Parce qu’ils n’ont aucune garantie de recouvrement, même de la part de l’État
En 2018 la mère de l’artiste haïtien Roody Roodboy trouve la mort dans des circonstances tragiques. Après s’être évanouie chez son cardiologue, Marie Sanette Voltaire Dauphin ne sera prise en charge que tardivement par l’hôpital de Canapé-Vert parce qu’il manquait à la dame 5 000 gourdes pour compléter les 25 000 exigées pour son hospitalisation, selon son fils.
Les cas similaires reviennent régulièrement dans l’actualité en Haïti. Et souvent, le public se demande pourquoi les hôpitaux refusent de fournir gratuitement les soins d’urgence.
Évidemment, l’argent constitue le nœud gordien du problème. Selon une étude sortie il y a sept ans, près de la moitié des institutions sanitaires en Haïti étaient des structures privées, contre 30 % pour les centres publics. « Avoir beaucoup de cas d’hospitalisations [gratis] en soin d’urgence peut très rapidement couler une institution médicale du point de vue financier », soutient Franck Généus, président de l’Association des hôpitaux privés d’Haïti (AHPH).
Plus de six millions d’Haïtiens vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 2,41 dollars par jour, selon la Banque mondiale. Ils sont environ 2,5 millions de citoyens du pays à tomber en dessous du seuil de pauvreté extrême, avec moins de 1,23 dollar par jour. Le chômage fait rage, dans un contexte où la grande majorité n’est pas couvert par aucune forme d’assurance.
Les hôpitaux publics, sous-équipés, font régulièrement face à des mouvements de protestation. « Fournir gratuitement ces soins revient à alimenter une fosse à fond perdue, continue Franck Généus. Si l’institution n’a pas les reins pour y faire face, elle va sombrer », puisque les soins d’urgences sont parmi les services les plus coûteux dans un centre hospitalier.
Aucune obligation
Dans certains pays comme les États-Unis, les hôpitaux sont « obligés » de recevoir et d’assister un patient en situation d’urgence. Une panoplie de cas sont considérés comme urgence aux USA. Entre autres, tout incident grave ou potentiellement mortel, tout incident où les fonctions corporelles ou les organes sont gravement altérés, l’accouchement imminent chez une femme enceinte…
Dès que l’urgence est résolue et le patient stabilisé, l’hôpital vérifie son assurance ou discute avec lui les possibilités de paiement. Refuser de prendre soin d’un citoyen en situation de nécessité absolue constitue une violation de la loi et peut mettre l’hôpital fautif en très mauvaise posture devant la justice. Ce n’est pas le cas en Haïti. Et par conséquent, chaque institution instaure sa propre politique.
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Les hôpitaux privés sont à la fois un business et une entreprise sociale, estime le docteur Charles Patrick Almazor, directeur de City-Med. Ce médecin évalue à environ 20 % l’assistance médicale fournie par son hôpital à des gens n’ayant pas un sou. « En arrivant ici, les gens ne vont pas mourir pour un sérum. Les premiers soins d’urgences sont fournis, mais il est difficile de garder le malade », dit-il.
Plusieurs cas de figure se présentent à la stabilisation du patient n’ayant pas les capacités de payer. À City-Med par exemple, le Centre ambulancier national est souvent sollicité dans l’organisation des transferts de ces malades. « C’est quand même un manque à gagner pour nous lorsque nous fournissons les premiers soins d’urgence aux gens, continue Charles Patrick Almazor. Finalement, nous n’avons aucune garantie comme subvention ou remboursement de la part de l’État. »
Souvent, des mesures extraordinaires sont prises pour forcer le patient à s’acquitter de ses dettes, quand le soin d’urgence ne lui a pas été refusé. La même année de la mort de la mère de Roody Roodboy, le journaliste Samuel Celiné rapporte avoir été pratiquement séquestré dans l’enceinte d’un hôpital de la capitale, après une opération chirurgicale. Son assurance de l’époque refusait de payer les frais pour le soin et l’hôpital l’a physiquement empêché de partir avant le versement de l’argent.
Proposition sans réponse
Malgré la nécessité d’un accompagnement créé par la précarité ambiante, la majeure partie des hôpitaux gérés par l’État ne peuvent répondre correctement aux urgences.
En Haïti, 90 % du budget de la santé sont alloués aux frais du personnel médical. Il devient difficile d’assurer l’approvisionnement suffisant en médicaments et équipements essentiels des institutions sanitaires publiques du pays sans l’apport financier direct des citoyens.
Le directeur général de MSPP, Lauré Adrien, pense que l’État devrait renforcer ses capacités pour offrir les services d’urgences à la population. En 2016, l’association des hôpitaux privés d’Haïti avait proposé au MSPP de faire des soins d’urgence une priorité nationale, soutient son président, Franck Généus.
« Les discussions ont porté sur les possibilités de mettre en place un système où n’importe qui devrait être capable, en cas d’urgence, de pénétrer dans n’importe quelle structure de santé privée le plus proche, selon Généus. Avec un montant symbolique, le patient serait habilité à recevoir les soins et le MSPP se chargerait de rembourser une partie de cette prise en charge en intrant ». Aucune suite n’a été donnée à ces propositions, dit le président de l’AHPH.
Emmanuel Moïse Yves
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