C’est le résultat de la stigmatisation et des rumeurs qui circulent sur la pandémie du coronavirus
Fièvre, courbature, anosmie et agueusie, Louis avait tous les symptômes du coronavirus au début du mois de juin.
Pourtant, ce chauffeur qui travaille dans le transport en commun a préféré se cloîtrer pendant trois semaines chez-lui à Gressier. Il appliquait des remèdes de la médecine traditionnelle, au lieu de se rendre à l’hôpital pour se faire tester.
Le journaliste Chelson habite à Delmas. Après une forte fièvre ayant duré quelques jours, il avait non seulement perdu le goût et l’odorat, mais ressentait des difficultés respiratoires. Lui non plus n’a pas choisi le chemin de l’hôpital.
Louis et Chelson justifient leur décision par la crainte de se faire utiliser comme cobayes pour l’essai d’éventuels vaccins contre le Coronavirus.
Selon l’épidémiologiste Jean Hugues Henrys, le comportement de ces deux individus s’explique par les nombreuses rumeurs circulant dans le pays et faisant croire que l’hospitalisation pour le coronavirus vient avec le risque de « se faire vacciner à son insu, et du coup, mourir empoisonné sur un lit d’hôpital ».
A date, Haiti compte « officiellement » une petite centaine de morts du Covid-19 pour 6 040 infectés. Nombreux observateurs estiment que ces chiffres sont largement en dessous de la réalité.
Les affres de la stigmatisation
À côté des rumeurs non fondées, la stigmatisation alimente la phobie des hôpitaux constatée ces temps-ci.
À Carradeux, dans la commune de Tabarre, Fabienne a expérimenté l’anosmie et l’agueusie, en silence chez elle. Elle ne s’était pas fait tester et a décidé de puiser dans la médecine traditionnelle des formules pour se soigner.
Pourquoi ? Fabienne a refusé de confirmer sa maladie, par crainte d’éventuelles réactions irréfléchies de son voisinage. « Ma tante qui habite à la Route de Frère à Pétion-Ville ressentait de la fièvre à la fin du mois d’avril. Ses voisins étaient au courant de sa maladie et certains l’ont même menacé de mort, juste parce qu’on attribuait sa fièvre au coronavirus ».
Le directeur de communication au Ministère de la Santé publique et de la population (MSPP), Samson Jean Louis, confirme que l’institution est au courant des méfaits de la stigmatisation qui porte des citoyens à ne pas fréquenter les milieux hospitaliers dans le but de cacher la maladie, malgré les risques de développement de complications pour un petit nombre d’entre-deux.
En adoptant cette attitude, le sociologue Ilionor Louis estime que les cas suspects tentent de contrecarrer le réflexe de protection affiché par certaines familles dans la communauté. Celles-ci ne sont pas toujours préparés à vivre des situations inhabituelles, comme gérer des malades du nouveau Coronavirus.
Haïti a une longue tradition en matière de stigmatisation des malades quand une nouvelle épidémie frappe le pays, rappelle l’historien Georges Michel qui se souvient de ce qui s’est passé avec la tuberculose. « J’avais un oncle qui a attrapé la maladie et on a dû le cacher pour que le voisinage n’ait pas connaissance de sa maladie qui était une honte à l’époque ».
Les malades du SIDA et même du choléra après le séisme ont eux aussi été confrontés à la stigmatisation, rapporte l’historien.
Moins de malades dans les hôpitaux
Au centre GHESKIO, l’un des hôpitaux qui prennent en charge les malades du coronavirus en Haïti, l’ambiance est déconcertante pour Felix Yves Gérard rencontré dans l’établissement le mercredi 24 juin dernier. Gérard travaille dans cet hôpital depuis sa guérison du Coronavirus au début du mois de juin. Il dit avoir passé 12 jours comme malade dans l’institution.
Gérard assure la surveillance et approvisionne des malades sous une bâche installée sur la cour du centre à Tabarre.
Pour l’homme d’une trentaine d’années, il y a, ces derniers jours, une sorte de phobie des hôpitaux qui se développe chez un grand nombre d’Haïtiens atteints du Coronavirus. Il en veut pour preuve, la bâche dont il s’occupe qui ne compte, le mercredi 24 juin 2020, que quatre malades au lieu de la vingtaine qu’elle comprend d’habitude.
Selon lui, malgré l’offre d’accompagnement, d’un lit, de la nourriture et des médicaments, les personnes les plus à risque « refusent les soins hospitaliers et partent se soigner elles-mêmes à la maison ».
Sous couvert de l’anonymat, un des membres de la cellule scientifique, mise en place par l’exécutif, souligne que cette structure réfléchit déjà sur le phénomène de la phobie des hôpitaux et compte diligenter une enquête afin de mieux cerner le problème.
Au sein du MSPP, Samson Jean Louis indique que les autorités entendent agir sur le problème en sensibilisant les citoyens sur la nécessité de ne pas stigmatiser les personnes atteintes du coronavirus.
Samuel Celiné
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