Les juges continuent de prononcer des peines de travaux forcés alors que les détenus ne travaillent plus dans les prisons
Les travaux forcés sont une peine en matière criminelle où le détenu est contraint de travailler. La loi haïtienne peut condamner une personne aux travaux forcés à temps ou à perpétuité. Le Code pénal haïtien en vigueur fixe la condamnation aux travaux forcés à temps, de trois ans au moins et de quinze ans au plus. Dans la section traitant des agressions sexuelles, le code prévoit des travaux forcés à temps pour les auteurs de viol ou de toute agression sexuelle.
Par ailleurs, il y a des détenus qui sont condamnés à passer toute leur vie à travailler de force. Vu que le décret du 4 juillet 1988 a aboli la peine de mort dans le système judiciaire haïtien, c’est la peine de travaux forcés à perpétuité qui l’a remplacé. Tout Haïtien qui aura pris les armes contre la patrie sera condamné de travaux forcés à perpétuité. Aussi, toute personne qui aura contrefait ou altéré des monnaies étrangères sera passible de cette même peine.
Me Suzy Legros, la bâtonnière de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, explique que de nos jours, les prisonniers ne connaissent pas les travaux forcés. Selon l’avocate, autrefois, les détenus qui étaient condamnés aux travaux forcés nettoyaient les rues, ramassaient des ordures, avec des chaînes aux chevilles.
« Ils avaient des choses à faire », affirme la bâtonnière. Selon Me Legros, ces prisonniers dans les rues renvoyaient une image claire à la société. « Les gens pouvaient s’imaginer que le même sort leur était réservé s’ils ne respectent pas la loi », ajoute-t-elle.
Le travail forcé ne fait pas nécessairement unanimité. La pratique soulève de sérieuses questions éthiques et morales.
Humaniser la détention
Autrefois, les hommes condamnés aux travaux forcés devaient être employés aux travaux publics alors que les femmes et les filles qui encouraient la même peine étaient employées dans une maison de force.
Me Rosy Auguste, responsable de programmes au Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), soutient que les travaux forcés sont problématiques. « Avant la création de la Police nationale d’Haïti en 1995, c’est l’armée qui gérait les détenus dans les casernes qui servaient de prison. On peut imaginer les traitements inhumains que ces militaires infligaient aux détenus », explique Rosy Auguste. Elle affirme qu’on ne devrait pas forcer une personne à travailler, qu’elle soit libre ou en détention.
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Cependant Me Auguste croit que la situation des personnes privées de liberté a toujours été préoccupante, quel que soit le pays considéré. C’est pourquoi, selon elle, il y a toujours eu dans les pays le souci d’humaniser la détention et de trouver un rôle à la prison qui puisse servir à la société.
Les hommes qui étaient condamnés aux travaux forcés devaient être employés aux travaux publics alors que les femmes et les filles qui encouraient la même peine étaient employées dans une maison de force.
« La convention de Genève de 1949 interdisait de soumettre les prisonniers de guerre aux travaux forcés, sauf pour accomplir des tâches qui étaient liées à leur propre détention comme le fait de laver leurs vêtements. Pour nous en Haïti, le décret du 7 avril 1982 dit que les travaux des détenus devraient être exécutés dans des conditions décentes et humaines. »
Peine inapplicable
De toute façon, des experts pensent que la conjoncture ne permet pas l’effectivité des condamnations aux travaux forcés.
D’abord, il y a des possibilités que les détenus s’évadent. En plus, il y a le phénomène de la détention préventive prolongée. Seuls les détenus qui ont été condamnés à des peines de travaux forcés devraient être contraints à travailler. Or, la majorité des détenus dans les prisons haïtiennes ne sont pas encore jugés. Donc, il devient difficile de connaître ceux qui devraient effectuer de tels travaux.
La conjoncture ne permet pas l’effectivité des condamnations aux travaux forcés puisqu’il y a une possibilité que les détenus s’évadent
Pourtant, les juges continuent de prononcer des peines de travaux forcés. Me Auguste se demande s’ils ont conscience de ce qu’ils font. D’ailleurs, les prisonniers ne travaillent plus. Selon la responsable de programme du RNDDH, les détenus qui vont en cuisine se considèrent heureux parce qu’ils ont la chance de circuler, alors que les autres détenus restent confinés dans leur cellule. Et parfois, ces cellules ne sont même pas ventilées.
Travail en prison
Si la responsable du RNDDH pense que les travaux forcés sont contraires aux prescrits des droits humains, elle encourage toutefois le travail en milieu carcéral. « Quand les prisonniers travaillent, ils sont mieux préparés à se réinsérer dans la société. En ne leur soumettant aucun travail, on leur apprend l’oisiveté », ajoute-t-elle.
Les règlements internes des établissements pénitentiaires (RIEP) prévoient dans quelles conditions le travail devrait être effectué dans les prisons. Selon ces règlements, les détenus devraient avoir le droit de travailler au sein d’ateliers de production installés dans les prisons par les secteurs privé et public, sur la base d’un accord de partenariat passé entre la firme et la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP).
Le détenu doit être rémunéré et cette rémunération ne doit pas lui être remise en main propre. La DAP ouvrira un compte au nom du détenu et l’argent de son travail y sera déposé. Toutefois, le travail n’est pas donné à tous. Selon les RIEP, les détenus qui respectent les principes de la détention sont prioritaires dans le régime du travail en milieu carcéral.
Laura Louis
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