L’aide étrangère diminue de plus en plus
Le fils de Nadège Casimir est né prématurément. Il a été hospitalisé pendant près de neuf mois à l’hôpital Petits Frères et Sœurs. Mais après trois mois, le médecin a remarqué que la tête de l’enfant grossissait. Il a été opéré à cinq mois.
«Je me rappelle des humiliations que nous avons subies, dit Nadège Casimir. Les gens appelaient mon fils ‘Gwo tèt’, ‘Kokobe’, ‘tèt pika’, ‘tèt mab’. Je pleurais tellement que j’ai quitté l’endroit où j’habitais. »
L’enfant de Nadège souffre d’hydrocéphalie. Cette maladie consiste en une augmentation de la taille du crâne. Il arrive que l’hydrocéphalie perturbe le développement du cerveau et empêche les progrès psychomoteurs de l’enfant. Il peut avoir des difficultés à marcher, s’asseoir, etc.
Même si des adultes en sont aussi touchés, ce sont surtout les enfants qui en sont victimes. Les patients atteints de cette maladie sont victimes de moqueries et de discriminations.
L’hydrocéphalie est souvent causée par une malformation congénitale, mais parfois, elle résulte de simples infections dans l’oreille ou d’une infection respiratoire qui se propage dans le cerveau.
En Haïti, l’hôpital Bernard Mevs est l’un des rares à prendre en charge régulièrement les enfants qui souffrent de cette maladie. Ils y sont opérés du cerveau par le docteur Yudy Lafortune.
Le traitement coûte cher, mais jusqu’à présent, grâce au programme Medishare de l’université de Miami, il était gratuit pour les familles. Cependant, à cause du Covid-19, d’un manque de matériels, et de financement, les parents devront payer une partie du traitement, au risque que le programme disparaisse complètement.
Une maladie courante
Soinise Saintil est la mère d’une enfant souffrant d’hydrocéphalie, rencontrée à l’hôpital Bernard Mevs. Elle ne pouvait s’empêcher de fondre en larmes en expliquant à quel point la maladie de sa fille l’affecte.
« Dieu m’a fait grâce. Lorsque j’arpentais les hôpitaux, et que ma fille a pu aller à l’école, j’ai vu d’autres enfants qui avaient des handicaps, j’ai vu que ce n’est pas uniquement moi qui suis dans cette position », parvient-elle à articuler difficilement, entre deux sanglots.
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Elle vivait à Cavaillon, et n’avait pas encore les moyens de venir à Port-au-Prince pour faire soigner son enfant. A trois ans, sa fille ne marchait toujours pas, et avait des difficultés à s’asseoir.
Comme Saintil, Delinois Junald vient régulièrement à l’hôpital Bernard Mevs avec sa fille de quatre ans. Junald est père de jumelles, mais un des enfants n’a pas la maladie.
A un an, le bébé avait déjà subi deux opérations de neurochirurgie. La petite est encore sujette à des crises. « Nous prenons beaucoup de précautions avec elle, pour qu’elle ne se fâche pas et ne pleure pas, explique-t-il. Lorsqu’elle a sa crise, elle tremble, et même si elle te regarde elle ne te voit pas. »
Le traitement
Le docteur Yudy Lafortune est l’un des seuls médecins haïtiens qui opèrent les enfants atteints d’hydrocéphalie. Il travaille à l’hôpital Bernard Mevs. Le neurochirurgien y pratique deux types d’interventions.
La première est une ventriculostomie endoscopique, consistant à introduire une caméra dans le cerveau de l’enfant, pour ensuite créer une communication qui permet la circulation du liquide céphalo-rachidien. Cette méthode, le neurochirurgien le préfère parce qu’il ne laisse aucun corps étranger dans le cerveau.
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La deuxième méthode est appelée shunt. Le médecin installe des tubes dans la tête de l’enfant. Une extrémité est placée dans la cavité remplie de liquide et l’autre extrémité est connectée à l’abdomen. Cette intervention peut causer des complications, parce que le tube peut s’obstruer ou provoquer des infections.
Mais en réalité, la neurochirurgie ne porte pas de solution au problème esthétique que peut causer l’hydrocéphalie chez les enfants, en réduisant la dimension du crâne, explique le Dr. Yudy Lafortune. Elle permet seulement la bonne circulation du liquide céphalo-rachidien.
Coûts élevés
Quoiqu’il en soit, le coût est élevé pour l’hôpital. Haïti ne produit pas ces tubes de plastique mous et souples. De temps à autres, l’hôpital vient à manquer de ces matériels et ils peuvent coûter des centaines d’euros. Les scanners aussi coûtent cher.
Les difficultés d’approvisionnement en matériel se sont intensifiées avec les épisodes de Peyi lòk et la pandémie Covid-19. Et parfois, les mères abandonnent leur enfant à la charge de l’hôpital, lorsque leur situation est trop grave.
Les fonds pour les soins d’hydrocéphalie ainsi qu’un programme de formation en neurochirurgie, développés par Medishare, une initiative de l’université de Miami, sont avancés par Haïti Healthy Kids, une organisation américaine à but non lucratif.
Mais ce programme risque de cesser d’exister dans les années à venir, d’après Margareth Rochelin, coordonnatrice du programme de prise en charge de la maladie d’hydrocéphalie en Haïti à l’hôpital Bernard Mevs depuis 14 ans. L’aide étrangère commence à manquer.
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De ce fait, l’administration de l’hôpital a décidé de demander aux parents une contribution de 30 000 gourdes pour l’opération. L’infirmière Rochelin dit qu’elle est consciente qu’il y a des parents qui ne seront pas en mesure de le payer. Mais elle assure que c’est pour garder le programme en vie que l’hôpital demande cet argent aux parents, puisqu’ils ne renvoient pas un parent qui ne peut pas payer.
Le Dr. John Ragheb, impliqué dans le projet Medishare, partage la préoccupation de l’infirmière Rochelin. La collecte de dons pour soutenir le programme de soins et d’enseignement est un défi permanent pour Haïti Healthy Kids.
« Le coronavirus et les troubles ont compliqué à la fois notre capacité à venir en Haïti et à enseigner, déplore Dr. Ragheb. Covid-19 a détourné l’attention du monde des autres besoins médicaux, même les enfants souffrant d’hydrocéphalie. »
Longue liste d’attente
Delinois Junald, Nadège Casimir et Soinise Saintil ont eu la chance d’obtenir des soins de santé gratuitement pour leur enfant. Ce n’est pas le cas pour Rita (nom d’emprunt). Elle vient de Jérémie, et est en attente depuis plusieurs jours à la pédiatrie de l’hôpital.
Cette jeune maman s’impatiente, et a peur des retombées de la maladie sur son fils si son opération est repoussée trop longtemps. Elle verse des larmes de lassitude et perd courage. Son bébé n’a que six mois et elle est venue avec 25 000 gourdes pour payer l’opération, les examens et les scanners.
Mais la liste d’attente est longue, les salles d’opération ne sont pas toujours disponibles. Pour épurer la liste, Dr. Lafortune estime qu’il lui faudrait procéder à des opérations d’hydrocéphalie chaque jour. Cependant, il est l’unique neurochirurgien de l’hôpital qui fait ce traitement. Et l’hospitalisation de ces enfants peut aller jusqu’à trois mois s’il y a des complications.
« Nous avons aussi remarqué qu’à mesure que le programme avance, chaque année le nombre d’enfants augmente, partage Dr. Lafortune. »
Hervia Dorsinville
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