L’album « Haïti, mon amour » est une lettre ouverte de Célimène Daudet à Haïti. Dans une entrevue accordée à AyiboPost, elle revient sur son parcours et ses objectifs
Après les succès de ses disques précédents autour des virtuoses de la musique classique européenne Johann Sebastian Bach, Claude Debussy et Oliver Messiaen, la pianiste franco-haïtienne Célimène Daudet est revenue en mars dernier avec un album paru chez Nomad Music intitulé, « Haïti, mon amour » dans lequel elle nous invite à voyager dans l’univers musical de trois compositeurs classiques haïtiens du XIXème siècle Justin Élie, Ludovic Lamothe et Edmond Saintonge. Ce dernier album est une belle lettre musicale adressée à Haïti et à ses origines caribéennes.
L’arrière-arrière-petite-nièce de l’écrivain Alphonse Daudet est la fondatrice du premier Festival international de Piano en Haïti qu’elle a lancé en 2017. Elle a reçu en 2010 le Prix international Pro Musicis à Paris en duo avec le violoniste Guillaume Latour et se produit sur les prestigieuses scènes du Carnegie Hall à New York, de la Philharmonie de Paris 2013 ainsi que sur plusieurs autres scènes internationales.
Nous l’avons rencontrée afin d’échanger autour de son parcours artistique, du Festival international de Piano qu’elle a créé et de son dernier album « Haïti, mon amour. »
Célimène Daudet, vous êtes pianiste, vous avez commencé à suivre des cours de piano au conservatoire d’Aix-en-Provence. Comment a été l’atmosphère familiale de votre enfance ? Qu’est-ce qui a nourri votre attachement pour cet instrument ?
J’ai grandi dans une famille de mélomanes. Mes parents ne sont pas des musiciens professionnels mais ils aiment beaucoup la musique. À la maison, il y avait toujours de la musique qui passait, des airs d’opéra, du piano, beaucoup de musique de Mozart. On écoutait beaucoup de musique classique mais également du jazz. J’ai des souvenirs précis d’avoir entendu beaucoup de musique étant enfant, Ma mère qui est haïtienne m’a raconté son enfance en Haïti où elle était aussi entourée de musique et que celle-ci était très présente dans sa vie. Donc, elle m’a naturellement transmis ce goût pour la musique.
Quand j’ai commencé le piano, enfant, j’ai eu un coup de foudre pour l’instrument, la beauté du son, sa puissance. C’est un instrument qui est très complet, très riche, qui permet de jouer toutes les musiques, tous les styles, tous les répertoires. Pour moi, c’est l’un des instruments les plus fascinants qui soient. Même si les autres instruments sont passionnants et m’apprennent beaucoup je peux dire que j’ai eu un véritable coup de cœur pour le piano et sa sonorité.
Vous avez grandi entre deux cultures. La culture haïtienne d’une part et la culture française d’autre part. Est-ce que ces deux cultures ont eu une influence sur votre création ?
Je ne sais pas trop si c’est moi qui peux juger de cela. Ce que je pense cependant, c’est que cette double culture m’a donné probablement un sens de la curiosité, m’a permis d’être plus ouverte à la différence et à la richesse que cette différence représente. Je pense en effet que c’est une vraie richesse d’avoir une double culture et de pouvoir naviguer de l’une à l’autre et de s’enrichir de l’une et de l’autre. Je ne sais pas de quelle manière cela nourrit mon art, mais cela m’aura par exemple permis de découvrir des compositeurs haïtiens que je n’aurai jamais découvert autrement. D’une certaine manière, cela enrichit beaucoup mon travail, ma démarche de musicienne et cela me rend beaucoup plus curieuse et ouverte d’esprit.
En 2017, vous êtes venue avec le Haïti Piano Project permettant de faire venir un piano de concert en Haïti et de créer le festival de piano en Haïti. D’où est venue l’idée de créer un festival de musique classique en Haïti ?
Je voulais retrouver cette Haïti qui était un peu éloigné de moi. Je voulais retrouver ce pays, cette culture et je voulais m’impliquer et participer à la vie culturelle haïtienne. J’ai souhaité y proposer ce qui m’animait profondément, la musique classique, et proposer cela aux haïtiens. La beauté de la musique classique est pour moi sans limite et bien entendu sans frontières. Sachant qu’en Haïti, il y a un amour pour la culture et l’art en général, j’ai imaginé que la musique classique pouvait aussi y avoir toute sa place. Je sais qu’il y a eu (qu’il y en a) des musiciens classiques en Haïti et qu’il y a eu une tradition de piano, de musique classique, l’une des plus belles preuves étant l’existence de compositeurs haïtiens géniaux que j’ai eu la chance de découvrir. Donc, j’ai proposé ce festival pour pouvoir contribuer à la vie culturelle et artistique haïtienne, qui est déjà très riche et ce festival était peut-être une pierre supplémentaire à cette richesse culturelle.
Quelque part la musique classique n’est pas trop présente en Haïti…
Je pense qu’elle ne l’est plus trop. Elle l’était à une époque. Par exemple, ma mère m’a raconté que quand elle était petite, il y avait des concerts de musique classique et puis petit à petit cela s’était raréfié. Mais c’est une musique qui est profondément belle et intense, qui rassemble les gens et qui permet de rêver, d’accéder à la beauté, de s’évader et de s’élever aussi d’un point de vue spirituel. Je pense que tout le monde peut y être sensible si ce que l’on propose est de qualité dans un idéal de partage et de transmission. Je pense que les gens qui ont envie de découvrir ou de redécouvrir cette musique seront heureux et passeront un moment fort hors du temps. Je suis convaincue que c’est une musique qui est accessible à tous pour qui accepte de se laisser emmener dans cet univers.
Deux éditions du festival n’ont pas pu avoir lieu durant l’année 2018 et 2019 à cause des tensions sociopolitiques difficiles en Haïti. Si toutefois les conditions sont réunies permettant la réalisation du festival, quelles seront vos attentes ?
Mes attentes seraient de continuer à développer le festival comme on l’a commencé, c’est-à-dire offrir des concerts gratuits de qualité, créer des rencontres entres des artistes haïtiens et des artistes venus de l’étranger, continuer de développer le programme pédagogique qu’on a lancé avec notamment l’école de musique de Jacmel. Mon ambition, c’est de poursuivre ce projet et de le faire grandir, de l’installer encore davantage dans la vie haïtienne. Enfin, c’est vrai qu’avec le contexte en Haïti, je ne sais pas quand ce sera possible d’organiser quelque chose mais je garde espoir et j’attends avec impatience de pouvoir revenir et de pouvoir à nouveau proposer des concerts en Haïti, à Jacmel, à Port-au-Prince comme on l’a fait précédemment.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile lors de l’organisation de ce festival ?
Tout un tas de choses qui sont propre à l’organisation des festivals. Il faut être très rôdé, très structuré. Il n’y a pas eu tellement plus de difficultés qu’ailleurs. Peut-être l’une des difficultés, je dirais que c’était les lieux de concert. On n’a pas pu vraiment trouver de lieux dédiés aux concerts. On a choisi des lieux dans lesquels il se passe autre chose. On est allé au Centre d’art, au Bureau d’Ethnologie. A Jacmel, on a fait les concerts dans une grande halle qui servait avant au stockage du café. Ce sont des lieux atypiques qu’on a transformés en des lieux de concert. C’est sûr qu’il fallait assurer toute la logistique autour de ces lieux qui ne sont pas faits à l’origine pour des concerts. Mais justement, je pense que c’était un challenge qui était intéressant, passionnant, celui de pouvoir transformer un lieu en lieu de concert et accueillir du public pour écouter de la musique dans un endroit qui n’est a priori pas fait pour ça. Je dois dire que jouer dans des lieux de vie et parfois chargés d’histoire était très fort et très inspirant.
Après plusieurs CDs sortis, vous revenez avec un disque très personnel intitulé « Haïti, mon amour » où vous revisitez la création de trois compositeurs haïtiens : Justin Élie, Ludovic Lamothe et Edmond Saintonge qui ont été tous les trois au Conservatoire de Paris et qui ne sont sûrement pas trop connu du public européen. Comment a eu lieu votre rencontre avec ces trois compositeurs ?
La toute première fois que j’ai entendu parler d’un de ces compositeurs, c’était Justin Élie et c’était grâce à un pianiste haïtien qui s’appelle David Bontemps qui habite à Montréal et que j’avais invité au festival en 2017. Il m’a fait découvrir la musique de Justin Élie. J’ai trouvé cela magnifique et profondément poétique et singulier. Il m’a parlé aussi d’autres compositeurs et m’a mis en relation avec la Société de Recherche et de diffusion de la musique haïtienne à Montréal qui s’occupe de rassembler tout ce qui existe, les partitions, les archives, etc. Donc, j’ai commencé à faire des recherches grâce à eux. Puis, j’ai rencontré en Haïti la pianiste Micheline Laudun Denis qui vit à Port-au-Prince et qui m’a offert quelques cédéroms qu’elle avait réalisés dans le passé avec des compositions haïtiennes. Donc, grâce à ces rencontres déterminantes, j’ai découvert ces compositeurs classiques haïtiens et c’était pour moi une immense révélation. J’ai été fascinée par ces œuvres d’une richesse incroyable, très singulières, très personnelles et j’ai eu à cœur de les faire connaître ailleurs qu’en Haïti. Il est vrai qu’en France, en Europe, on ne les connaissait pas du tout malheureusement. Donc, je me suis en quelque sorte chargée de cette mission d’essayer de les faire connaître car ces compositeurs doivent avoir leur place dans l’Histoire de la musique et sortir de l’oubli.
Qu’est-ce qui fait la singularité de leurs œuvres ?
Je dirais que comme tout grand compositeur, chacun a un langage qui lui est propre, qui est donc unique à la base. Surtout, ce sont des musiques qui symbolise une forme de rencontre, de métissage entre la culture haïtienne, les rythmes afro-caribéens, les mélodies et les danses populaires haïtiennes comme la méringue et l’écriture occidentale classique qu’ils ont appris au Conservatoire de Paris. Ce mélange entre ces deux styles en fait quelque chose de particulièrement rare.
Y’a-t-il d’autres créateurs qui vous inspirent, des compositeurs qui vous ont influencée dans votre travail ?
Je suis très inspirée souvent par mes lectures. Ce ne sont pas forcément des créateurs musicaux mais ils peuvent aussi être littéraires ou toute autre forme d’expression artistique. C’est vrai que je trouve dans d’autres arts une source d’inspiration pour ma propre pratique artistique. Récemment, j’ai lu un roman magnifique d’un auteur haïtien qui s’appelle Jean D’Amérique, c’est son premier roman, le titre en est Soleil à coudre. Il a été une révélation pour moi tellement c’était intense et puissant. Donc, des auteurs comme ça pour moi, ce sont des inspirateurs, des gens qui me nourrissent énormément, qui me donnent de nouvelles perspectives, nourrissent l’imagination, qui donnent envie d’aller plus loin. Il me semble que les artistes en général sont très sensibles à ce qui leur entourent. Un artiste se nourrit fondamentalement du monde qui l’entoure et dans lequel il évolue.
Propos recueillis par Ervenshy Hugo JEAN LOUIS
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