus ou moins une certaine présence sur le territoire du point de vue de déploiement, de stratégies et de lutte contre l’insécurité. Selon un ancien haut fonctionnaire de l’institution, la PNH avait un dispositif pour localiser les personnes victimes des actes de kidnapping en 2006.
Selon cet ancien haut cadre, un protocole d’accord entre le gouvernement de l’époque, la justice et les compagnies de téléphones mobiles aidait la Police nationale d’Haïti à localiser les otages. Cet accord est toujours en place aujourd’hui.
L’ancien haut fonctionnaire de la police nationale d’Haïti parle d’une relative présence policière à l’époque dans les quartiers populaires réputés chauds pour limiter le déplacement des bandits. « Nous avons aussi mis un dispositif de quadrillage de toute la ville de Port-au-Prince, empêchant ainsi les bandits de retourner dans leurs trous après chaque enlèvement. »
La Brigade d’intervention de nuit (BIN) a pris naissance à cette époque. Ces policiers ne travaillaient que la nuit et ils étaient dépêchés dans des points stratégiques de certaines zones, fait savoir l’ex haut fonctionnaire de la PNH.
« Le président Préval nous avait donné carte blanche pour réaliser notre travail sans interférer dans les stratégies de l’institution pour combattre l’insécurité », déclare l’ancien cadre.
L’ancien garde des Sceaux de la République de l’époque sous la transition en 2005, Me Bernard Gousse, fait savoir que la police nationale avait un service de renseignement à l’époque assez efficace, ce qui facilitait les différentes interventions dans certaines zones.
L’ex-ministre de la Justice, fait savoir qu’il y avait eu du point de vue opérationnel, un soutien de la part des autorités politiques aux autorités policières. Elles savaient qu’elles pouvaient compter sur le support du gouvernement quand elles menaient une opération sur le terrain, dit-il.
« L’autre élément parmi les mesures adoptées pour combattre le kidnapping à l’époque, indique l’ancien garde des Sceaux de la République, c’était de débarrasser la police nationale des gens qui ne partageaient pas la vision du gouvernement. »
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Des mesures ont été prises à l’interne pour épurer la PNH des policiers qui avaient de graves accusations de violation des droits de la personne qui pèsent sur leur dos afin de rétablir la confiance de la population.
Lors du début de son deuxième mandat en 2006, le défunt président Préval avait proposé de dialoguer avec les bandes armées pour résoudre le problème de kidnapping. Les bandits devaient choisir entre remettre les armes ou la mort, rapporte l’économiste Thomas Lalime.
C’est ainsi que le gouvernement avait mis sur pied un programme de désarmement à travers une commission nationale de désarmement, de démantèlement et la réintégration (CNDRR). Ce programme n’avait pas eu du succès.
La présence de la MINUSTAH a grandement contribué à la diminution des cas d’enlèvements, souligne le professeur Thomas Lalime. L’une des dernières mesures prises par l’administration Préval pour combattre le kidnapping fut une loi sur l’enlèvement, la séquestration et la prise d’otages.
Cette loi a été votée par le Sénat le 27 novembre 2008 et par la Chambre des députés le 22 janvier 2009. Par ailleurs, l’article 289 du Code pénal haïtien prévoyait déjà des peines allant d’un an à cinq ans au plus pour les cas de séquestrations de personnes. La loi de 2009 vient compléter le Code pénal et les lois prises sur le sujet par le président Boniface Alexandre en 2005.
Malgré ces dispositions légales, la loi de 2008 n’a jamais été réellement utilisée depuis son entrée en vigueur. « Je sais qu’il y a des gens qui sont condamnés pour enlèvement et séquestration des personnes, mais ils ne sont pas nombreux », reconnaît Me Bernard Gousse.
La non-collusion entre les milieux criminels et les administrateurs de l’État semble avoir eu un impact important. « Contrairement aux autres gouvernements, celui de Jean Bertrand Aristide par exemple, mon gouvernement n’était pas de connivence avec les gangs », souligne Me Bernard Gousse. « Aucun groupe de gang de l’époque ne pouvait prétendre ou affirmer de rattachement avec les membres du gouvernement », conclut-il.
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