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Georges H. Rouzier : « Le cimetière de Port-au-Prince est une ville à part entière »

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Dans son livre de photos « Une ville dans la ville », Georges Harry Rouzier montre la vie qui grouille au cimetière de Port-au-Prince. La vente-signature a eu lieu le samedi 1er février au Yanvalou Restaurant

C’est une photo surprenante. Elle met en scène deux femmes et un homme perdus dans une danse lascive, presque obscène. Tout autour d’eux, une dizaine de personnes au regard indifférent s’occupent ailleurs. Les « fêtards » ne sont ni au Champ-de-Mars en période de carnaval ni dans les fameuses soirées « Ti sourit » où les DJs jouent du « Rabòday », ce rythme populaire en Haïti.

Ils sont au cimetière de Port-au-Prince et la photo a été prise par Georges Harry Rouzier. Le photographe a réuni plus de cinquante clichés dans un livre titré « Une ville dans la ville ». Toutes les images ont été prises au cimetière de la capitale.

La vente-signature de ce livre-photos a eu lieu le samedi 1er février, au Yanvalou Restaurant. Des dizaines de personnes se sont déplacées pour se procurer un exemplaire. « Je suis assez satisfait de l’affluence, dit le photographe. Mais ce qui m’a le plus plu, c’est la qualité des gens présents. Je n’avais pas envoyé beaucoup d’invitations, mais le message a fait son chemin. »

La vente-signature de ce livre-photos a eu lieu le samedi 1er février, au Yanvalou Restaurant. Photo: Stéphane C. Brice

Recherche d’originalité

En 2017, Georges Harry Rouzier a présenté une exposition de photos sur le cimetière de Port-au-Prince, sous le même titre. Déjà, à l’époque, c’était un succès. Le photographe, suivant le conseil de certains amis, a ensuite décidé d’immortaliser son travail. « Je voulais laisser une trace dans ma carrière de photographe, pour être mieux connu aussi », explique-t-il.

L’idée de prendre en photo des scènes de vie, dans un lieu de mort, n’est pas venue toute seule. « Quand j’étais plus jeune dans le métier, j’étais toujours surpris par l’originalité du travail des photographes étrangers en Haïti, affirme-t-il. J’ai voulu alors travailler sur des sujets que ces étrangers ne connaissaient pas. »

Et c’est en 2015 qu’une vraie opportunité s’offre à lui. Georges H. Rouzier comptait prendre des photos de scènes de « gede » au cimetière de Port-au-Prince. Mais il a trouvé mieux : « J’ai photographié un tombeau sur lequel il était écrit « cave à affermer ». C’est là que j’ai compris que c’était comme une petite ville. »

« J’ai photographié un tombeau sur lequel il était écrit ‘cave à affermer’. C’est là que j’ai compris que c’était comme une petite ville. » Photo: Georges Harry Rouzier

Pour que l’album de photos soit complet, le photographe a mis quatre ans à prendre des clichés. Photo: Georges Harry Rouzier

Beaucoup de travail

Pour que l’album de photos soit complet, le photographe a mis quatre ans à prendre des clichés. « Les photos que j’avais exposées en 2017 ne suffisaient pas. J’en avais aussi écarté quelques-unes. Je devais approfondir mon thème. » Le cimetière était devenu son lieu favori quand il s’ennuyait. « J’y allais souvent, dit-il. Parfois je restais plus de deux heures. Souvent je ne faisais que m’asseoir et attendre la scène parfaite. »

Chrisna Aujour et Pauline Anne Farah sont deux jeunes femmes qui se sont procuré le livre. Assises dans la cour du Yanvalou, elles disent ce qu’elles pensent du travail de Georges Harry Rouzier. « Je ne vais jamais aux cimetières, avoue Chrisna Aujour. Je ne comprends donc pas que des gens y soient aussi à leur aise. » Son amie partage le même étonnement, mais se demande si les sujets pris en photo avaient donné leur accord.

D’après Georges H. Rouzier, il y a eu très peu de mise en scène, pour ne pas dire aucune. Mais tout le monde était partant. « Les gens savaient que je prenais les photos, assure-t-il. À force de venir au cimetière ils se sont habitués à ma présence. Je me faisais oublier. »

Travailler dans un cimetière, même dans celui où les vivants côtoient les morts, a ses risques, surtout sanitaires. Photo : Georges Harry Rouzier

Le hasard fait bien les choses

Travailler dans un cimetière, même dans celui où les vivants côtoient les morts, a ses risques, surtout sanitaires. Le photographe en a toujours été conscient, mais a dû s’y résigner. « Je ne pouvais pas mettre de cache-nez alors que les gens n’en avaient pas. Et si quelqu’un me tendait la main, je devais la lui serrer, même si je savais qu’il venait tout juste de toucher un mort », explique-t-il.

Il avait également des craintes pour sa sécurité personnelle. Lors des conflits entre bandes armées, au Portail Léogâne, zone du cimetière, certains bandits couraient se cacher entre les tombes.

Georges H. Rouzier a dû visiter le cimetière plus de 60 fois pour trouver les clichés qu’il fallait. Le hasard, dit-il, était de son côté. « J’y allais sans savoir à l’avance ce que j’allais trouver, dit-il. Cinq minutes avant ou après, je pouvais perdre des scènes importantes. »

Le photographe a d’ailleurs raté des clichés qu’il ne retrouvera jamais, comme celui où un homme raccordait une prise de courant illégale, pour allumer une ampoule dans une tombe.

« Une ville dans la ville » est avant tout une restitution de l’histoire des architectures de Port-au-Prince. Photo : Georges Harry Rouzier

Un travail sur l’urbanisation

« Une ville dans la ville » est avant tout une restitution de l’histoire des architectures de Port-au-Prince, à travers le temps, par le biais de la forme des tombes et l’aménagement du cimetière. Le photographe refuse que son œuvre soit interprétée comme un travail sur la mort.

Mais, même si le travail met l’accent sur l’architecture et l’urbanisme, il est frappant de constater qu’au cimetière de Port-au-Prince, la société telle quelle est reproduite. « Ici, dit Georges Harry Rouzier, il y a les quartiers des pauvres et les quartiers des riches. Le cimetière a son Pétion-Ville, son Turgeau, son Wout Nèf et son Cité-Soleil. Il y a les mêmes problèmes de loyer et de cadastre. »

Port-au-Prince et son cimetière sont liés par l’histoire ; ils ont été construits presque à la même époque. Ce sont pourtant, d’après les photos de Georges Harry Rouzier, deux « villes » distinctes, même si à bien des égards l’une est le reflet de l’autre.

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Dates clés de la carrière de Georges Harry Rouzier
Naissance : 1984
Etudes en architecture : 2011
Publication du livre Grand Rue : 2014
Début de carrière en photographie : 2015
Publication du livre Notre regard: 2015
Exposition Frontières en Haïti, France et Belgique : 2017
Exposition « Une ville dans la ville »: 2017
Exposition Kazal en Haïti et au Mali: 2019
Vente signature : « Une ville dans la ville », 2020

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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